Le jury des talents des cités a récompensé la toute jeune fabrique textile Les Trois Tricoteurs installée à Roubaix dans la catégorie création. Et c’est une nouvelle fois un projet logé à Soissons qui les a séduits dans la catégorie émergence, la pâtisserie Patiss’N.
D’un côté, les machines s’activent manipulant le fil de la bobine pour créer au choix une paire de chaussettes, un tee-shirt ou un pull. De l’autre, un bar où, installés sur des chaises, des clients sirotent une bière en suivant la scène des yeux. Voilà quelques mois que ce lieu atypique, niché à Roubaix, géré par trois jeunes ingénieurs en textile, a ouvert ses portes. Plus au sud, à Soissons, une pâtisserie qui se destine à proposer des créations sur commande et des ateliers pratiques pour des personnes issues de tout milieu social espère ouvrir les siennes.
Leur point commun ? Deux projets, installé pour le premier, destiné à s’installer pour le second, dans un quartier défavorisé et ayant été récompensés par le concours talents des cités organisé en Hauts-de-France. Les jeunes patrons des Trois Tricoteurs et du Patiss’N qui ont remporté respectivement 2000 euros dans la catégorie création et 1000 euros dans la catégorie émergence espèrent que leur projet mêlant écologie, anti-gaspillage et social pour l’un et numérique et social pour l’autre taperont dans l’œil du jury national qui doit rendre son verdict début septembre. "C’est une enveloppe de plusieurs milliers d’euros à la clé", ce serait "un coup de pouce énorme" pour les deux projets.
Le duo soissonnais n’en est qu’aux prémices d’une histoire amorcée mi-mai. Poussé par sa femme, Nicolas Bocquet s’est finalement lancé avec Nacima Ait Meddour, son associée. L’existence de ce concours déjà gagné par des Soissonnais dans cette catégorie l’année précédente revient aux oreilles du couple par un post sur les réseaux sociaux. "Il restait moins de deux semaines pour monter le dossier. Ça faisait des années que mes proches, mes amis pour lesquels je préparais des gâteaux me disaient 'mais pourquoi tu ne te lances pas ? Tu pourrais vivre de ta passion'."
Une reconversion pour une nouvelle vie
Longtemps intérimaire, plusieurs fois licencié économique car dernier arrivé, celui qui a créé sa micro-entreprise de bricolage profite d’une opportunité pour valider un CAP pâtisserie à Soissons en une année au lieu de deux et apprend la technique de base. Le confinement et le Covid bousculent la petite graine plantée depuis des années par ses proches dans la tête de Nicolas.
Avec l’aide du BGE Picardie, il monte un dossier avec Nacima qu’il a rencontré lors de sa formation et tous deux présentent le concours. "On est lauréats. C’est hyper encourageant, on se dit que si le jury a apprécié forcément que des gens seront intéressés aussi. Je ne peux que remercier profondément ma femme. En plus, j’ai appris ça la veille de mon anniversaire, je peux vous dire qu’on l’a bien fêté", glisse-t-il dans un rire.
Une suite au final logique pour le gamin fasciné par la cuisine qui filait dans l’Oise chez ses oncles pendant les vacances pour les accompagner derrière les fourneaux. "Les couleurs, les goûts, les formes, je passais mon temps à piquer des choses à droite à gauche. Ce sont ces moments conviviaux que j’avais envie de retrouver aussi je pense" se remémore-t-il. En parallèle d'une proposition de commandes de créations pâtissières en ligne, Nacima et Nicolas comptent assurer des ateliers ouverts à tous. "L'objectif est de toucher toutes les classes sociales, de mêler les parents et les enfants, et une fois par mois, on va organiser un atelier pour les plus démunis. Ça fait sept ans que je suis à Soissons, on sait qu'on va s'installer dans un quartier plutôt défavorisé, avec beaucoup de chômage et on a vraiment envie de toucher tout le monde."
