EPISODE 27 - C'était il y a 80 ans, pendant la Seconde Guerre Mondiale. A Dunkerque, les derniers navires embarquaient pour l'Angleterre laissant derrière eux des milliers de soldats qui avaient farouchement défendu le périmètre. Les Allemands entraient en vainqueurs dans une ville en ruine.
Dans la nuit du 3 au 4 juin, des dizaines de milliers de soldats se pressent vers les ports de Dunkerque et la plage de Malo en espérant pouvoir embarquer avant l’arrivée des Allemands. Une brume très dense recouvre la Mer du Nord, elle gêne l’aviation ennemie qui intervient moins que les nuits précédentes.
Pour cette dernière nuit d’évacuation, les marines britannique et française ont mobilisé 54 navires, en plus des "Little Ships". Jacques Mordal, médecin-major de la Marine à Dunkerque, réussit à embarquer sur le petit paquebot côtier Emile Deschamps. C’est un vieux navire mais il a déjà fait deux fois le trajet vers l’Angleterre pour y emmener des prisonniers allemands.
Vers 6h du matin le paquebot est au large de North Foreland, le cap nord-est du comté du Kent, et se dirige vers l'estuaire de la Tamise.
A son bord, 350 marins et officiers de l'armée de terre, qui servaient jusqu'alors au Bastion 32, à Dunkerque, quartier général des Français pendant l'Opération Dynamo. Il y a aussi une trentaine de civils, dont des femmes et des enfants.
A 6h20, le bateau prend son tour pour entrer dans l’estuaire. A bord, tout le monde se croit sauvé quand une violente explosion secoue le paquebot. Il vient de heurter une mine magnétique et coule en quelques minutes. Les autres navires du convoi mettent à l’eau des chaloupes.
Une demi-heure après le naufrage, Jacques Mordal est secouru : "Empoigné par l’armement de la baleinière, hissés à bord du sloop, nous fûmes en un tournemain déshabillés, frictionnés, roulés dans une couverture et abreuvés de tafia par les marins anglais. On aurait dit que ces braves gens n’avaient jamais rien fait d’autre de leur vie que repêcher les survivants des bateaux coulés par les mines magnétiques".
Jacques Mordal, de son vrai nom Hervé Cras, est blessé mais il fait partie des 85 rescapés du naufrage. Il parviendra en Angleterre et commencera après-guerre une carrière d’écrivain. D'autres n'ont pas eu cette chance. Parmi les disparus, on compte plusieurs ses camarades marins qui, comme lui, avaient survécu quelques jours plus tôt au torpillage du Jaguar, un vaisseau de guerre français échoué le 23 mai sur la plage de Malo. Il y a aussi René Pépin, 32 ans, maître de manœuvre des dragueurs patrouilleurs de la Défense Littorale de Dunkerque et habitant de Faches-Thumesnil, près de Lille.
Selon un article qui lui a consacré l'Association Culturelle et Historique de Faches-Thumesnil, son corps ne sera retrouvé que deux mois plus tard, sur l'île de Lütjehorn en Allemagne.
L’Emile Deschamps est le dernier navire coulé pendant l’Opération Dynamo. Au total, 243 bateaux ont été envoyés par le fond pendant ces 9 jours dont 123 navires français.
A 3h30, Victor Marteel, le patron du chalutier dunkerquois Sainte Denise-Louise, est parvenu à quitter le port. Le 27 mai, ce chalutier a été endommagé lors d’un bombardement de la Luftwaffe sur Dunkerque. La coque criblée d’éclats, les parois arrachées et le compas déréglé, l’équipage de pêcheurs dunkerquois réussira à mener sains et saufs à Douvres 116 hommes dont des canonniers qui ont assuré jusqu’au bout la défense de la ville.
150 chalutiers français, belges, néerlandais et leurs équipages ont participé aux opérations d’évacuation.
A 3h45, le torpilleur britannique Shikari a embarqué 600 soldats français, c’est le dernier navire à sortir du port.
En cette toute dernière nuit, 26 000 hommes ont été évacués vers l’Angleterre.
Mais sur les quais et les plages, il reste encore 35 000 soldats français...
Des hommes courent dans tous les sens puis c’est le silence complet… On apprend que deux derniers navires ont été sabordés pour obstruer le port de Dunkerque.
Le colonel Jean Mariot, commandant du 7e GRDI.
A 1h30, les tous derniers défenseurs de la poche de Dunkerque ont reçu l’ordre de décrocher. Un bataillon du 137e Régiment d’Infanterie va tenir une dernière ligne de front jusqu’à 2h30 pour permettre aux autres de se replier.
