1940, la bataille de France au jour le jour : 3 juin, l'épopée de Léon, 12 ans, parti d'Escaudain et évacué de Dunkerque

EPISODE 26 - C'était il y a 80 ans, pendant la Seconde Guerre Mondiale. Le commandant Clouston, cheville ouvrière de l'Opération Dynamo, mourait en mer, tandis que s'achevaient à Dunkerque les derniers embarquements pour l'Angleterre. Là-bas, l'épopée d'un garçon d'Escaudain faisait les gros titres.

Dans la nuit du 2 au 3 juin, le commandant James Campbell Clouston, de la Royal Navy, rentre de Douvres où il a rencontré le vice-amiral Bertram Ramsay qui dirige l’Opération Dynamo.
 


Cet officier de marine de 39 ans revient à Dunkerque pour superviser les tous derniers départs de soldats britanniques. Il est arrivé dans le port le 27 mai en plein bombardement.
 


Depuis, nuit et jour, il est à son poste sur la jetée Est pour organiser l’embarquement des soldats.
 


Le soir du 2 juin, vers 19h, la vedette qui transporte Clouston, le RAF Seaplane Tender n°243, navigue 10 kilomètres au large de Gravelines, en compagnie d'un second "motor boat" identique. Dans le ciel, ils repèrent une escadrille de huit Stukas allemands qui les attaquent immédiatement en les mitraillant et en les bombardant. La vedette de Clouston est touchée. Les 16 membres d'équipage sont à la mer.
 
Les naufragés s'agrippent à la proue de l'épave. Parmi eux, le sous-lieutenant Martin Solomon qui se trouve aux côtés de James Campbell Clouston. La seconde vedette Seaplane Tender s'arrête pour repêcher l'officier supérieur mais le commandant refuse et décide de rester dans l'eau, avec ses hommes. Clouston lui ordonne de foncer au plus vite vers Dunkerque pour remplir sa mission.
 


L'un des naufragés dit avoir aperçu une chaloupe à la dérive, non loin de là. Le sous-lieutenant Solomon raconte la suite : "Je demandai la permission au commandant Clouston d’essayer de (la) rejoindre et lui et moi partîmes ensemble. Cependant, le commandant Clouston abandonna rapidement la nage et retourna s’accrocher à ce qui restait de l’épave"  (cité par Hugh Sebag-Montefiore dans le livre Dunkirk, Fight To The Last Man).

"Comme la mer était plutôt agitée, il était impossible de voir le bateau et il était seulement possible, à l’occasion, d’apercevoir le rivage. Mais vers 22h30, j’aperçus la grande chaloupe, inoccupée, d’un destroyer qui était peut-être – ou peut-être pas – le bateau que j’étais chargé de trouver".

 


"J'ai rejoint (l'embarcation) mais j’étais incapable de me hisser à bord, car ses flancs étaient trop hauts, et je souffrais légèrement de fatigue", pousuit le sous-lieutenant. "A 23h, je décidai de nager vers le rivage "allemand" (Gravelines, déjà occupée alors par la Wehrmacht NDR), mais heureusement, avant d’abandonner le bateau, j’ai nagé de l’autre côté et j'ai trouvé une bouée qui pendait. Avec l’aide de la bouée et les restes de mon équipement utilisés comme échelle, je pus monter à bord. Je pris immédiatement la barre et tentai de ramer avec une seule rame dans la direction où j’imaginais que les survivants devaient se trouver". En vain...
 


"Après approximativement une heure, j’abandonnai l’effort, car la chaloupe était trop grande, la distance trop lointaine et il faisait déjà très sombre", affirme Solomon. Le sous-lieutenant britannique est alors recueilli par un bateau de pêche français qu’il guide jusqu’au lieu du naufrage.

Lorsqu'il y parvient, un seul homme est encore accroché à l'épave de la vedette. Tous les autres sont morts d’hypothermie ou noyés, explique ce survivant, y compris le commandant Clouston, dont il a vu le corps flotter.
 


"Quand je les ai laissés accrochés autour de l’épave, souffrant déjà alors d’hypothermie, ils chantaient et discutaient ensemble du bon vieux temps", témoignera le sous-lieutenant Solomon. "L’exemple du commandant Clouston a dû tous les aider, comme il m’a aidé. Bien que lui-même épuisé, il continuait à discuter et à les encourager jusqu’à la fin".

Canadien originaire de Montréal, James Campbell Clouston avait supervisé l’embarquement de 200 000 soldats mais il n’aura pas la chance de rejoindre l’Angleterre vivant à l'issue de l'Opération Dynamo...
 


Son cadavre ne sera retrouvé que bien plus tard, le 13 août 1940, après avoir dérivé en Mer du Nord jusqu'à l'embouchure de l'Elbe, près de Cuxhaven, au nord-ouest de l'Allemagne. C'est là qu'il sera inhumé, avec les honneurs militaires.
 


Sa dépouille sera transférée en 1946 au cimetière de guerre Becklingen à Niedersachsen. Une plaque commémorative lui rend aujourd'hui hommage sur les rives du lac Saint-Louis, dans sa ville natale. Clouston a aussi inspiré à Christopher Nolan le personnage du commandant Bolton, incarné par Kenneth Branagh, dans le film "Dunkerque" (2017).
 

