Si le réchauffement climatique inquiète leurs confrères du sud de l'Europe, les viticulteurs anglais y voient au contraire une opportunité de produire davantage de vin, et d'une meilleure qualité, renouant ainsi avec une tradition ancestrale.
"Le changement climatique nous est très bénéfique (...). Cela nous a vraiment aidés à nous développer", souligne Chris Foss, directeur du département vin de Plumpton College, la première et unique école de viticulture britannique, qui a ouvert ses portes au milieu des années 1990. Tout un symbole pour un pays qui, il y a 30 ans, ne figurait même pas sur la carte des pays viticoles.
Depuis, on est passé de quelques vignobles à plus de 600, souligne Alistair Nesbitt, chercheur sur le climat et la vigne à l'université East Anglia (UEA).
La plupart d'entre eux se situent dans le sud-est du pays (Surrey, Sussex et Kent) ainsi que dans le Hampshire (sud-ouest). Mais on voit aussi fleurir quelques domaines bien plus au nord, dans le Yorkshire et en Écosse notamment. Le réchauffement climatique se traduit en Angleterre "par une augmentation des températures moyennes durant l'été et à l'automne, ce qui est plutôt bien pour faire mûrir les raisins", souligne Julien Lecourt, directeur de recherche en viticulture à la East Malling Research, dans le Kent.
Les météorologistes prévoient aussi une augmentation des températures moyennes pendant l'hiver et le printemps, une baisse des précipitations en été, ce qui aide à contenir les maladies comme le botrytis et le mildiou, et une augmentation des températures minimales durant l'hiver et le printemps, ce qui signifie moins de gel tardif dangereux pour les récoltes, ajoute-t-il.
Le pinot noir dans le viseur
Cette évolution du climat, associée à un sol calcaire, a largement bénéficié aux vins effervescents anglais, qui représentaient les deux tiers des plus de 6 millions de bouteilles produites en 2014. "La qualité des vins effervescents anglais est très, très bonne", constate Alistair Nesbitt, au diapason d'une industrie fière des nombreuses récompenses glanées à travers le monde ces dernières années. Consécration suprême, c'est un effervescent anglais, le Ridgeview Grosvenor 2009, que Buckingham Palace a choisi comme apéritif pour le dîner officiel donné fin octobre en l'honneur du président chinois Xi Jinping.Si les températures continuent d'augmenter, "il y aura aussi plus d'opportunités pour des vins tranquilles (non effervescents, NDLR) de meilleure qualité, y compris des rouges", ambitionne Collette O'Leary, du domaine Bluebell dans le Sussex, qui s'est lancé dans l'aventure du vin il y a une petite dizaine d'années. Déjà, certains vignobles produisent des pinots noirs de très grande tenue, souligne Chris Foss au Plumpton College. Il regrette toutefois que cela ne soit "malheureusement pas tous les ans le cas", à cause d'un temps qui varie beaucoup et constitue un bémol à l'euphorie ambiante.
Alistair Nesbitt confirme que "les températures et les récoltes sont très variables d'une année sur l'autre. Le réchauffement n'est pas une ligne droite, il y a des hauts et des bas". L'année 2012 a par exemple été particulièrement mauvaise en raison d'un mois de juin froid et pluvieux. Et en 2015, les viticulteurs ont été confrontés à une chute des températures au milieu de l'été, d'où des vendanges très tardives, qui se poursuivaient encore début novembre.
"Pas la Rioja"
"Il ne faut pas se leurrer, l'Angleterre n'est pas près de devenir la Rioja. Nous parlons d'une augmentation des températures de 0 à 2 degrés d'ici 2038", rappelle Julien Lecourt. Quant à avoir une production commerciale au nord du pays, il n'y croit pas. Alistair Nesbitt non plus : "Il faut rester prudent. Après tout, on peut planter des vignes aussi au Groenland et en Islande (...). Mais si on parle d'une production sérieuse, il faut tracer une limite au milieu de l'Angleterre", juge M. Nesbitt.La modestie est aussi de mise. Avec quelque 2.000 hectares de vignes plantés, "la surface est à peine plus grande que celle de la Tasmanie. C'est joli, mais petit", fait-il valoir, même s'il attend une croissance importante au cours des prochaines années. En attendant, face aux ambitions également affichées par la Belgique, le Danemark ou encore la Suède, c'est l'Angleterre qui est la plus avancée, souligne Julien Lecourt, rappelant que le pays a une histoire ancienne avec le vin. "Il ne faut pas oublier que les Romains ont planté de la vigne ici et que quand l'Aquitaine était anglaise, les Anglais ont participé à l'explosion de la viticulture là-bas."