Le matériel et les munitions sont détruits, mais lorsque ces hommes arrivent à la jetée Est du port avec l’espoir d’embarquer, il est trop tard. Ils ne pourront pas se frayer un chemin à travers les milliers de soldats qui attendent d’embarquer.
Le colonel Mariot et ses hommes sont coincés à l’entrée de la jetée Est quand ils assistent à la mise hors d’usage du port de Dunkerque par la Marine anglaise : "Nous avancions péniblement sur le quai du môle Est toujours avec l’espoir d’embarquer. Soudain à quelques centaines de mètres de notre colonne, le long de l’estacade, nous entendons deux grosses explosions suivies de cris d’affolement. Des hommes courent dans tous les sens puis c’est le silence complet… On apprend que deux derniers navires ont été sabordés pour obstruer le port de Dunkerque" (cité par Dominique Lormier dans La Bataille de Dunkerque).
Je suis très triste, c’est affreux ! Les visages de tous mes compagnons d’alors, quel que soit leur grade, faisaient ressortir le même sentiment d’impuissance et d’abandon.
Henri Bouleau, soldat de la 12e DIM.
Henri Bouleau fait partie de la 12e Division d’Infanterie Motorisée qui a combattu sur le périmètre de la poche de Dunkerque jusqu’aux dernières heures. Avec ses camarades ils ont décroché trop tard pour pouvoir se sauver. "Notre groupe de la 12e DIM reste soudé jusqu’à la jetée Est, déjà envahie, où nous avançons seulement de quelques dizaines de mètres. Il est tard (trop tard !). Le jour se lève. Il n’y a plus de bateaux… Plus d’espoir ! Je suis très triste, c’est affreux ! Les visages de tous mes compagnons d’alors, quel que soit leur grade, faisaient ressortir le même sentiment d’impuissance et d’abandon. Je me souviendrai toujours de ce vide immense ressenti à cet instant. Qu’il y ait pire désarroi, je ne le pense pas".
Ces derniers défenseurs de la poche de Dunkerque se sont sacrifiés et se sont bien battus. En 9 jours de combats autour de Dunkerque, 16 000 français et 2220 Britanniques sont morts pour permettre le succès de l’Opération Dynamo.
Les Allemands ont perdu 20 000 hommes morts ou blessés, des pertes quotidiennes comparables à ce que la Wehrmacht connaîtra plus tard à Stalingrad ou pendant la bataille des Ardennes.
Les Allemands entrent dans Dunkerque
Au petit matin, les habitants de Dunkerque découvrent un calme qu’ils n’avaient plus connu depuis 3 semaines. A 7h45, les premiers soldats allemands entrent dans Dunkerque.
Une voisine est sortie de la cave et a dit : "Et bien voilà je crois que les Hollandais sont arrivés pour nous délivrer. Je vois des soldats en costumes verts".
Une Dunquerkoise racontant le 4 juin 1940.
"Nous n’avons entendu aucun bruit et nous avons dormi", témoignera plus tard une habitante. "Tous nous avons été surpris au matin. Une voisine est sortie de la cave et a dit : "Et bien voilà je crois que les Hollandais sont arrivés pour nous délivrer. Je vois des soldats en costumes verts". Quelques minutes après nous avons vu arriver dans la cave les soldats en costumes verts poignards en avant. Il ne s’agissait pas des Hollandais mais des Allemands. Ce qui m’a le plus effrayée, c’est ce silence qui a précédé l’arrivée des Allemands. Nous étions étonnés, nous nous demandions ce qu’il se passait. On se disait est-ce que la guerre est terminée, est-ce qu’ils ont réussi à faire reculer les Allemands ? Est-ce qu’enfin on va être délivrés ? Et bien ce n’était pas ça, nos espoirs étaient trompés".
Le sous-préfet René Le Gentil passe la nuit dans sa sous-préfecture. "Le bombardement allait s’atténuant. Il cessa complétement vers 4h du matin… dans un silence auquel nous n’étions plus habitués… je m’endormis d’un sommeil de plomb… Il est 7h quand je me réveillai…Brusquement la porte s’ouvrit et deux gaillards de 1m80 braquèrent sur moi un revolver et m’intimant l’ordre de sortir devant eux".
Un officier allemand arrive alors et ordonne au sous-préfet de venir avec lui en voiture, avec un mouchoir blanc, visible pour faire cesser les coups de feu isolés qui éclatent encore ça et là.
De retour à la sous-préfecture, un général allemand interpelle le sous-préfet : "-La population a bien été évacuée, n’est-ce pas ? – Non, général, cela a été impossible ; elle s’est réfugiée où elle a pu, mais il y a encore une dizaine de milliers d’habitants dans ces ruines… sans parler de ceux qui sont restés dessous !... Voilà tout ce qui reste d’une ville hier si florissante, et c’est là, messieurs, votre besogne…".
