Depuis le 14 mars, les tribunaux se concentraient sur les affaires urgentes pour cause de confinement. Dès le 11 mai, un retour progressif à la normale va être mis en place.
Pas facile de remettre en marche une machine comme la justice quand celle-ci a tourné au ralenti pendant deux mois. Et encore moins facile lorsqu'il faut la relancer dans le contexte particulier du déconfinement. Jusqu'à présent, les tribunaux se concentraient sur les affaires urgentes. Dès le 11 mai, la reprise d'activité va se faire progressivement.
Un palais de justice presque vide depuis 2 mois
Chaque tribunal le fera selon les particularités de sa juridiction. À Amiens, la cour d'appel et le tribunal judiciaire vont reprendre leurs activités pour, à terme, "rétablir, dans le respect des règles sanitaires, un fonctionnement normal de l’activité judiciaire", selon un communiqué de presse. Depuis mi-mars, le tribunal s'est confiné. La plupart des audiences ont été renvoyées. Seules les audiences urgentes comme les violences conjugales et les comparutions immédiates. Les prévenus étaient entendus par visioconférence. Le télétravail a été facilité car la juridiction est pionnière en matière de numérisation des procédures.Mais dès le 11 mai, les couloirs du palais de justice vont résonner d'un peu plus de vite de bruit que depuis ces deux derniers mois comme le déplorait fin mars Me Berriah :
Lundi 11 mai, le tribunal sera ouvert "à toutes les personnes convoquées en audience ou devant un magistrat, ainsi qu’à l’ensemble des professionnels de la justice". Jusqu'à présent étaient maintenues les urgences pénales et civiles ainsi que les jugements sans audience mis en place pendant le confinement. Le 11 mai, vont reprendre au sein du tribunal judiciaire d'Amiens :
- les audiences correctionnelles;
- les audiences de plaider coupable (CRPC);
- les audiences du tribunal pour enfants;
- les audiences du juge aux affaires familiales;
- les référés civils;
- et les audiences civiles des tribunaux de proximité d’Abbeville et de Péronne.
Masque, stylo personnel et gestes barrière
Un protocole a été édicté pour éviter la propagation du coronavirus Covid-19. Il s'agit en premier lieu de restreindre le nombre de personnes au sein du tribunal. Les audiences se feront donc sans public et seules les personnes convoquées pourront accéder au palais de justice (sauf pour se rendre au service d’accueil unique du justiciable). Elles devront respecter les gestes barrières, porter un masque et venir avec leur stylo personnel pour limiter les risques de contaminationDu côté des personnels, la reprise se fait avec confiance. Du moins à Amiens : "on attend les masques du ministère de la Justice. On nous dit qu'ils arriveront le 11 mai. Si ce n'est pas le cas, on a toujours les masques commandés par le chef de cour début avril de sa propre initiative à une entreprise locale. On va nous en redistribuer la semaine de la reprise", explique Emmanuelle Kherief, représentante du syndicat des greffiers de France dans la Somme et l'Aisne. Des masques non homologués à l'époque mais "on était au cœur de la crise et on n'en trouvait nulle part. C'était déjà bien que la cour d'appel en ait achetés sur ses deniers propres. Ici, tout s'est bien passé : on a eu 40 ordinateurs portables pour que les greffiers qui le pouvaient fassent du télétravail. Je sais que ça n'a pas été le cas partout". Selon elle, tous les aménagements nécessaires à la distanciation sociale comme la pose de panneaux en plexiglas sont prêts pour le 11 mai.
