130 emplois supprimés en Sambre-Avesnois, 190 en Normandie, 1050 dans le monde. Vallourec n’en finit pas de plonger, entrainé par le poids d’une énorme dette. Le groupe, né dans le Nord (Valenciennes-Louvroil-Recquignies), est durement malmené par la crise du Covid. Il joue sa survie.
Plus personne n’a confiance. Ni les salariés qui voient arriver une nouvelle vague de suppressions d’emplois. Ni les politiques qui s’inquiètent pour leurs territoires. Ni les créanciers qui se disent qu’une dette de plus de trois milliards est déraisonnable, voire insoutenable. Ni les actionnaires qui assistent depuis dix ans à une fonte de 98% du cours en bourse de l’entreprise.
Reste encore quelques gros clients séduits par la qualité des produits et des innovations proposés. Mais ces clients sont eux même plombés par l’effondrement des marchés pétroliers et gaziers. Le leader mondial du tube en acier sans soudure va mal. Très mal.
Mercredi dernier, Vallourec annonce donc un nouveau plan de restructuration. 1050 emplois supprimés en Europe et sur le continent américain. 500 emplois au Brésil. 200 en Allemagne. 350 en France.Dans l’hexagone, c’est la région Normande la plus durement touchée. L’usine de Déville-lès-Rouen, avec ses 190 salariés, est appelée à fermer en avril 2021. Et 130 postes disparaitraient sur les sites historiques de Vallourec, dans le Nord : à Aulnoye-Aymeries, Saint-Saulve et Valenciennes. Dans quelles mesures ? Les détails du plan seront connus en début d’année prochaine.
La direction invoque le Covid et la crise sanitaire, qui, à travers le monde, ont entrainé un ralentissement des activités. Et donc un ralentissement des besoins en énergie. Pétrole et gaz notamment. Ce sont des industries consommatrices de tubes. Ou plutôt "étaient" consommatrices.#Vallourec : la priorité, ce sont les salariés. Nous avons besoin de réponses concrètes et d'engagements. Le plus possible de salariés doivent être reclassés en interne et les salariés doivent obtenir le maximum dans le PSE. @Vallourec doit assumer ses responsabilités. pic.twitter.com/yKj7bm5WLu
— Xavier Bertrand (@xavierbertrand) November 20, 2020
Au troisième trimestre de cette année, le chiffre d’affaire de Vallourec a plongé de 32%. Les livraisons ont chuté de moitié en un an. Les grandes compagnies pétrolières subissent de plein fouet la baisse du prix du baril et du coup réduisent leurs investissements. C’est le cas par exemple en Amérique du Nord où les plans de forage sont gelés. Le manque à gagner est énorme. Il se mesure en dizaines de millions de dollars.
Une dette abyssale
Cette crise, elle intervient au pire moment pour Vallourec. Après avoir changé de président en début d’année, le groupe français devait lancer un vaste plan de recapitalisation pour alléger le poids de sa dette. Dette abyssale : 3,7 milliards d’euros ! Dont 1,7 milliard à rembourser avant février de l’an prochain. Un boulet…La direction voulait "rééquilibrer sa structure financière". L’idée : augmenter le capital de 800 millions d’euros, pour renforcer ses fonds propres et ainsi obtenir de nouvelles lignes de crédit auprès des banques. La Covid balaye tout ça. Brutalement. Le secteur des hydrocarbures s’effondre. Les résultats du deuxième trimestre sont catastrophiques ; du troisième encore pire. Toute levée de fonds devient impossible. La Banque Publique d’Investissement (l’un des deux principaux actionnaires de Vallourec) refuse de renflouer. L’entreprise ne peut plus échapper à une lourde restructuration. On y est.
