L'histoire du dimanche - le fabuleux destin du Picard Max Bougon, religieux condamné à mort en Chine puis gracié

Né à Amiens, l'abbé Max Bougon (1903-1996) a bien failli mourir en Chine, où il fut condamné à mort. Le Picard, qui a fini ses jours comme curé de Saint-Quentin-la-Motte-Croix-au-Bailly (Somme) fut, à son insu, le témoin de la période chaotique qu'a traversé le pays du Milieu de 1929 à 1952.

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Rien ne prédestinait l'abbé Bougon, longtemps curé à Saint-Quentin-la-Motte-Croix-au-Bailly (Somme), à finir ses jours dans sa Picardie natale. Car le prêtre est passé bien près de la mort lors de sa mission en Chine, où il est resté 23 ans. Arrivé en 1929 pour rejoindre une communauté trappiste près de Pékin, le jeune moine et ses compagnons ont été pris dans la tourmente de la guerre civile chinoise (1927-1949). L'abbé Bougon n'a pu s'en échapper qu'en 1952.

Des années après avoir survécu aux exécutions et à la prison, il plaisantait à propos de sa propre canonisation. "Saint Max Bougon ? Si j'avais été tué en Chine, on aurait pu essayer. Comme je suis vivant, l'affaire est enterrée maintenant !", lançait en 1987 l'homme d'église, resté célèbre dans le Vimeu pour sa générosité et son humour.

Découverte du pays du Milieu

Max Bougon est né à Amiens en 1903, dans une famille très catholique. Il décide très tôt de consacrer sa vie à la religion. "J'ai toujours eu cette idée d'être prêtre depuis ma jeunesse. Se dévouer pour les autres, célébrer la messe, les sacrements", confiait-il au micro de France 3 Picardie dans les années 1980.
 

À 23 ans, il est ordonné prêtre. Après un séjour à l'abbaye du Mont des Cats (Nord), près d'Hazebrouck, il décide de rejoindre les trappistes, ordre contemplatif qui valorise le travail manuel. Ces moines sont notamment connus pour pratiquer le jardinage et confectionner des fromages ou des bières. Adopté chez les trappistes sous le nom de père Maur, Max Bougon décide de partir en mission en Chine afin de rejoindre une communauté déjà établie près de Pékin. Nous sommes en 1929 et les longs voyages s'effectuent en bateau.
 

Nous sommes partis à deux sur l'André-Lebon, qui a servi pendant la Seconde Guerre mondiale comme transport de troupes. Le voyage a duré six semaines jusqu'à Hong Kong, puis Shanghaï. Là, on est restés quelques jours pour attendre un bateau plus petit, un Anglais, qui nous a conduit jusqu'à Tianjin.

L'abbé Max Bougon, en 1986

À Tianjin, Max Bougon et son compagnon de voyage trouvent le père supérieur Abel, qui les conduit à Pékin. "Ce n'était pas tellement différent de la France. Il y avait des pousse-pousse, qu'il faudrait d'ailleurs appeler "tire-tire", puisque les gens les tirent !", ironisait l'ancien missionnaire. Ils gagnent le monastère Notre-Dame-de-Liesse à Zhengding, dans la plaine plus au sud, à l'aide "d'un train qui passait les ponts à 4 km/h, parce qu'ils tenaient plus ou moins bien."
 


Après un an passé à Notre-Dame-de-Liesse où il apprend le mandarin, le jeune Max Bougon est envoyé à Notre-Dame-de-Consolation, un autre monastère situé à Yangjiaping, au nord-ouest de Pékin. Fondé en 1883, il est la première implantation de moines trappistes en Chine. "On a pris le train pour traverser la Grande Muraille et on avait ensuite trois jours à mule pour gagner le monastère, qui était perdu dans la montagne", racontait l'abbé en 1986.
 

On se levait à 2h du matin les jours ordinaires, 1h30 le dimanche, 1h le jour de grande fête. On partageait notre temps entre les prières, les études et les travaux manuels. On avait un immense jardin, on cultivait tous les légumes dont nous avions besoin. On a été jusqu'à 130 ou 140 religieux, il fallait nourir tout ce monde-là. C'est là qu'on cultivait beaucoup de choux l'hiver, j'ai pris l'habitude à cette époque-là.

L'abbé Max Bougon, en 1986

La région est instable en 1930 : alliés à l'époque, nationalistes et communistes chinois terminent d'unifier le nord du pays, dominé par des seigneurs de guerre locaux.

"On les appelait les brigands. On a soigné leurs blessés : y en avait un qu'on appelait "le vieux hibou". En Mongolie, il était connu pour torturer les gens, les écorchait vifs, mettait leur peau sur sa mule, mais il n'a jamais attaqué les missions. Il s'était fait coincer par les Japonais. On a soigné ses blessés, et il est venu lui-même nous remercier et remercier le monastère pour ce qu'on avait fait pour lui. On a été très polis, le fier homme ne nous avait rien fait de mal.

L'abbé Max Bougon, en 1986

Témoin d'une révolution

À l'échelle nationale, c'est le chaos politique en Chine. Les Japonais lancent une invasion en Mandchourie en 1931. Pour les combattre, communistes et nationalistes chinois maintiennent une alliance de façade.

Isolés dans les montagnes, les moines de Notre-Dame-de-Consolation se tiennent loin du conflit. Les Japonais s'emparent de la région de Pékin en 1937. Mais lorsqu'ils arrivent en octobre à Zhengding, plus au sud, plusieurs religieux de Notre-Dame-de-Liesse sont exécutés.