Pour cela, le duo espère trouver un local assez grand. Dans tous les cas, il prévoit de se déplacer notamment "dans des structures sociales comme les Ehpad". Plusieurs structures sont déjà partantes, mais le duo débute tout juste son parcours pour créer son entreprise. "On a des rendez-vous avec la banque prévus, dans l'idéal on espère ouvrir en janvier 2022", souligne Nicolas, qui compte garder sa micro-entreprise de bricolage pour assurer les semaines plus creuses.
Le textile responsable pour favoriser les rencontres
La trajectoire est tout autre pour le trio à la tête de la fabrique de textile de Roubaix. Il s’agit là du premier projet d’un trio tout juste sorti de l’école d’ingénieurs située de l’autre côté de la rue. "Ma grand-mère était styliste de haute couture, je voulais faire pareil", débute Sacha. "Sauf qu’au lycée, on s’est rendu compte que j’avais quelques capacités en maths et on m’a dit 'il ne faut pas gâcher ça'. Et le conseiller d’orientation m’a parlé d’une école d’ingénieur textile. C’était parfait pour concilier tout ça. Il a changé ma vie."
Ce titre de lauréat est un premier grand pas pour cette équipe qui attend toujours de pouvoir se verser son premier salaire. Les lauréats de cette catégorie du concours régional ont décroché une enveloppe de 2000 euros. De quoi souffler un peu.
On était jusqu’à il y a peu dans une phase de prototypes sans rentrée d’argent, avec une période en plus incertaine. Je peux vous dire que quand on a reçu le mail (...) c’était la joie. J’ai couru partout dans l’atelier, je tapais dans les mains de tout le monde.
Car Sacha, Victor et Alexandre comptent bien se faire une place dans le milieu. "À Roubaix, il se passe plein de choses autour du textile responsable, c’est hyper enrichissant. On a créé un espace pour favoriser ces rencontres, avec des gens du textile ou avec des personnes venant de milieux très différents, on adore faire ça."
Des produits locaux et bio
Pour se démarquer, ils tentent de proposer des produits de qualité accessibles. Le tout grâce à des machines qui permettent de faire "des vêtements sans couture" et "moins il y a d’intervention humaine moins les produits sont chers". "En amont, il faut faire un gros travail de programmation, de manutention, mettre en place les bobines, parfois on lave, on repasse, on gère l’approvisionnement, la vente, le bar et les réponses aux questions des clients", énumère la jeune femme de 27 ans.
C’est le genre de machine qu’on utilise en général pour créer des pièces dans des entrepôts cachés. L’idée c’était de mêler, le social, un souci écologique et d’apporter un maximum de transparence dans un secteur qui en manque. Si l’atelier est en bazar quand les clients viennent, bah ils le voient, on assume.
Les associés font appel dès que possible à des produits locaux et bio. Ils utilisent notamment du coton bio et de la laine mérinos "une laine méga-douce aux propriétés antibactériennes et d’entretien exceptionnelles". Ses bienfaits en étonnent plus d'un. "Quand on dit aux clients qu’à part s’il y a une tache, il ne faut surtout pas le laver, que l’aérer suffit pour faire partir les odeurs, ils nous regardent avec des grands yeux."
L’atelier ne dispose que d’un modèle dans chaque taille pour chaque couleur et ne relance la production d’un produit qu’après sa vente. Tout est fait "pour ne pas avoir de débardeur sur les bras" dans une logique de non gaspillage. Les chaussettes, personnalisables sur le site web, sont créées en dix petites minutes sous les yeux des clients. Il faut attendre un peu plus d’une heure pour un pull et une vingtaine de minutes pour un débardeur.
Les deux lauréats attendent avec impatience les résultats de la grande finale nationale dont la cérémonie se tiendra le 7 octobre au ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance à Paris. De quoi, décrocher peut-être le gros lot et assurer leurs rêves respectifs.