Quelles conséquences le confinement a-t-il pu avoir sur le quotidien des migrants ? Alors qu'un déconfinement s'amorce, retour sur une période qui a davantage fragilisé les plus précaires.
Un ciel chargé vient assombrir la scène. Une centaine de migrants, sacs cabas remplis d'affaires, sortent de la fôret qui leur servait de refuge, il y a encore quelques minutes. Pour eux, c'est une expulsion. Les forces de l'ordre qui les entourent choisissent de décrire une mise à l'abri. En effet, sur un parking attenant, deux bus patientent. Les rares migrants qui montent à l'intérieur sont conduits vers des hôtels de la région. Shorman est réveillé depuis 6 heures ce matin-là. Il observe la scène : des tractopelles déboisent la fôret pour empêcher une réinstallation. Il raconte, déçu : "On ne veut pas aller à l'hôtel. On a peur des mauvais traitements. Et surtout, on est envoyé dans des hôtels lointains dans la région. C'est compliqué de revenir jusqu'ici, aux alentours de Dunkerque. Et c'est notre point de départ pour l'Angleterre donc on doit rester ici."
Des déplacements limités
Shorman est irakien. Journaliste, il a fui son pays et est arrivé en France il y a quelques mois. Depuis, il documente la vie dans ce camps de fortune à la lisière du bois de Puythouck. Selon lui, ces opérations de police se sont multipliées ces dernières semaines. "En ce moment, c'est quasiment tous les jours. Regardez, ils détruisent tout. Les tentes, nos affaires... ça devient très compliqué." raconte-t'il, blasé.
L'évcuation est toujours en cours. Une association vient distribuer des repas aux migrants. "Regardez l'état de détresse de ces migrants. L'état sanitaire!" gronde Claudette, présidente de l'association Adra. "Beaucoup ne porte pas de masque. Combien en faudrait-il pour tous ces migrants ? Nous, on essaie de les sensibiliser aux gestes barrières." Exemple concret : la maraude de l'association est le seul point d'accès au gel hydroalcoolique.Pourtant, la peur du virus s'infiltre jusque dans le camp. Jihad, jeune kurde irakien, est l'un des rares à porter un masque. Il témoigne : "Mon père est mort du virus il y a 5 jours, dans mon pays. Il faut faire très attention. Les gens doivent être vigilants." Depuis le début de l'épidémie, lui aussi limite ses déplacements. Comme confiné dans le bois qui lui sert de refuge. " Avant je faisais des allers-retours réguliers jusqu'au centre ville. Désormais, je reste dans le camp. Déjà, il y a plus de contrôles de la police en ville. Et en plus, être ici ça me rassure, je pense que j'ai moins de chance d'attraper le virus."
"Le coronavirus, ici, c'est tous les jours"
Ici, impossible de mesurer le taux de propagation du virus. L'accès aux soins est très limité, quasiment inexistant. Il se cantonne le plus souvent aux actions bénévoles d'associations. Ici, impossible non plus de respecter le confinement ou les gestes barrières. Ces consignes sont même reçues avec ironie. Bilal, kurde irakien lui aussi, préfère en rire. "Comment je peux penser à ça? Le meilleur qui puisse m'arriver ici c'est de trouver une tente et un peu de tôle. C'est quelle genre de vie ça? Le coronavirus, ici, c'est tous les jours avec cette vie. Mais le vrai virus, ça ne me fait pas peur."Concrétement, qu'est-ce que le confinement a pu changer dans le quotidien des migrants ? Bilal répond : "c'est vrai que depuis quelques temps, les maraudes se font plus rares. On voit moins d'associations." Pourtant, leur travail déjà essentiel, est devenu quasiment indispensable. Mais certains membres dénoncent des pressions des autorités. Sandra est bénévole au sein de Human Right Observer. Elle observe et documente les expulsions, sur le terrain. "On est systématiquement verbalisé pour non-respect du confinement. Alors qu'on a deux attestations : justificatif professionnel et justificatif de déplacement. Les amendes sont devenues un moyen de pression." L'association intervient sur tout le littoral des Hauts-de-France, partout où se trouvent des migrants. Pour certains membres rencontrés, ces "pressions" supposées se concentreraient à Calais. "Là-bas, on est systématiquement verbalisés. Parfois, les forces de l'ordre nous encerclent et nous empêchent d'accéder au lieu de l'expulsion. On ne peut donc pas faire notre travail correctement", explique Sandra. L'association aurait reçu 17 verbalisations depuis le 1er novembre.
Elus et associations, dos à dos
A la mairie de Calais, depuis 12 ans, le "monsieur sécurité" s'appelle Philippe Mignonet. Parmi ses prérogatives, la gestion de la crise migratoire. Et pour lui, aucune pression supplémentaire. "Il n'y a pas de chasse aux sorcières", martèle l'élu. Il ajoute : " Déjà, ce n'est pas la mairie de Calais qui gère la police nationale. Nous n'avons aucun pouvoir là-dessus. Mais je peine à croire que les associations soient plus contrôlées. Leurs membres sont contrôlés, c'est sûr. Mais pas plus que vous et moi." Plus généralement, l'adjoint au maire voit d'un mauvais oeil certaines actions humanitaires. "Bien sûr il y a des personnes honorables, qui oeuvrent dans le cadre humanitaire. Là, aucun problème. En revanche, certains se servent de la crise migratoire pour exister politiquement. Ce sont des militants qui se servent de la situation comme d'un tremplin politique. Ils n'existeraient pas sans les migrants."Calais, ville frontière, est devenue un symbole de la crise migratoire. Dans les années 2010, plus de 20 "conseils des migrants" rythmaient la politique de la cité en matière d'accueil. Les élus locaux et les associations tentaient alors de négocier, de trouver des solutions sur la gestion d'une crise sans précédent. Désormais, ces conseils n'existent plus. "Certains ont quitté la table des négociations. Ils se sont même parfois radicalisés politiquement. Alors aujourd'hui, nous distinguons les associations officielles, mandatées par l'état, et les autres, militantes" avise Philippe Mignonet. Et le confinement n'ya rien changé. Tous s'accordent à dire que la période a rendu encore plus difficile la situation des migrants. Mais personne n'est retourné à la négociation. L'un des cadres d'une association conclut, en off : "la période de confinement a encore plus invisibilisé la situation des migrants dans la région. C'est le plus triste."