L'année suivante, les nationalistes chinois se retirent du front et les communistes prennent le relais pour faire reculer les troupes japonaises. Autour de Notre-Dame-de-Consolation, c'est la guérilla. Le 19 mars 1938, une délégation communiste arrive aux portes de l'enceinte du monastère.


"Ils voulaient nous dire qu'il étaient de braves gens, que nous n'avions rien à craindre, qu'on allait très bien s'entendre et qu'ils se défendaient contre le Japon, raconte Max Bougon. Pas de problème. Ils avaient en fait assez besoin de nous, parce qu'à chaque fois qu'ils avaient besoin de quelque chose à Pékin - j'y allais souvent puisque chargé des relations extérieures -, je leur faisais les commissions." 

Une fois, le Picard ramène une valise d'instruments de chirurgie pour monter un hôpital ; une autre, il dissimule sur lui des liasses de billets pour faire vivre une division, toujours en évitant les yeux des Japonais.

 

Si je ne rapportais pas les billets, ils pillaient les villages pour avoir de quoi vivre. [...] On n'hésitait pas à les aider : c'étaient des résistants contre le Japon qui était l'envahisseur. Comme les Allemands le furent en France juste après.

L'abbé Max Bougon, en 1986



Le monastère devient un hôpital de campagne pour les communistes, en conflit contre les seigneurs de guerre alliés aux Japonais. Puis les Nippons se retirent de Chine en 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, laissant communistes et nationalistes se regarder en chien de faïence. "C'est là que les ennuis commencent," glisse l'abbé Bougon.
 

Arrêté et emprisonné

En 1946, la rupture est consommée entre communistes et nationalistes, Notre-Dame-de-Consolation se retrouve alors au milieu d'une guerre civile ouverte. On propose aux moines européens d'être rapatriés, mais Max Bougon aime trop la Chine. Il quitte le monastère et devient curé en 1947 à Pékin, îlot resté sous contrôle nationaliste, où il pense être tranquille.

Pendant l'été, Notre-Dame-de-Consolation est incendié par les troupes communistes, qui avancent vers Pékin. Les religieux sont arrêtés. Une trentaine trouvent la mort, exécutés par balles ou morts de faim.

On a commencé à savoir que des trappistes se faisaient arrêter en 1947, mais sans avoir de détails. Puis on est venu me chercher dans ma paroisse. [...] On a parcouru près de 900 kilomètres à pied en une quinzaine de jours et je me suis trouvé arrêté pour de bon, comme les autres.

L'abbé Max Bougon, en 1986

En prison, il est enfermé en compagnie de quatre autres religieux. L'un meurt de phtisie, les trois autres obtiennent leur liberté fin 1948.
 

Max Bougon reste seul, nourri de deux bols d'eau par jour et de millet, et pèse alors près de 30 kg. "Je rêvais de bols plein de graisse, confiait-il plus tard. Les Chinois en mangeaient pas mal, notamment de la graisse de cochon bien chaude." Condamné à mort, le religieux ne peut qu'attendre. Dehors, la République populaire de Chine est proclamée en 1949.

Extradé en 1952

L'état de santé du religieux picard se détériore. Sous escorte, il est soigné à l'hôpital. "J'y ai retrouvé des blessés que j'avais soigné avant, qui m'ont fait une bonne réputation. Je n'étais pas aussi bien que chez moi, m'enfin je n'étais pas trop mal," raconte le prêtre. Ses pieds sont sérieusement gêlés, et certains de ses orteils, nécrosés, lui sont retirés simplement en tirant dessus.

J'ai demandé au médecin :  "- Si tu me coupes le gros orteil, ce sera guéri ? - Oui, tout de suite, il faut te faire une piqûre ? - Ça fait'y mal ? - Je ne crois pas. - Tu le fais d'un seul coup ? - Ah oui ! - Alors vas-y, on verra bien." Il l'a coupé, j'ai rien senti et huit jours après, c'était guéri.

L'abbé Max Bougon, en 1986


Les relations entre la France et la République populaire de Chine sont nulles : De Gaulle ne reconnaîtra le régime communiste qu'en 1964. En 1952, Max Bougon est au plus mal : on lui diagnostique une double pleurésie. Ces gêoliers prennent alors la décision de le libérer. Contrairement à certains de ses compagnons, l'Amiénois a échappé au martyr et regagne Pékin puis la France en 1952.
 

Mes gardes m'ont dit qu'ils préféraient se débarrasser de moi "pour que je crève dans le bateau". Comme je n'ai pas "crevé dans le bateau", je me suis vengé - et ce n'est pas très bien : je leur ai envoyé une photo de moi à Paris.

L'abbé Bougon, en 1986

 

Max Bougon retrouve alors sa soutane de curé dans sa Picardie natale. À partir de 1964, il officie à Saint-Quentin-la-Motte-Croix-au-Bailly, sa dernière paroisse. Témoin d'un univers chaotique dans sa jeunesse, il s'éteint paisiblement dans cette commune rurale du Vimeu à l'âge de 93 ans, en novembre 1996.


"J'ai l'éternité pour me reposer !, plaisantait le prêtre en 1986 à propos de son décès futur. Tout est prévu comme il faut, c'est sur ma cheminée. Les cérémonies sont prévues, les chants et les lectures aussi, il y a même des fiches chants pour les enfants de coeur et les prêtres pour que tout soit fait selon les règles. Après, s'ils ne font pas ce qu'il faut... Un curé voisin a dit que je donnerai un coup de pied dans le cercueil !"
 
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