La ville est détruite à près de 80%, 3000 civils ont été tués, 10 000 ont été blessés.
L’arrière-pays est inondé, il faudra 20 ans pour nettoyer et remettre en état près de 1000 kilomètres de canaux et de watergangs.
Parfois l’arrivée des soldats allemands se passe de manière dramatique. A Saint-Pol-sur-mer, un officier et un soldat tentent de pénétrer dans la maison d’un cheminot retraité, Marcel Godaert. Ancien combattant de 14/18, celui-ci refuse la défaite. Il abat à bout portant l’officier pendant que son fils, Louis Godaert, tue le soldat. Le père et le fils sont immédiatement arrêtés et fusillés (rapporté par René Le Gentil dans La Tragédie de Dunkerque).
Jacques Duquesne et sa famille voient également arriver les Allemands dans leur abri : "Un Allemand apparut à vélo. Il portait un brassard à croix rouge et tenait un pistolet à la main. Tous les hommes levèrent les bras en l’air. Je dévalai l’escalier en criant "V’là les Boches !". Ce qui me valut une gifle dont ma mère pourtant était avare – c’est à peu près la seule dont je me souvienne. Elle signifiait que nous devions désormais "faire attention", que nous étions dans un autre monde, celui qu’on appellerait bientôt l’Occupation".
Jacques Duquesne retrouve sa maison familiale, rue de la Paix, à Dunkerque. Il vivra là sous les bombardements, anglais cette fois, jusqu’en février 1944, date à laquelle les Allemands décideront d’évacuer toutes les femmes et tous les enfants de la ville. Il ne reviendra à Dunkerque qu’après le 9 mai 1945, date de la reddition de la garnison allemande.
Un tournant de la Seconde Guerre Mondiale
En 1978, Jacques Duquesne et Serge Blanckaert, tous deux journalistes, reviendront à Dunkerque pour raconter leurs souvenirs d’enfants dans cette ville, au moment où les Allemands arrivèrent.
"Je suis venu là, sur cette plage, quelques jours après ce 4 juin 1940, parce que pendant quelques jours les Allemands ont laissé l’accès libre à la plage", se souviendra Jacques Duquesne. "C’était un spectacle tout à fait étonnant car la mer était pleine de bateaux échoués, coulés, le ventre ouvert, la quille à l’envers. Il y avait encore L’Adroit qui était échoué ici, il y avait encore quelques petites explosions et sur la plage c’était inouï, il y avait là tout ce qu’on peut imaginer comme dégâts, cadavres, camions. Des chars ensablés, des canons, des armes, des obus, des munitions qui traînaient".
"J’avais 10 ans et ce qui m’avait frappé, c’était moins les cadavres des hommes que les cadavres des animaux", ajoutera Jacques Duquesne. "Et les camions, les Anglais les avaient mis les uns derrière les autres ce qui avait formé des espèces de jetées sur lesquelles ils marchaient".
"Après tout ce qui s’est passé à Dunkerque en mai/juin 1940, la retraite des troupes alliées, les bombardements, les dégâts, le matériel militaire qui a été abandonné, on dit généralement qu’il s’est passé ici un désastre, l’affaire de Dunkerque est devenue synonyme de désastre", observera Serge Blanckaert. "Pourtant, quand on y regarde de près, sur le plan militaire, c’est une opération réussie. Les Anglais ont sauvé leur armée, qui semblait pourtant condamnée. Sous le déluge de feu qu’il y avait à Dunkerque, on se demande encore comment ils ont réussi à la rapatrier".
En entrant dans Dunkerque, les Allemands découvrent un monstrueux chaos. D’après l’historien militaire Karl-Heinz Frieser, les Alliés laissent derrière eux 63 000 véhicules, 2400 canons et 475 blindés.
La plupart de ce matériel encombre les routes d’accès à la poche de Dunkerque, les plages, le centre-ville…
Karl-Heinz Frieser cite le général allemand Fedor von Bock : "L’aspect de la route qu’ont empruntée les Anglais pour leur retraite est indescriptible. Des quantités incalculables de véhicules, de canons, des chars de combat et de matériel militaire encastrés les uns dans les autres sont empilées dans un espace réduit… Le matériel d’une armée est étalé ici, sans doute la totalité de l’équipement, que nous, pauvres diables, nous regardons avec étonnement et envie".
Le général Weygand, commandant en chef des Forces françaises, se heurte à un problème de taille pour la suite des combats : "Les 3/4 sinon les 4/5 de notre matériel le plus moderne ont été pris… Ce sont nos unités les mieux armés qui ont été engagées dans le Nord. C’était le fer de lance. Le meilleur de l’armée française est capturé".
