Bras de fer post-Brexit sur les licences de pêche : "si rien ne change très vite, ça sera catastrophique"

"Interdiction de débarquement", contrôles douaniers accrus : la France a annoncé l'entrée en vigueur mardi 2 novembre de premières mesures de rétorsion contre Londres par rapport au conflit qui les oppose sur le nombre de licences de pêche. Des mesures attendues par les pêcheurs de Boulogne-sur-Mer.

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La vie après le Brexit n'est pas un long fleuve tranquille, les pêcheurs boulonnais vous le diront... Dernier remous en date, les menaces de sanctions du gouvernement français à l'encontre du Royaume-Uni, dans le cadre du conflit qui les oppose sur le nombre de licences de pêche.

Les pêcheurs dans l'attente à l'approche de Noël

La situation reste très tendue dans la région de Boulogne-sur-Mer, où des dizaines de pêcheurs n'ont pu accéder aux eaux britanniques depuis des mois. "Depuis avril, on est à plus de 50% de pertes d'exploitation", explique l'un d'eux, Stéphane Pinto, estimant qu'il y a longtemps que l'Etat et l'UE "auraient dû réagir".

Les mesures annoncées par le gouvernement, mercredi 27 octobre, sont accueillies avec prudence : "On attend de voir, pour le moment ce ne sont que des effets annonces, réagit Nicolas Margollé, propriétaire du bateau Nicolas Jérémy, à Boulogne-sur-Mer. Nous, ça fait un an qu'on se bat, et si rien ne change très vite, ça va être catastrophique pour mes collègues qui n'ont pas de licence."

À l'approche des fêtes de Noël, l'échéance se tend pour les pêcheurs. "Novembre et décembre, c'est une grosse saison pour nous, cela représente au moins 30% de notre chiffre d'affaires."

"Ces mesures annoncées, c'est une bonne chose, mais ça arrive tard car nos pêcheurs attendent leurs licences depuis dix mois !", a quant à lui déclaré Jean-Pierre Pont, député LREM de Boulogne-sur-Mer, dans les colonnes de la Voix du Nord.

Des premières sanctions dès le 2 novembre

La décision des santions est tombée mercredi 27 octobre, à l'issue du Conseil des ministres : si aucun progrès n'est fait d'ici début novembre, Paris a décidé de "l'interdiction de débarquement de produits de la mer" pour les chalutiers britanniques en France et la mise en place de "contrôles douaniers et sanitaires systématiques sur les produits (britanniques) débarqués". Des sanctions qui pourraient entrer en vigueur dès le mardi 2 novembre.

Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a aussi évoqué une riposte graduelle, avec une possible "deuxième série de mesures", "notamment des mesures énergétiques qui ont trait à la fourniture d'électricité pour les îles anglo-normandes".

Près de 90 pêcheurs boulonnais encore sans licence

Le feu couvait depuis des semaines: parmi les sujets de friction post-Brexit entre Paris et Londres, celui de la pêche reste explosif, bien que ne concernant qu'un nombre relativement réduit d'acteurs. 

L'accord post-Brexit, conclu in extremis fin 2020 entre Londres et Bruxelles, prévoit que les pêcheurs européens puissent continuer à travailler dans certaines eaux britanniques à condition de pouvoir prouver qu'ils y pêchaient auparavant. Mais Français et Britanniques se disputent sur la nature et l'ampleur des justificatifs à fournir.

Dans les zones de pêche encore disputées (zone des 6-12 milles des côtes britanniques et îles anglo-normandes), Londres et Jersey ont accordé au total un peu plus de 210 licences définitives, alors que Paris en réclame encore 244. Au port de Boulogne, sur une flotte de 112 bateaux de pêche, une vingtaine seulement a l'autorisation de naviguer dans les eaux britanniques.

Des menaces jugées "disproportionnées" par Londres

"Les menaces de la France sont décevantes et disproportionnées, et ne correspondent pas à ce qu'on pourrait attendre d'un allié et partenaire proche", a réagi mardi soir un porte-parole du gouvernement britannique, affirmant qu'elles n'étaient "pas compatibles" avec l'accord post-Brexit et le droit international.

Si ces menaces sont "appliquées, elles feront l'objet d'une réponse appropriée et calibrée", met-il en garde.

Six ports concernés par ces mesures

Dans la soirée, un communiqué du ministère français de la Mer et du secrétariat aux Affaires européennes a précisé les mesures: "interdiction de débarquement des navires de pêche britanniques dans les ports désignés", c'est-à-dire les six ports français où la débarque s'effectue actuellement, ainsi qu'un "renforcement des contrôles" sanitaires, douaniers et de sécurité des navires britanniques. En Hauts-de-France, les ports de Boulogne-sur-Mer et de Calais seront en première ligne dans l'application de ces sanctions.

Enfin, une mesure va plus loin, annonçant un zèle particulier dans les "contrôles des camions à destination et en provenance du Royaume-Uni", quelle que soit leur cargaison. La France ne "laissera pas la Grande-Bretagne s'essuyer les pieds sur l'accord Brexit", a insisté le porte-parole du gouvernement français.

"Ce n'est pas la guerre, c'est un combat", selon la ministre de la Mer

"Ce n'est pas la guerre, c'est un combat. Les pêcheurs français ont des droits. Il y a eu un accord de signé, nous devons faire appliquer cet accord. Nous avons des droits de pêche, nous devons les défendre et nous les défendons", a déclaré la ministre de la Mer Annick Girardinla ministre sur RTL, ce jeudi 28 octobre.

Et Gabriel Attal de rappeler qu'il "manque quasiment 50% des licences auxquelles nous avons droit". Même si côté britannique, le porte-parole du gouvernement de Boris Johnson avance un chiffre bien différent: "98% des licences de pêche ont été accordées".

Annick Girardin, avait prévenu qu'elle voulait une solution globale d'ici au 1er novembre, puisque l'île de Jersey a donné un délai d'un mois (jusqu'au 30 octobre) à 75 bateaux français pour fournir de nouveaux éléments et rouvrir leur dossier. Ces navires-là étant pour l'instant sur liste rouge, ils ne pourront plus frayer dans les eaux de Jersey à compter de lundi.

Un enjeu européen

Pour autant, Londres a semblé surpris et s'est dit "très déçu" de ces "menaces proférées tard dans la soirée", selon le secrétaire d'Etat britannique chargé du Brexit, David Frost, qui dénonce la manière dont les choses se sont faites.

"Nous n'avons reçu aucune communication officielle du gouvernement français à ce sujet", a-t-il souligné sur Twitter, disant "chercher à obtenir d'urgence des éclaircissements".

Côté français, le secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes, Clément Beaune, affirme que cette décision s'inscrit "dans une démarche européenne puisque nous avons saisi en même temps la Commission européenne pour avoir une réunion de premier étage de règlement des litiges".

"Aucun autre sujet de coopération européenne avec le Royaume-Uni ne pourra progresser sans rétablir la confiance et appliquer pleinement les accords signés", précise le communiqué gouvernemental.

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