Gérald Darmanin a assuré que les tentes des migrants dans les camps de Calais et de Grande-Synthe ne seront plus lacérées par les sociétés de nettoyage mandatées par l'Etat pour évacuer les camps. Mais elles seront quand même détruites et rendues inutilisables.
Depuis plusieurs mois, à Grande-Synthe et à Calais, de nombreux migrants tentent de s'abriter pour tenter ensuite de rejoindre l'Angleterre en bateau. Ils se rassemblent généralement dans des camps sur le littoral et se protègent sous des tentes ou des abris de fortune. Sauf que l'Etat refuse de les laisser s'installer sur le territoire et organise régulièrement la destruction de ces endroits.
Les acteurs de terrain ont constaté que deux entreprises privées, mandatées par l'Etat, étaient en charge du "nettoyage des camps". Et de nombreuses images témoignent d'une pratique qui a crée la polémique : les tentes des migrants étaient sciemment lacérées par les employés de ces sociétés.
"Comment lacérer à coups de couteau une tente de réfugié à neuf heures du matin par trois degrés celsius", mode d'emploi offert par @prefet59 ce matin à Grande-Synthe. pic.twitter.com/HVyHiNAIGR
— Louis Witter (@LouisWitter) December 29, 2020
Mardi 7 décembre, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, est interrogé sur la situation des migrants dans le Nord et le Pas-de-Calais en commission des lois à l'Assemblée nationale et en particulier sur les lacérations. A cette occasion, il déclare que la personne qui lacérait des tentes dans les camps de migrants de la région avait été "licenciée". Cette phrase donne l'impression que les lacérations ne sont le fait que d'une personne et que ce licenciement va régler le problème, soulevé par les associations, de la destruction des tentes des migrants.
Tentes lacérées : "les policiers-gendarmes ne l'ont jamais fait", assure @GDarmanin. "Une société, je ne la citerai pas car la personne a été licenciée, a retiré en lacérant les tentes pour les mettre ensuite à la benne (...) Ce n'étaient pas des policiers-gendarmes". #DirectAN pic.twitter.com/zqORParXCi
— LCP (@LCP) December 7, 2021
- Lacération ou pas, les tentes des migrants terminent à la poubelle et sont inutilisables
"On prendra directement les tentes et on les mettra directement dans les déchets" : voilà ce qu'a également affirmé le ministre ce mardi en parlant des procédures qui s'appliqueront dans les prochaines semaines dans les camps de migrants. Donc que les tentes soient lacérées en amont, ou pas, ces abris de fortune vont continuer à terminer à la poubelle et ne pourront plus servir, en tout cas dans le département du Nord.
Les associations sur place confirment le procédé : "A Grande-Synthe (Nord), les affaires personnelles des migrants sont jetées dans la boue et les tentes sont mises à la poubelle", déclare l'association l'Auberge des migrants.
Dans le Pas-de-Calais, la situation est légèrement différente. Début décembre, la ministre déléguée à l’Intérieur, Marlène Schiappa, était venue à Calais pour inaugurer un dispositif pour rendre aux migrants les affaires confisquées par l’État. "A Calais, les affaires sont confisquées et il est censé exister un processus de récupération des affaires. Mais celui-ci est inopérant et inconnu des migrants. C'est une version plus chic du vol d'affaires", dénonce l'Auberge des migrants.
- Les lacérations ne sont pas à mettre au crédit d'une seule personne
Lors de son audition, Gérald Darmanin a très précisément déclaré que : "de manière inacceptable, une société, que je ne citerai pas parce que la personne qui s'en occupait a été licenciée, a retiré les tentes en les lacérant avant de les mettre à la benne". L'entourage du ministre a ensuite précisé à l'AFP que la personne licenciée est celle qui a lacéré des tentes, et non pas le responsable de la société.
Donc, à en croire le ministre, la lacération ne serait le fait que d'une seule personne. "Les personnes qui font ce travail sont plusieurs. Nous avons vu de nombreux employés avec des lames", affirme de son côté Utopia 56. "C'est lâche de mettre ça sur le dos d'une seule personne", renchérit l'Auberge des migrants.
- Qui est responsable de ces lacérations ?
La phrase du ministre donne à penser que la lacération des tentes est une pratique relevant du dérapage individuel. "C'est une pratique systémique", affirme Utopia 56. Les associations questionnent donc la responsabilité de l'Etat dans l'action des sociétés chargées du "nettoyage" des camps de migrants. Elles rappellent que celles-ci sont mandatées par l'Etat après avoir remporté un marché public : "elles obéissent à ce qu'on leur dit de faire", formulent-elles.
Il est impossible pour les associations de dire que les sociétés de nettoyage avaient reçu comme ordre de lacérer les tentes notamment puisqu'elles n'ont pas eu accès au cahier des charges du contrat. Selon la préfecture du Nord : "les modalités d’intervention de ce prestataire ont fait l’objet d’instructions écrites, proscrivant explicitement la lacération des tentes et sollicitant l’emploi de pinces, pour enlever ces équipements sans les dégrader."
Le ministre de l'Intérieur et le garde des Sceaux s'en sont toujours défendus : invité de C l'hebdo sur France le 27 novembre, Eric Dupond-Moretti a répondu : "je ne pense pas qu’il y ait un ordre gouvernemental pour lacérer des tentes. Vous vous rendez compte de ce que l’on suggère ? Que l’on pourrait comme ça impunément lacérer des tentes, qu’on l’encouragerait ?"
En revanche, ces lacérations et ces destructions se font devant les policiers et les gendarmes. Les forces de l'ordre sont présentes à chaque fois pour encadrer les évacuations des camps. S'ils ne sont pas censés, théoriquement, aider pour détruire les tentes, "ils sortent les gens des tentes et les empêchent de revenir", affirme Utopia 56.
Dans tous les cas, le ministre de l'Intérieur a annoncé qu'il avait demandé "aux préfets du Nord et du Pas-de-Calais d'inscrire clairement dans les appels d'offres des sociétés de déchets, et de les rendre publiques par une instruction particulière, qu'il n'y ait pas de lacération des tentes." A voir donc dans les prochaines semaines si cet ordre est suivi par les sociétés sur le terrain.