Une commission reconnait le suicide d'un inspecteur du travail d'Arras comme "accident de service".
À 32 ans, Romain Lecoustre a mis fin à ses jours, chez lui, le 18 janvier. Jeudi matin à la préfecture de Lille, une commission de réforme (composée de représentants de l'administration, de médecins et de syndicalistes) a recommandé la reconnaissance de ce suicide en accident de service (équivalent dans la fonction publique de l'accident de travail dans le privé). Un avis consultatif que le Ministère du Travail s'est engagé à suivre : Xavier Bertrand devrait ordonner son application dans les jours voire les heures qui viennent.
Une commission réunie le 22 mars avait pourtant rendu un avis contraire, une expertise psychiatrique ayant même été ordonnée. Pour Pierre Joanny, du syndicat Sud Travail, « la bascule s'est produite dans les premiers jours d'avril : ce qui a joué, c'est d'abord la mobilisation continue des agents ces trois derniers mois, et notamment les dizaines de milliers de mails envoyés de toute la France à la direction ». Les agents de l'inspection de travail ont d'abord été menacés de sanctions, « mais petit à petit l'administration a plié », raconte Pierre Joanny. Le syndicaliste souligne également la reconnaissance en accident de service du suicide d'un autre inspecteur du travail (des Hauts-de-Seine) intervenue la semaine dernière, qui a aussi pesé sur l'avis favorable rendu hier.
Mais ce dénouement paraît bien tardif. En juillet 2011, le jeune inspecteur du travail - alors basé à Arras - avait déjà tenté de se suicider. Un acte finalement reconnu, à titre posthume en février dernier, comme accident de service (car lié à des relations délétères entre le jeune homme et sa hiérarchie locale, à Arras). Hier, un psychiatre a conclu que le suicide de Romain avait une relation certaine avec cette première tentative, et par voie de conséquence, avec ses conditions de travail.
Si l'avis rendu par la commission est satisfaisant pour ses collègues, c'est une satisfaction mêlée d'amertume. « Romain a du s'expliquer sur sa tentative de suicide pendant tout l'automne, explique Pierre Joanny. Ça l'a usé et épuisé. La hiérarchie d'Arras a eu un comportement très lourd de conséquences. Notre syndicat avait alerté l'administration nationale dès septembre. Elle disposait même d'un rapport d'expert antérieur à cet évènement qui notait les mauvaises conditions de travail. Mais ils ont tergiversé. La mutation de Romain à Lille l'a libéré d'une situation délétère. Mais comme sa souffrance n'était pas reconnue, il y avait un climat de soupçon à son égard. Dès lors, il n'a jamais eu l'occasion de se reconstruire. Si l'administration avait accepté d'ouvrir les yeux, on pense qu'il serait avec nous aujourd'hui ».
La tension est on ne peut plus forte entre les agents de l'inspection du travail et la haute hiérarchie. « La gestion du ministère du Travail est dramatique, lance Pierre Joanny. Et si on est militant syndical, c'est pire : on pointe les dysfonctionnements, on en parle, on écrit dessus, on aide les collègues qui ne vont pas bien… et donc forcément, on n'est pas très bien vu par ceux qui conduisent cette politique. Et l'autre facteur aggravant, c'est quand on tombe sur un petit chef zélé… ».
En 3 ans, on comptait déjà 4 suicides chez les inspecteurs du travail, dont « au moins un » clairement lié aux conditions de travail, selon le syndicaliste de Sud. En cause principalement : "la marchandisation du service public". « On est évalué sur la base d'indicateurs chiffrés, comme si notre travail était un service marchand, s'indigne le syndicaliste. Notre service aux usagers ne se quantifie pas comme les contrats d'assurance qu'on réussit à vendre ! Cette façon d'évaluer notre travail est en décalage avec la réalité et fait reposer une pression sur les épaules d'agents qui peuvent réagir de trois manières : mentir, résister ou craquer ».
Les fonctionnaires de l'inspection du travail continuent de se battre. « Pour nous, les causes existent toujours, il faut absolument que le Ministère du travail en prenne conscience et fasse évoluer sa relation avec ses agents ». Le syndicat se dit prêt au dialogue, mais « pas à un dialogue de sourds ».
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