La Premier League sera-t-elle toujours la Premier League, richissime et mondialisée ? Du foot à la F1, le sport anglais, qui a profité à plein de l'ouverture des frontières européennes, n'échappe pas aux inquiétudes provoquées par le Brexit.
La plupart des observateurs sont prudents sur l'impact final du divorce, mais tous citent deux effets possibles: une dépréciation de la livre, qui pèse déjà sur l'ensemble de l'économie, et des restrictions sur les transferts de joueurs étrangers, dont l'ampleur reste inconnue.
Les regards se tournent vers la Premier League, exemple le plus criant d'un football sans frontières, avec 62,7% de joueurs expatriés au 1er octobre 2018, d'après des chiffres de l'Observatoire du football CIES. Un record pour les grands championnats. Du Belge Hazard au Français Kanté, de l'Argentin Aguëro à l'Egyptien Salah, cette diversité de vedettes "est au coeur de la marque Premier League", explique Simon Chadwick, professeur d'économie du sport à l'université de Salford, près de Manchester.
"Tout ce qui viendra bouleverser cet équilibre sera un facteur de risque", relève-t-il.
Droits TV
A l'origine, il y a bien sûr l'arrêt Bosman, qui a mis fin en 1995 aux limitations des transferts dans l'espace européen, puis ses extensions (arrêt Malaja et traité de Cotonou) à d'autres zones. Mais pas seulement. "Les clubs anglais ont construit leur force financière en amont", sur les décombres du drame du Heysel en 1985 (39 supporteurs décédés lors de la finale de la Coupe des champions entre la Juventus et Liverpool), qui les ont privés de coupes européennes pendant cinq ans, et la tragédie du stade de Hillsborough en 1989 (96 morts dans un mouvement de foule lors d'un Liverpool-Nottingham Forest), explique Didier Primault, économiste du sport au Centre de droit et d'économie du sport (CDES) de Limoges.
"Dans ce contexte-là, ils n'ont pas eu le choix et ont dû rapidement reconstruire les stades pour qu'ils soient sûrs, développer et diversifier leurs revenus", poursuit l'économiste. Portée par les dépenses illimitées de riches investisseurs (le magnat russe Abramovitch à Chelsea, Abou-Dhabi à Manchester city) et la hausse spectaculaire des droits télé dans les années 2000 et 2010, la Premier League vit sur une autre planète.
Treize clubs anglais figurent parmi les 30 générant le plus de revenus, selon le rapport annuel 2019 du cabinet Deloitte. Jusqu'à quand ? "La concurrence rattrappe son retard" et les autres grands championnats européens, à commencer par la Liga, "se sont adaptés", pense Simon Chadwick.
"Le pilier de la Premier League, ce sont les droits télé, mais le paysage de la radiodiffusion est actuellement en pleine mutation et personne ne sait vraiment à quoi il ressemblera dans cinq ans", ajoute-t-il. Les revenus TV domestiques de la Premier League ont stagné à 5 milliards de livres (5,77 milliards d'euros) pour la période 2019-2022, toujours loin devant les autres. Reste-t-il des territoires inexplorés à l'international (1,2 milliard de livres, 1,4 milliard d'euros par saison) ?
"Mauvais moment"
L'après-Brexit dépendra aussi des éventuelles restrictions qui seront appliquées aux joueurs européens, une fois le Royaume-Uni sorti de l'UE. D'autres championnats sont concernés, comme la Premiership en rugby. Dans le football, la fédération y verrait un moyen de valoriser les joueurs nationaux.Lors d'une audition à la chambre des communes, en février 2018, des représentants du syndicat des joueurs et de la fédération de rugby s'étaient aussi alarmé des complications éventuelles pour aller et venir, pour les supporteurs, les encadrants, les employés occasionnels ou saisonniers.
Le sujet inquiète la Formule 1, avec sept écuries sur dix basées au Royaume-Uni et son promoteur, Formula One, qui a son siège à Londres. Son patron Chase Carey, a assuré que des "mesures de contingence" étaient en préparation, au cas où il deviendrait "plus difficile de faire entrer et sortir de Grande-Bretagne des personnes et des biens" comme les pièces mécaniques.
"A l'image de la Premier League, le Brexit intervient au mauvais moment pour la F1", estime Simon Chadwick, après un "déplacement vers l'est" de son économie. Depuis les années 2000, la majeure partie des nouveaux grands prix se situent en Asie ou dans des pays du golfe persique. "Il n'est pas inconcevable de penser que si les écuries de F1 sont désavantagées par rapport à la concurrence en étant basées au Royaume-Uni, il y a des endroits comme Abou Dhabi qui les accueilleraient très facilement. Ils ont investi des sommes énormes pour se positionner comme une plaque tournante des sports automobiles", ajoute-t-il.