Vendredi, à Aulnoye-Aymeries, les élus et les syndicats se retrouvaient pour mener la contre-attaque. Sans grande illusion. "Ça fait un an qu’on s’inquiète pour nos emplois, note désabusé le délégué CGT Christophe Couvreur. C’est le cinquième ou sixième plan de sauvegarde de l’emploi qu’on subit (2004, 2014, 2016, 2017, 2020). On a du mal à se dire que celui-ci sera le dernier. On n’a plus beaucoup d’espoir."
Son homologue, à l’usine de Déville-lès-Rouen, ne dit pas autre chose : "On n’y croit plus. Notre laminoir et celui de Saint-Saulve ont été fermés en 2016 et 2017. A l’époque, on nous disait que l’entreprise en sortirait plus solide..."
"On nous prend pour des cons"
Même ton chez les politiques. Xavier Bertrand, le président du Conseil Régional des Hauts de France, demande une réunion avec l’Etat (actionnaire de Vallourec à hauteur de 16% par l’intermédiaire de la BPI), l’entreprise, les élus, les représentants du personnel.Mais il sait à quoi s’en tenir. En 2018, il s’était déjà frotté à Vallourec sur le dossier Ascoval. Violemment. L’aciérie de Saint-Saulve, créée par Vallourec en 1975, était alors menacée de fermeture. Xavier Bertrand avait accusé Vallourec de "flinguer" Ascoval, "de laisser mourir son ancienne filiale, de dissuader les repreneurs, d’utiliser ses connections et ses amitiés à Bercy." "Vallourec nous balade. On nous prend pour des cons" avait asséné le président de région. Sa colère et sa défiance, depuis, ne sont pas retombées.Nous n'acceptons pas cet affaiblissement régulier de #Vallourec en France. Comment le groupe envisage-t-il l’avenir ? Se positionnera-t-il sur des filières d’avenir comme la captation de carbone ou l’#hydrogène ? Nous exigeons une réunion rapidement pour connaître leur stratégie. pic.twitter.com/VqWDYl7Rn7
— Xavier Bertrand (@xavierbertrand) November 20, 2020
Cette proximité de Vallourec avec l’Etat complique encore un peu plus la lecture du dossier."Vallourec nous balade. On nous prend pour des cons."
D’un côté, les élus et les syndicats estiment que le gouvernement pourrait sauver les emplois, puisque l’Etat est l’un des principaux actionnaires du fabricant de tubes. D’où la confusion. L’affaire devient vite politique. Certains verraient bien un ministre débloquer quelques milliards d’argent public pour aider un fleuron de l’industrie française ; d’autres se demandent pourquoi le Président de la République – pour respecter le Pacte pour la Réussite de la Sambre-Avesnois qu’il a lui-même signé sur place en 2018 - n’exigerait pas le sauvetage de l’entreprise. D’où beaucoup d’incompréhensions, d’intentions, d’espoirs déçus et d’illusions perdues.
D’un autre côté, le monde des affaires, lui, se méfie de cette proximité avec l’Etat. Ces dix dernières années, et jusqu’en mars dernier, le président du directoire de Vallourec était Philippe Crouzet : un pur produit de l’ENA, sorti major de la promotion 1981, celle qui a suivi la fameuse promotion Hollande-Royal-Jouyet. Une filiation douteuse pour les milieux financiers, très critiques envers Philippe Crouzet.
Sa gestion aurait présenté de "grosses lacunes en terme de stratégie et d’immobilisme en terme de management." En septembre dernier, une société de gestion parisienne agréée par l’Autorité des Marchés Financiers, avait évoqué une possible "faillite", estimant que le renforcement des normes environnementales à travers le monde ne pouvaient que pénaliser une entreprise liée au pétrole à l’acier.
Dans les milieux financiers, on se méfie toujours un peu de l’Etat actionnaire, de ces sociétés mal gérées parce qu'elles ont l’Etat dans leur capital ou si mal gérées qu’elles ont eu besoin de l’aide de l’Etat.
Dans le cas de Vallourec, cochez la bonne case…