Ce vendredi 30 avril se tient la journée mondiale des mobilités et de l'accessibilité. À l'occasion, Nicolas Karasiewicz, "éveilleur de conscience" atteint d'une déficience visuelle fait le bilan de l'inclusion des personnes en situation de handicap dans les Hauts-de-France.
Ce vendredi 30 avril se tient la journée mondiale des mobilités et de l'accessibilité. En France, les handicaps concernent 12 millions de Français et Françaises. Toutefois, l'accessibilité à de nombreux lieux publics n'est pas toujours garantie.
Les choses ont certes évolué depuis la loi sur le Handicap de Simone Veil de 1975, "mais ce n'est pas assez", selon Nicolas Karasiewicz, atteint d'une déficience visuelle, qui se définit comme "éveilleur de conscience".
Ce Lensois de naissance travaille dans les Hauts-de-France sur la question de l'accessibilité pour tous les handicaps physiques depuis l'âge de 19 ans, il en a 34 aujourd'hui. Avec Marie-Hélène Vieira, fondatrice de la société HDF Accessibilité, il tente d'interpeller les pouvoirs publics et les entreprises pour permettre une meilleure inclusion des personnes en situation de handicap dans la région.
"J'ai tendance à voir le verre à moitié plein"
"J'ai tendance à voir le verre à moitié plein. Depuis la loi de 1975, il y a eu des évolutions, et encore plus depuis celle de 2005, explique Nicolas Karasiewicz. Le problème, c'est que très longtemps, on a fait un raccourci : le handicap est égal au fauteuil roulant." En réalité, "et sans vouloir stigmatiser, évidemment", seulement 2% des personnes handicapées sont en fauteuil roulant. Pour lui, l'accessibilité doit être pensée pour tous les types de handicaps.
Le problème, c'est que très longtemps, on a fait un raccourci : le handicap est égal au fauteuil roulant.
Il reconnaît toutefois un décloisonnement sur le sujet. Depuis quelques années, "on se rend petit à petit compte que 80% des handicaps en France sont invisibles". Les évolutions aussi se font voir, grâce aux actions de sensibilisation menées par les associations, mais aussi par la technologie et le numérique "qui améliorent le quotidien de ces personnes".
Depuis le début de la crise sanitaire, Nicolas Karasiewicz constate également "une prise de conscience de la part des collectivités et des entreprises" des Hauts-de-France notamment, avec qui il travaille. Mais rien n'est gagné encore, "il y a encore beaucoup de choses à faire", admet-il.
Les Hauts-de-France, "un territoire très hétérogène"
Son expérience de terrain de 15 ans lui a permis d'arpenter la région, à la rencontre d'acteurs locaux, de collectivités et d'entreprises. Si les Hauts-de-France ne sont pas non plus un exemple d'inclusivité, ce n'est pas l'envie qui manque. "Aujourd’hui, les collectivités qu’on rencontre ont l'argent, ont envie de faire des choses mais elles ne savent pas à qui s’adresser, explique-t-il. Les entreprises avec qui je travaille veulent sincèrement s'améliorer."
Aujourd’hui, les collectivités qu’on rencontre ont l'argent, ont envie de faire des choses mais elles ne savent pas à qui s’adresser.
Mais globalement, la région reste un "territoire très hétérogène". Si on prend le cas de Lille, "c'est plus facile de se développer car le réseau de transports est accessible, même s'il y a encore des points à améliorer". Mais dans cette même ville, en fonction des quartiers, l'accessibilité sera différente. "Au Vieux-Lille, par exemple, il est compliqué de circuler avec un fauteuil roulant ou une canne", note Nicolas Karasiewicz.
Les territoires plus ruraux de la région, eux aussi, ont encore une grande marge de manoeuvre. "Si on prend l'exemple d'une autre grande ville comme Dunkerque, j'ai un ami en fauteuil roulant qui a des difficultés pour se déplacer dans la ville, témoigne-t-il. Et si une personne prend le TER entre Lille et Lens, pour descendre à Hénin-Beaumont, c'est un véritable défi" car certaines gares ne sont pas pensées pour les passagers handicapés, sourds, aveugles ou à mobilité réduite.
"L'accessibilité, c'est avant tout une question d'usage"
Alors, que faire ? Nicolas Karasiewicz explique que pour penser l'accessibilité efficacement, il faut la penser avec les personnes concernées. "Plus on aura une approche en amont avec les concernés, moins on aura un sentiment de frustration, constate-t-il. On ne peut pas simplement lire la norme de manière technique lorsqu'un bâtiment sort de terre. L'accessibilité, c'est avant tout une question d'usage."
De plus, partir du point de vue des personnes handicapées, "c'est servir l'intérêt général" car la rampe d'accès "peut aider une mère avec sa poussette, une annonce sonore qui aide une personne aveugle peut tout autant aider un touriste."
Aujourd'hui, c’est inconcevable de ne pas prendre en compte la question environnementale ou sécuritaire dans un bâtiment, alors pourquoi ne pas penser à l'accessibilité ?
L'éveilleur de conscience constate que les entreprises avec qui il travaille commencent à faire des progrès en terme d'accessibilité. Ils ne sont pas nombreux, mais prouvent qu'à son échelle, il est possible de faire avancer les choses. "Aujourd'hui, c’est inconcevable de ne pas prendre en compte la question environnementale ou sécuritaire dans un bâtiment, alors pourquoi ne pas penser à l'accessibilité ?"
Avec la maison du don du sang à Lille, par exemple, il a mis en place une solution technologique pour permettre aux "donneurs à besoins spécifiques" de pouvoir donner leur sang, si précieux en cette période de crise sanitaire : une application informe à distance du trajet à parcourir pour accéder à la maison du don. Ensuite, "à quelques mètres d’arriver, une balise connectée en Bluetooth, collée à l’entrée de l’établissement, donne des précisions orales ou écrites, disponibles en 26 langues, depuis le smartphone de l’utilisateur", parmi lesquelles le nombre de marches, le sens de la poignée, la nature de la porte (automatique ou manuelle)
Autre cas de figure sur lequel il a travaillé : à la Banque populaire du Nord, "une personne sourde ou malentendante, qui veut échanger sans obstacle avec l’agent d’accueil possède à sa disposition des boucles à induction magnétique au point d’accueil." Il précise que ces solutions "ne sont pas aussi coûteuses qu'elles n'y paraissent."
Contre le "handiwashing"
Nicolas Karasiewicz souligne un dernier point : celui du handiwashing. "Beaucoup de boites parlent du handicap parce que ça fait du bien d’en parler, c’est tendance, dénonce-t-il. Sauf que le handicap; c’est toute l’année". Que l'on soit le 30 avril, journée mondiale de l'accessibilité et de la mobilité, ou un autre jour, "il faut en parler", martèle-t-il. "C'est bien d'en parler d'aujourd'hui, mais il faut aussi en parler le 1er mai, et en parler aussi après les élections départementales et régionales."
Car si le sujet de l'accessibilité est considéré comme une opération de communication à un moment donné, "ça aura ses limites car il faut avoir une vision transversale et large de ces sujets" et surtout, "travailler à son échelle" pour améliorer l'inclusion des personnes en situation de handicap. "Finalement, je suis juste le petite brique pour qu’on puisse bâtir ensemble la maison commune d’une société qu’on appelle inclusive" où chacun trouvera sa place quel que soit son besoin.