A Dunkerque, plus qu'une seule nuit pour embarquer...


Dans la poche de Dunkerque, il reste 62 000 hommes à évacuer vers l’Angleterre. Le vice-amiral britannique Ramsay, admiratif du courage des défenseurs du camp retranché, autorise une nuit d’évacuation supplémentaire mais pour cela, il faut empêcher les Allemands d’arriver jusqu’au port.
 


Dans la matinée, les Français lancent une nouvelle contre-attaque autour du hameau des Neiges, à Téteghem.
 


Ils ont le renfort du peloton de chars SOMUA du sous-lieutenant Racine. Il faut protéger l’infanterie qui doit reculer jusqu’au canal des Moëres.
 


A 11h, les Allemands font intervenir l’aviation pour stopper l’offensive française. Les pertes sont énormes. D’après l’historien Dominique Lormier, un bataillon ne compte plus que 50 hommes valides sur 500 soldats au début des combats. Chez les Allemands, les pertes sont semblables. Certains de leurs bataillons ont perdu jusqu’à 60% de leurs hommes.
 


A 16h, les deux derniers chars français sont sabordés par leur équipage. Les hommes du sous-lieutenant Racine partent à pied vers le port où ils embarqueront dans la nuit sur une chaloupe. Ils parviendront au Tréport, le 6 juin.
 


Le village de Téteghem est pris. C’est là qu’est réfugié Jacques Duquesne, avec sa famille. "Deux officiers (français) étaient arrivés… L’un d’eux avait accroché un mouchoir blanc à une sorte de canne. Nous avions déjà entendu circuler à voix basse le mot de "Cessez-le-feu". Mais rien n’était assuré". La famille reste à l’abri dans une cave, mais le soir du 3 juin, le jeune Jacques Duquesne dormira bien, pour la première fois depuis des semaines.

A 14h, les Allemands attaquent le canal de Bourbourg et parviennent à le franchir après 4 heures de combats. La défense française s’organise dans Coudekerque-Branche, les combattants français se défendent maison par maison et finissent par arrêter les Allemands à la hauteur d’un passage à niveau, à la limite de Dunkerque. Les troupes adverses sont maintenant à moins de 3 kilomètres du port. Les soldats français contiennent partout les Allemands qui ne peuvent pénétrer dans la ville.
 


L’ennemi est si près que ces derniers défenseurs savent qu’ils ne pourront probablement pas se replier pour embarquer à temps. Dans son livre Dunkerque, Jean Beaux, un officier français, explique : "Chacun sait bien que la résistance arrive au bout du rouleau, il faudrait un miracle pour pouvoir maintenir suffisamment l’ennemi, décrocher et embarquer la nuit prochaine, car tenir une journée de plus n’est plus possible".

A 17h, des Stukas bombardent une nouvelle fois le Fort des Dunes à Leffrinckoucke où le général Gaston Janssen est mort la veille. Des voûtes s’écroulent, une centaine d’hommes est tuée.
 


A Uxem, juste au sud de Zuydcoote, les Français résistent jusque dans la nuit pour empêcher les Allemands d’arriver aux plages. Après trois jours de combats, le village est presque détruit. Il recevra la croix de guerre en 1949, tout comme le village de Spycker.
 


A Dunkerque, dans les caves ou les abris comme ceux de la place de la République et de la place Jean-Bart, la population civile se terre toujours. Le sous-préfet Le Gentil écrit dans ses mémoires qu’il a, jusqu’au bout, tenté de protéger ces habitants des soldats déserteurs qui font souvent régner la terreur.

"Au fur et à mesure que les évènements se déroulaient autour de Dunkerque, la ville étaient en proie au pillage et aux excès de toutes sortes", décrit-il. "Il y avait des individus de tout poil, des déserteurs de toutes les armes, une plèbe comme on n’en voit que dans les heures troubles, qui vidait force bouteilles d’alcool et de Pernod raflées dans les boutiques et les caves des maisons abandonnées, parfois même dans les demeures occupées… Mais ces brutes étaient armées et menaçaient quiconque se permettait une observation. Le commissaire central Preuilh, qui fit courageusement face à ces énergumènes, fut blessé par l’un d’eux au cours d’une opération de nettoyage dans un de ces abris".
 


Dans son roman Week-end à Zuydcoote, Robert Merle, alors officier de liaison dans la poche de Dunkerque, décrit également ces violences quand son héros, le soldat Julien Maillat (incarné par Jean-Paul Belmondo dans le film d’Henri Verneuil) sauve une jeune fille d’un viol en tuant deux soldats.

Nous longeons le môle qui paraît avoir au moins deux kilomètres de long. On enjambe les cadavres… arrivés au bout, on se tasse et on doit lutter contre ceux qui prétendent nous dépasser sous les prétextes les plus divers et les plus faux.

Le capitaine français Patiot.
 

