"Une catastrophe sans précédent" : pourquoi le risque de pollution aux armes chimiques en mer du Nord est inquiétant

D'où vient la pollution chimique potentielle de la mer du Nord ? Quels sont les risques ? Pourquoi en parle-t-on en ce moment ? Que font les autorités ? Un documentaire sur les armes chimiques provenant des deux guerres mondiales jetés au fond des mers du Nord lance l'alerte.

D'où vient la pollution chimique ? 


Pendant les deux guerres mondiales, les Alliés ont volontairement coulé de très nombreux navires transportant près de trois milliards de tonnes d’armes chimiques (gaz moutarde, munitions au chlore ou au sarin) et conventionnelles.  Trois milliards de tonnes encore aujourd'hui au fond de la mer du Nord et de la mer Baltique. «À l’époque, l’immersion représentait la solution la moins dangereuse», explique à Daily science la professeure Sylvie Gobert, du Laboratoire d’océanologie de la Faculté des sciences de l’Université de Liège (ULiège). 

Pour « traiter et éliminer des quantités considérables de munitions non utilisées, (…) l’immersion était alors la solution la moins coûteuse, la plus rapide et la plus sûre », explique la Marine nationale. Après la guerre 39-45, les Américains ont notamment fait couler des navires allemands pleins de munitions. A l'époque, officiellement, on disait ne pas connaître les risques de telles pratiques.
 

En mer du Nord, une cinquantaine de sites sont concernés. Mais ce chiffre pourrait avoir été sous-estimé. La France refuse de dire clairement quelles sont les zones concernées mais on sait qu'il y a bien eu ce type de déversement au large de Dunkerque, Gravelines ou encore Boulogne-sur-mer. Le banc de sable de Paardenmarkt à Knokke (Belgique) abrite également 35 000 tonnes de munitions. 

Sur la carte ci-dessous, sont recensées les zones dans l'ouest de la France où des munitions sont immergées. 

 


La pollution chimique de la mer est une problématique enfouie depuis des années. Sur terre, les bombes des deux guerres mondiales sont prises en charge quotidennement et pendant encore de nombreuses années par les services de déminage. Mais les armes déversées dans la mer ne sont quasiment pas prises en charge.

 

Quels sont les risques ? 


"Une catastrophe sans précédent". Sans action de dépollution, des scientifiques prédisent un désastre environnemental. Au fond de la mer, les fuselages métalliques qui confinent les substances chimiques se corrodent. La plupart de de ces substances restent toxiques en se décomposant dans l'eau. "Les études scientifiques sont alarmantes, explique le documentaire "Menaces en mer du Nord". Selon l'institut océanographique de Moscou, il suffirait qu' un 6 ème de ces substances s'échappent dans la Baltique pour supprimer toutes formes de vie pendant un siècle."

Les fuselages sont-ils encore en bon état ?  En 1972, un rapport belge concluait que les fuselages des munitions étaient relativement en bon état. Qu’en est-il actuellement ?

Selon certains scientifiques, les barils qui les confinent mettent entre 80 et 100 ans à rouiller :  " Les nombreux produits chimiques utilisés dans les munitions, pouvant être libérés lors de leur dégradation, et éventuellement présenter des risques pour la chaîne alimentaire marine, causent également des préoccupations, nuance la Commision OSPAR (Convention pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du Nord-Est). Néanmoins cela ne semble pas être le cas actuellement dans la zone OSPAR. Les quelques données disponibles indiquent peu ou pas de contamination du poisson, des mollusques et crustacés ou des sédiments à proximité des sites d’immersion." Et il précise notamment : "Des études belges ont révélé que la contamination des sédiments par le gaz moutarde provenant d’un obus de la Deuxième Guerre mondiale est limitée à un rayon de 3 cm autour de l’obus."


Mais le documentaire "Menaces en mer du Nord" évoque d'autres élements à charge :
  • Des témoignages de la marine nationale danoise certifient la contamination des pêches en mer Baltique. Et des compensations financières sont données à certains pêcheurs. Des marins ont été blessés par des armes chimiques.
  • Un démineur de l’Otan observe que « les poissons sont contaminés ». Des prélevements positifs ont été effectués ces dernières années.
  • L'Institut Alfred Wegner en Allemagne affirme, après études, que l'on peut trouver des composants chimiques dans les poissons : "Acceptons-nous qu'il y ait des traces d'arsenic faites pour tuer des humains dans notre alimentation ? ", se demande un chercheur dans le documentaire "Menaces en mer du Nord".
Autre menace : un naufrage sur les zones dont les profondeurs sont jonchées de munitions. «En 2001, un porte-conteneur s’est échoué à proximité du site, explique Jacques Loeuille, réalisateur de "Menaces en mer du Nord". Si l’étrave du navire avait labouré les sables du banc, le bateau aurait probablement déclenché une explosion contaminant les côtes belges, hollandaises, françaises. Faut-il attendre une catastrophe maritime pour aller inspecter l’état de corrosion des obus ?»
 

Pourquoi on en parle en ce moment ?


Grâce à un documentaire diffusé par France 3, LCP et la RTBF depuis plusieurs mois. Il s'intitule "Menaces en mers du Nord" et a été réalisé par Jacques Loeuille. 

Vous pouvez le voir ou le revoir en intégralité ci-dessous
 
 

Que font les autorités ? 


Le documentaire dénonce le silence des autorités françaises qui ont refusé de coopérer pour le documentaire. Secret, minimisation des risques, opacité... Difficile de savoir ce qui est fait ou non pour éviter tout risque sanitaire ou environnemental. 

La Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement des Hauts-de-France (DREAL) a par exemple indiqué à la Voix du Nord qu’elle « n’a pas réalisé à ce jour d’étude sur la localisation, l’impact ou le traitement des munitions (…) submergées suite aux deux guerres mondiales ». La Belgique, le Danemark, le Royaume-Uni, la Russie commencent à communiquer sur le sujet. Pas la France. "Comment expliquer que des pays comme l'Allemagne et la Belgique -dont le budget militaire est faible- travaillent sur des solutions alors que la France ne fait rien ", se demande Jacques Loeuille.

Le documentaire semble éveiller les consciences et même simplement faire découvrir la problématique. Le député du Nord Christian Hutin (MRC) a par exemple été choqué par les images et a décidé se saisir du sujet. "On a là une chose extrêmement urgente et grave, a-t-il expliqué sur le plateau de France 3 Nord Pas-de-Calais cette semaine. Et personne n'en parle. On a un secret-défense absolument terrible. Moi  je m'intéresse à l'histoire mais je ne pensais pas que c'était à ce point-là. Ce n'est pas possible de continuer à conséidérer qu'il n'y a pas de risque majeur."
 


Il a écrit au Premier ministre pour lui demander d'agir : « Entre la France et l’Allemagne, les fonds marins qui longent le littoral belge forment un vaste tapis de bombes toxiques et de faible profondeur, écrit-il. Face à ce danger, je souhaite connaître les mesures d’urgence que vous comptez prendre tant au niveau national qu’international pour conjurer cette menace, une vaste coopération entre les pays concernés étant une obligation indispensable. »


 
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