Festivals, expositions, tout ce qui fait la vie s'est annulé avec le confinement. Une mise à l'arrêt qui risque de mettre en péril le revenu de beaucoup d'intermittents du spectacle. A Amiens, les artistes sont inquiets.
Le confinement a beau laisser du temps, beaucoup de temps, trop même, le coeur n'est pas à la création. Chez Philippe Leroy, les guitares à l'arrêt ont des têtes de désaccordées. Le musicien n'arrive pas à travailler. Il n'a pas la tête à composer : "Y a rien à faire. Je m'assois au piano et je n'y reste pas, s'attriste-t-il. Je n'y arrive pas du tout. Et je ne suis pas le seul. Tous les copains que j'ai eus au téléphone sont pareils. L'ambiance n'est pas à la musique, à la chanson. On créerait un peu sous la contrainte : on n'a rien à faire donc on crée. Mais ce n'est pas comme ça que ça marche. On a besoin qu'il y ait de la vie pour créer des choses".
Double peine
Au-delà de l'atmosphère anxiogène ambiante, l'avenir pose énormément de questions. "Pas de travail, ça veut dire pas de salaire. Mais on n'est pas les seuls, constate l'artiste. Je n'aimerais pas être restaurateur en ce moment par exemple. Mais au moins, les restaurateurs, ils savent que ça va reprendre. Nous, les intermittents, on a des difficultés à court terme mais aussi à long terme : à la fin du confinement, je ne pense pas que les gens aient tout de suite envie de se mettre à 3000 personnes dans un Zénith. A mon avis, l'ambiance ne sera pas tout de suite à ça."
Et c'est la double peine pour les intermittents du spectacle. Car s'ils n'ont pas de salaire en ce moment, si le monde du spectacle reprend du service, ce sera au ralenti. Ce qui, en plus, pour beaucoup d'intermittents, ça ne suffira pas : nombreux sont ceux qui n'auront pas le fameux quota de 507 heures travaillées dans une année pour prétendre à des indemnités de chômage. "La situation des intermittents était précaire, explique Philippe Leroy. Mais avec ce qui se passe actuellement, ça va être pire dans les mois à venir. Moi, mon compte d'heures n'y est pas, n'y sera pas cette année et probablement pas non plus l'année prochaine. Beaucoup vont perdre leur statut".
Un avenir sombre
Et l'annulation de grands rendez-vous culturels va empirer les choses : "par exemple le festival d'Avignon, c'est un festival mais aussi un marché. Des artistes, de théâtre mais aussi de la chanson, vont y vendre leur spectacle, explique Philippe Leroy. Donc toutes les compagnies qui ne vont pas aller à Avignon ne vont pas vendre leur spectacle pour l'année prochaine et ne feront donc pas de tournées. Personne ne va voir les spectacles de personne. Les programmateurs ne vont rien voir et donc ne pourront pas acheter. Et c'est en ça que ça va être très compliqué pour la suite. A mon avis, on en a pour deux ou trois ans avant que la situation ne redevienne normale. A supposer que du côté sanitaire tout soit rentré dans l'ordre."
Devant le Cirque d'Amiens, Julien Dufour avoue sentiment de tristesse : "c'est un lieu où on est censés faire la fête, passer du bon temps. Et c'est triste de le voir fermer."
Le confinement et la mise à l'arrêt de la culture est une catastrophe pour ce tour manager également régisseur lumière : "je viens de perdre une trentaine de dates avec une artiste canadienne qui tourne dans toute l'Europe. J'avais un projet qui démarrait en juin avec une artiste de The Voice avec beaucoup de dates. J'avais deux festivals en gestion directe. Tout ça, c'est une perte effective d'une cinquantaine de dates sur les trois/quatre mois qui arrivent. Si le confinement s'arrête en juin, j'aurais perdu 5 à 6000 euros de revenus."
Des conséquences profondes sur le milieu
Si son statut d'intermittent n'est pas menacé car renouvelé au mois de juin, Julien s'interroge sur la suite : "le milieu du spectacle, ce n'est pas que les intermittents. Ce sont aussi les restaurants qui sont à côté des salles et qui en vivent. Ce sont les hôtels, les photographes, les indépendants qui vivent de ce monde-là. Pour l'instant, la réponse apportée, c'est un petit pansement sur un gros bobo. Le temps de redresser toute l'économie du spectacle vivant, ça va prendre un ou deux ans".
Sa crainte principale, c'est un marché du travail qui sera restreint : "beaucoup de prestataires et de productions auront déposé le bilan. Donc les intermittents qui auront le plus besoin d'argent et pour lesquels ça va être vital de travailler vont brader les prix vont tout faire pour trouver du travail. Et comme on est en concurrence permanente les uns avec les autres, ça va être difficile."
Plusieurs pétitions circulent actuellement adressées au ministre de la culture pour que la situation du monde du spectacle vivant soit examinée.