Dans son rapport paru ce 7 octobre 2021, l'organisation non-gouvernementale Human Rights Watch dénonce la situation "indigne et injustifiable" dans laquelle les familles de migrants sont maintenues à Calais.
Dans un rapport de 86 pages publié ce jeudi 7 octobre 2021, l'organisation non-gouvernementale Human Rights Watch, basée à New York, et qui compte quelque 500 collaborateurs-salariés dans le monde, dénonce les expulsions quotidiennes, les tentes lacérées, les biens confisqués des migrants de Calais par les forces de l'ordre.
L'État met en oeuvre une "politique de dissuasion" sur le littoral nord, qui soumet les migrants à une "humiliation et un harcèlement quotidiens", note le rapport-enquête de l'ONG.
"Une vie de plus en plus misérable"
Dans cette publication, qui intervient cinq ans après le démantèlement en octobre 2016 de l'immense campement de Calais, surnommé la "jungle", HRW estime que "les pratiques de la police" sur le littoral "ont rendu la vie des migrants de plus en plus misérable".
A Calais, Grande-Synthe et leurs environs, où plus d'un millier de personnes vivent toujours dans les zones boisées, des entrepôts désaffectés ou sous les ponts, dans l'espoir de passer vers le Royaume-Uni, la police couple "des expulsions de masse périodiques" avec "des opérations routinières" qui poussent les exilés à se déplacer continuellement, "pendant que les agents confisquent les tentes qu'ils n'ont pu emporter avec eux - les tailladant souvent pour qu'elles ne soient plus utilisables", écrit l'ONG.
"Quand la police arrive, nous avons cinq minutes pour sortir de la tente avant qu'elle ne détruise tout", témoigne ainsi Rona D, une Kurde irakienne citée dans le rapport. "La police a tailladé la bâche qui servait de toit à notre abri", expliquait-elle lorsqu'elle avait été interrogée en décembre 2020.
"Injustifiable"
"Aucune politique migratoire, rien ne peut justifier de soumettre des personnes à une humiliation et un harcèlement quotidiens", a estimé Bénédicte Jeannerod, directrice pour la France de HRW. "Si l'objectif est de dissuader les migrants de venir dans le nord de la France, ces politiques sont un échec flagrant et plongent les personnes dans une profonde désolation."
Selon le HRO (Human Rights Observers), une association qui s'est spécialisée dans le suivi de la situation migratoire sur le littoral nord, la police a procédé en 2020 à plus de 950 opérations d'expulsions "de routine" à Calais, 90 à Grande-Synthe, lors desquelles elle a saisi 5.000 tentes et bâches.
Politique de dissuasion et opérations toutes les 48h
"Ces pratiques abusives s'inscrivent dans une politique de dissuasion plus globale des autorités, visant à supprimer ou à éviter tout ce qui pourrait, à leurs yeux, attirer les migrants dans le nord de la France et encourager l'établissement de campements ou d'autres 'points de fixation' ", déplore encore HRW, qui a enquêté sur place d'octobre à décembre 2020, puis en juin et juillet 2021, interrogeant notamment 60 migrants.
Une stratégie assumée par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin qui expliquait en juillet à la Voix du Nord : "La consigne que j'ai donnée pour éviter de revivre ce que les Calaisiens ont connu il y a quelques années, c'est la fermeté des forces de l'ordre", qui se traduit par "des opérations toutes les 24 ou 48 heures".
"Ne plus confisquer tentes, bâches et sacs de couchage"
Elle se traduit aussi, rappelle l'ONG, par les "restrictions à l'aide humanitaire", qui se sont cristallisées dans de récents arrêtés interdisant la distribution de nourriture et d'eau par certaines associations dans le centre-ville de Calais, mais aussi à l'extérieur de la ville.
"Ce harcèlement des personnes en migrance, se poursuit par celui des personnes qui leur viennent en aide via des contrôles d'identité répétés, des PV de 135 euros pour sous-gonflage des pneus, des motifs falacieux qui sont autant de bâtons dans les roues des associations humanitaires alors que la France ne devrait pas empêcher leur travail mais devrait encourager leurs actions.", explique Bénédicte Jeannerod.
"Parfois, ils changent l'endroit où ils donnent la nourriture et on ne sait pas où aller. On essaie de courir", mais "le temps qu'on arrive, ils peuvent être déjà partis", raconte un Syrien de 17 ans.
"En gros, les autorités font tout ce qu'elles peuvent pour rendre les conditions de vie invivables", résume Antoine Guittin, un responsable associatif local de Choose Love cité dans le rapport.
Face à ce constat, sur lequel associations, autorités indépendantes et défenseurs des droits de l'homme alertent depuis des années, Human Rights Watch exhorte la France à "rompre le cercle vicieux des expulsions et des harcèlements répétés". Ce n'est pas une option, c'est une obligation", rappelle la directrice France de HWR et il faut sans délai "mettre fin à la pratique consistant à confisquer les tentes, bâches, sacs de couchage et couvertures dans les campements".
Le démantèlement de la "jungle" devait "mettre fin à une situation indigne", souligne-t-elle. "Mais la situation actuelle est, à bien des égards, elle aussi indigne."