A partir de 20h30, les 8000 derniers défenseurs de Dunkerque reçoivent l’ordre de se replier. Le général Barthélémy, commandant du secteur fortifié des Flandres, décrit la scène : "Des ruisselets humains sortaient de partout et convergeaient vers la jetée Est, formant par leur jonction, un fleuve immense ! Mû par l’annonce que là se trouvaient les dernières chances".

Le capitaine Partiot fait partie de ces hommes : "Nous longeons le môle qui paraît avoir au moins deux kilomètres de long. On enjambe les cadavres… arrivés au bout, on se tasse et on doit lutter contre ceux qui prétendent nous dépasser sous les prétextes les plus divers et les plus faux". 
 


Une immense foule de soldats se presse alors sur le port et à Malo à la recherche d’un bateau pour l’Angleterre.
 


Les défenseurs sont normalement prioritaires pour embarquer au niveau du port. Les soldats isolés doivent embarquer depuis les plages.
 


A 22h30, les navires commencent à quitter Dunkerque. Cette nuit-là, la dernière, 26 175 soldats français réussiront à embarquer.
 

L'incoyable récit de Léon Schulz, 12 ans


Ce 3 juin, les Anglais découvrent dans la presse l’histoire de Léon Schulz, jeune Français de 12 ans qui vient d’arriver de Dunkerque avec des soldats évacués. Un long article lui est notamment consacré en page 3 du Daily Express.
 


Léon Schulz a débarqué à Folkestone le 1er juin à bord du Rouen, un paquebot transformé en navire hôpital par la Marine Française.
 


Léon est le fils de Jean et Caroline Schulz, mineur et ménagère d’origine polonaise à Escaudain (Nord), entre Douai et Valenciennes.
 


La famille habite la cité Schneider quand la guerre éclate. Avec ses frères cadets, sa sœur et sa mère,  Léon Schultz quitte Escaudain en mai 1940 pour fuir l’avancée allemande.
 


Ils partent vers la côte avec d’autres habitants de la cité minière qui ont décidé de fuir. Mais sur la route, le convoi est attaqué par l’aviation allemande. Le jeune Léon le raconte aux journalistes anglais : "Je portais la valise, c'était devenu lourd pour moi et j’étais à la traîne. Ma mère, mes frères cadets, Jean et Victor, et ma sœur Elise, avaient atteint un virage sur la route. Quelqu'un a crié et m'a poussé dans un fossé alors que les bombardiers balayaient la route de leurs tirs".
 


Léon Schulz reste accroupi dans le fossé le temps de l’attaque. Lorsque le convoi repart, il laisse tomber la valise, court chercher se mère mais ne parvient pas à la retrouver. Alors qu’il pleure au bord de la route, un convoi militaire français s’arrête. Les soldats l’interrogent et l’emmènent un peu plus loin. Ensuite, c’est Maurice Cadot, un autre soldat à la recherche de son unité, qui l’accompagne jusqu’à Quiéry-la-Motte.
 


"Je n'ai eu peur qu'une seule fois. C'est lorsque nous avons traversé une petite rivière et que les avions sont venus, ont tiré avec leurs mitrailleuses, et que nous avons dû courir jusqu’à l'autre côté. Certaines balles ont failli nous toucher", témoigne l'enfant.
 


"Maurice a dit qu'il valait mieux quitter la route alors nous avons traversé par les champs. La nuit, nous avons dormi sous les haies ou parmi les arbres". Le 22 mai, à Quiéry-La-Motte, Léon Schulz est remis à des hommes du 329e régiment d’artillerie qui se replie jusqu’à Dunkerque.
 


Le soldat Marcel Harivel prend alors l'enfant en charge. "Les soldats lui donnaient à manger. On lui avait trouvé un petit casque dans le camion pour mettre sur sa tête et le protéger des éclats qui auraient pu lui tomber sur la tête et le blesser".

Arrivé en Angleterre, le jeune Léon est confié au comité des réfugiés de la Croix-Rouge et arrive à Londres le 6 juin.
 


Léon Schulz sera blessé lors des bombardements sur la capitale anglaise. Il sera alors placé dans une famille du comté du Devon (sud-ouest de l'Angleterre), scolarisé et inscrit aux scouts des Français Libres. 
 


A la fin de la guerre, Léon Schulz retrouvera sa famille, grâce à la Croix-Rouge qui organisera son rapatriement en France. Il se mariera en 1951 à Neuville-sur-Escaut où il vivra jusqu’en 1995.
 


Ce sont ses petit-fils, Romaric Bao et Romain-Gaël Richard, qui ont retracé l’odyssée du jeune Léon de ce mois de mai 1940 à la Libération. Ils recherchent encore des éléments sur le soldat Maurice Cadot, sur la date et les conditions du retour de leur aïeul en France. 

En mai et juin 1940, près de 8 millions de civils ont fui les combats, 10 000 réfugiés sont morts sur les routes de Belgique et de France pendant cet exode.
 


La Croix-Rouge a recensé 90 000 enfants ayant perdu leur famille...



► La suite de notre série demain avec la journée du 4 juin 1940. Vous pouvez relire les épisodes précédents dans le récapitulatif ci-dessous :
 

 

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