Murielle Stentzel, Française expatriée dans le Kent, a dû revenir en France après avoir été victime d'actes de xénophobie et de racisme liés au Brexit. Elle raconte comment son quotidien est devenu un enfer.
Murielle Stentzel n'a pas peur d'utiliser des mots durs. Contactée par téléphone, on la sent déçue, "trahie". "Cela faisait 8 ans que je vivais en Angleterre. A partir du referendum sur le Brexit, c'est devenu catastrophique", souffle-t-elle.
L'histoire commençait pourtant bien. Amoureuse de l'Angleterre - "un pays tolérant, ouvert, que j'adorais" -, la jeune femme s'installe en 2009 dans le Kent, à Herne Bay, petite ville côtière. Là-bas, elle travaille en tant que secrétaire dans une entreprise d'experts-comptables, qui passe régulièrement des contrats avec Londres. Jusqu'au jour où le Brexit débarque dans l'actualité du pays.
"Du jour au lendemain, mon entreprise a perdu des contrats et on m'a licenciée. J'ai envoyé 30 CV par semaine; dès que j'avais un entretien, on me discriminait sur le fait que je sois française. Certaines annonces indiquaient même "British Nationals Only" ("Réservé aux Britanniques" nldr) ce qui est complètement illégal pour le moment !", s'indigne Murielle Stentzel.
"Comme quand les Juifs devaient porter l'étoile jaune"
Au jour le jour, elle subit de plus en plus de remarques xénophobes. "Un jour je prenais le bus, les fenêtres étaient grandes ouvertes et il faisait froid. Lorsque j'ai été voir le conducteur pour lui demander si je pouvais fermer les fenêtres il m'a répondu "If you're not happy return to frogland" ("Si tu n'es pas contente, retourne au pays des grenouilles"). J'étais sous le choc", explique la Française.
La crainte s'installe. "Une fois, j'étais au téléphone avec ma fille. Quelqu'un a reconnu mon accent français et m'a traitée de "bitch" - "salope". Avec les autres expatriés, on n'osait plus parler Français dans la rue." Murielle Stentzel raconte aussi comment le gouvernement a obligé les associations à transmettre des listes de sans-abris étrangers. "Ceux-là ont été déportés dans des camps de transit avant d'être renvoyés dans leur pays. Les banques ont aussi demandé aux Européens de fournir la preuve qu'ils avaient le droit d'être en Angleterre. On croyait vraiment voir la montée du fascisme en Allemagne."
La comparaison, terrible, Murielle Stentzel la poursuit en évoquant le "UK settled status", que vont devoir obtenir tous les Européens résidant en Angleterre, avant 2019. "On nous a demandé de fournir 5 ans de documents administratifs, d'impôts, d'assurance santé... 5 ans, c'est énorme. Le tout pour avoir une petite carte en plastique qu'il faudra montrer partout, tout le temps, avoir toujours avec soi. Avec ça, on sera immédiatement ciblé comme "étranger". Comme quand les Juifs devaient porter l'étoile jaune."
Forcée au départ
C'en est trop pour Murielle Stentzel. Poussée quotidiennement à rentrer chez elle, sans travail, ni allocation chômage, elle décide de rentrer en France, laissant derrière elle sa fille et sa petite-fille. "Ca fait mal." Désormais, elle tente de reconstruire sa vie à La Rochelle, loin des côtes anglaises. "C'est terrible parce que d'un côté j'aime toujours ce pays. mais de l'autre je n'ai plus confiance, c'est fini", poursuit Murielle Stentzel.
Comme elle, d'autres expatriés parmi les 3 millions qui vivent en Angleterre subissent comme elle ces attaques xénophobes, alimentées selon elle par le discours du gouvernement. Elle nous raconte l'histoire de cette Française mariée à un Anglais, vivant là-bas depuis plus de 30 ans. A qui on a demandé de partir car elle était malade. Des histoires toutes aussi dramatiques les unes que les autres, en partie racontées dans un livre, auquel Murielle Stentzel a participé : "In Limbo", "Dans les limbes". Une série de témoignages d'expatriés qui racontent comme le Brexit a changé leur vie du jour au lendemain.
"C'est important que les Français, les Européens, sachent comment on est traités là-bas. Il y a des familles séparées, déchirées. Je ne suis pas une "drama-queen" : des cas comme moi, il y en a plein et des pires", conclut Murielle Stentzel. Et d'ajouter, tristement : "Je n'y retournerai pas."