Les maires de six communes de l'Oise et de la Somme ont pris des arrêtés autorisant l'ouverture des commerces de proximité malgré le confinement. Des actes jugés illégaux par les préfets qui ont décidé de saisir le tribunal administratif.
C'est le cas un peu partout en France. Depuis l'annonce du reconfinement et donc la fermeture des commerces jugés "non essentiels", les commerçants ne cachent pas leur colère. Libraires, fleuristes, coiffeurs, magasins de vêtements, tous partagent un sentiment d'injustice face aux grandes surfaces et aux géants du commerce en ligne.
Même si, par un décret publié mardi 3 novembre, certains produits seront retirés des grandes surfaces pour ne pas créer de concurrence déloyale, le e-commerce est lui toujours autorisé.
Pour soutenir les commerces de proximité, certains maires ont donc pris des arrêtés les autorisant à ouvrir durant cette période de confinement. C'est le cas à Abbeville et au Crotoy dans la Somme, mais aussi à Thourotte, Boran-sur-Oise, Orry-la-ville et Hermes dans l'Oise. "C’est un coup de gueule pris de façon un peu brusque et précipitée. On était en train de travailler sur l’organisation du marché dominical et j’ai commencé à recevoir des mails des grandes enseignes qui annonçaient rester ouvertes. Ça a été la goutte d’eau, j’ai trouvé ça insupportable, confie le maire de Hermes Grégory Palandre. Ce n’est pas de la désobéissance civique. Le gouvernement fait face à une crise majeure, sans précédent, mais il n’y a pas assez de concertation."
Toujours est-il que ces arrêtés pris par les maires sont jugés illégaux par les préfets qui n'ont pas tardé à agir. Samedi 31 octobre, les gendarmes de la brigade de Mouy (Oise) ont par exemple fait fermer les deux coiffeurs qui avaient ouvert à Hermes. Ce mercredi 4 novembre, les préfets de l'Oise et de la Somme ont décidé de saisir le juge administratif.
"Il appartient au juge de décider de la légalité ou non de ces arrêtés"
Ces arrêtés sont en effet susceptibles de contredire des normes réglementaires prises dans ce cadre de la crise sanitaire. Il s'agit ici du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19. Mais, selon Maître Dorothée Fayein-Bourgois, il appartient au juge de décider de la légalité ou non de ces arrêtés. "Plusieurs arguments s'affrontent, d'un côté les préfets vont dire qu'il y a violation du décret et invoquer l'impératif de se battre contre l'épidémie, de l'autre les maires vont dire que ce décret va à l'encontre de la liberté d'aller et venir, la liberté d'entreprendre ou le principe d'égalité", estime la bâtonnière d'Amiens.Pour le moment le juge du tribunal administratif ne semble pas enclin à autoriser l'ouverture de ces commerces. Dans plusieurs autres régions, les tribunaux ont déjà rendu leur décision. C'est le cas notamment à Béziers et Perpignan où le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a suspendu l'exécution des arrêtés des maires autorisant l'ouverture des commerces dits "non essentiels". Selon le juge, ces arrêtés "méconnaissent les dispositions de l'article 37 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire."
L'occasion de s'interroger sur les principes fondamentaux
Ceci étant, certains maires n'ont pas caché leur intention de saisir le Conseil d'Etat. L'occasion de mettre en balance ces principes fondamentaux dans un cadre de crise sanitaire inédit. Depuis le début de la crise, il s'est prononcé à de nombreuses reprises, notamment sur le port du masque.Le 17 avril 2020, il estimait que l'arrêté du maire de Seaux imposant le port du masque dans sa commune nuisait à la cohérence des mesures nationales. En septembre dernier en revanche, il considérait que les préfets du Bas-Rhin et du Rhône pouvaient imposer le port du masque dans des zones larges. "Cela montre que la jurisprudence risque d'être évolutive en fonction de la situation", indique Maître Fayein-Bourgois. "Dans tous les cas je trouve que c'est important, dans un état de droit, que ce débat ait lieu. C'est ce qui est intéressant dans la culture prétorienne, ce sont les grandes crises qui permettent de s'interroger sur les principes fondamentaux. Après je pense que le Conseil d'Etat va être obligé de concrétiser son analyse, ce sera intéressant à suivre dans les prochains jours", conclut-elle.