Couacs et flou
Des masques qui ont fait grincer des dents parmi les greffiers des tribunaux de Saint-Quentin et de Beauvais. Ils ont été distribués aux alentours du 5 mai, à raison de deux par fonctionnaire. Avec, en pièce jointe du mail informant du dispositif, une fiche technique explicative. "C'est la cour d'appel d'Amiens qui les distribués à tous les tribunaux dont elle a la charge. Et sur la fiche, il est écrit qu'ils ne sont pas homologués, explique Thierry Bacichi, en charge de la représentation syndicale des greffiers de Beauvais et de Senlis. Beaucoup se sont inquiétés de devoir reprendre leur poste avec des masques qui ne sont pas aux normes".Sauf que ces masques non homologués sont ceux commandés par la cour d'appel début avril. Et que, le temps qu'ils arrivent jusqu'à Saint-Quentin et Beauvais avec un mois de retard, ils avaient reçu l'homologation. "Il y a eu des erreurs mais face à l'inertie de la direction des services judiciaires et du ministère, il a bien fallu que les cours d'appel se débrouillent dans bien des domaines, déplore Sophie Grimault, secrétaire départementale adjointe du syndicat des greffes de France postée au tribunal judiciaire de Limoges. Le Ministère n'a rien anticipé. Comme nous n'avions aucune précision, chaque cour a fait comme elle pouvait. La direction des services judiciaires n'a rien fait avant donc tout se fait dans l'urgence et de manière éclatée. Par exemple, les plexiglas ne sont arrivés que mercredi dans certaines juridictions. Pareil pour les ordinateurs : c'est au moment du déconfinement que le Ministère a commandé 1000 ordinateurs portables pour que les greffiers puissent travailler en télétravail. Sauf qu'on est 10.000 en France. Autre problème : les logiciels sur lesquels on travaille, il faut les acheter ou alors ne permettent pas le télétravail. Quand ? Ça fait des années qu'on demande du télétravail pour les greffiers mais le Ministère ne veut pas. En ce moment, on a besoin de faire du télétravail mais on n'est pas prêts. Donc on dit que la justice n'a pas fonctionné : si, elle a fonctionné mais avec les moyens qu'on lui a donné."
Une juridiction qui a continué à travailler
Un flou qui gêne également les avocats : "on m'a dit de venir avec un masque à mon audience lundi à Amiens, raconte Nathalie, avocate à Saint-Quentin dans l'Aisne. Mais comment je peux plaider avec un masque ?" Une inconnue que confirme Anne Bolliet, bâtonnière du barreau de la Somme : "on ignore des pans entiers de la reprise qui tient à la réaction des gens. J'ai rapidement conseillé aux avocats de mettre un masque dans les couloirs, la salle des pas perdus. Mais toutes les mesures de précautions qui pouvaient raisonnablement être prises ont été prises : l'accueil a été balisé; dans les salles, un fauteuil sur deux a été condamné; du gel hydroalcoolique a été placé un peu partout. Dans la salle d'audience, on verra. Les avocats n'utilisent pas de micro mais certains prévenus oui. On verra".Elle se félicite que le tribunal judiciaire et la cour d'appel d'Amiens ait pu repartir aussi rapidement : "la juridiction, avocats, magistrats, greffiers, n'ont jamais été à l'arrêt comme ça a pu être le cas ailleurs. Ils ont continué à travailler en souterrain. Et c'est grâce à ça que le plan de reprise adapté est possible : une partie de ce travail consistait à préparer l'après. Un après dont le calendrier est, pour elle, "raisonnable, pertinent et satisfaisant les juridictions n'étaient pas en sommeil mais l'activité étaient souterraines. Elles vont juste recommencer doucement à remonter à la surface. Et la progressivité est satisfaisante jusqu'à ce que le 25 mai, toutes les audiences puissent reprendre. Je suis très contente qu'on recommence rapidement avec des affaires qui sont essentielles pour les gens notamment les affaires familiales. Le barreau veillera quand même à ce que le droit s'applique puisque nous sommes toujours en état d'urgence sanitaire."
Après la grève des avocats et le confinement, tout ne pourra pas être jugé en 2020. Pour repartir, la machine judiciaire va devoir s'adapter, juger autrement et trouver des peines alternatives.