Nous défendrons notre île, quel qu'en soit le prix. Nous nous battrons sur les plages. Nous nous battrons sur les terrains de débarquement. Nous nous battrons dans les champs, et dans les rues, nous nous battrons dans les montagnes. Nous ne nous rendrons jamais !
Winston Churchill, Premier ministre britannique.
La victoire de la Wehrmacht est éclatante, mais elle a un goût d’inachevé pour bon nombre d’officiers allemands. En 9 jours, 348 000 soldats néerlandais, belges, français et britanniques ont été évacués par une armada de 850 bateaux de toutes tailles. C’est un échec pour Hitler. Il a raté l’occasion de capturer 225 000 soldats professionnels britanniques. C’est le premier tournant de cette guerre.
Ce 4 juin 1940, le Premier ministre Winston Churchill prononce son fameux discours à la BBC : "Nous nous battrons en France. Nous nous battrons sur les mers et les océans. Nous nous battrons avec une confiance croissante et une force croissante dans les airs. Nous défendrons notre île, quel qu'en soit le prix. Nous nous battrons sur les plages. Nous nous battrons sur les terrains de débarquement. Nous nous battrons dans les champs, et dans les rues, nous nous battrons dans les montagnes. Nous ne nous rendrons jamais !"
Désormais dans le monde anglo-saxon, on parlera de "Dunkirk Spirit" ("Esprit de Dunkerque"), symbolisant la volonté de poursuivre le combat. Grâce aux soldats britanniques sauvés à Dunkerque, Winston Churchill peut se maintenir au pouvoir et imposer la poursuite de la guerre.
Après l’armistice signé par Pétain le 22 juin, le Royaume-Uni se retrouvera pratiquement seul à lutter contre l’Allemagne. Sans le "miracle de Dunkerque", les Britanniques n'auraient sans doute pas eu les ressources pour tenir jusqu’à l’entrée en guerre de l’Union Soviétique et des Etats-Unis en décembre 1941.
La Luftwaffe a perdu, de surcroît, 1236 avions au-dessus de la France en mai/juin 1940. L’aviation allemande est considérablement affaiblie et ne pourra pas remporter la bataille d’Angleterre qui débute en juillet 1940.
Les 123 000 soldats français embarqués à Dunkerque, eux, reviendront en France quelques jours plus tard par la Bretagne ou la Normandie pour être équipés et renvoyés immédiatement au front. Beaucoup seront finalement faits prisonniers par les Allemands dès ce mois de juin.
Le calvaire des prisonniers français
Ce 4 juin, le Nord et le Pas-de-Calais sont complétement envahis par les Allemands. La région est déclarée "Zone Interdite". Jusqu’à la Libération, elle est séparée administrativement du reste de la France, soumise à un gouverneur allemand basé à Bruxelles.
Les réfugiés ne pourront pas y revenir avant fin 1941. Dunkerque, quant à elle, ne sera libérée que le 9 mai 1945, devenant la ville française occupée le plus longtemps par les Nazis.
35 000 soldats français sont faits prisonniers ce 4 juin. 4000 militaires blessés sont encore hospitalisés dans le Sanatorium de Zuydcoote. Beaucoup mourront dans les jours qui suivent par manque de soins.
Place Vauban ou place Turenne à Dunkerque, les prisonniers déposent leurs fusils avant de prendre la direction de la plage de Malo jusqu’au 7 juin.
Ensuite les prisonniers traversent la ville pour un camp dans les champs autour de Rexpoëde à 20 kilomètres de Dunkerque.
Les soldats français prisonniers vont faire, dans l’autre sens, le trajet qu’ils avaient fait pour arriver à Dunkerque, en reculant devant l’avance allemande.
C’est le cas du lieutenant d’artillerie Daniel Landas. Il a combattu du 18 au 23 mai dans la région de Valenciennes. Il était arrivé à Dunkerque le 28 mai. Fait prisonnier à 8h, le 4 juin, il quitte le camp de Rexpoëde le 11 juin. A pied les prisonniers arrivent à Hazebrouck pour la nuit. Le 13, direction Béthune, le 14 ils arrivent à Bapaume.
Le lieutenant Landas signale dans son journal que depuis le 4 juin, les prisonniers n’ont rien eu à manger par les gardiens allemands.
Le 15 juin, les captifs dorment dans la citadelle de Cambrai où ils reçoivent une demi-litre d’eau, une tartine et un peu de fromage. Le 20, ils dorment dans la cour de la prison de Dinan en Belgique. Le 27, ils sont à Aix-la-Chapelle en Allemagne.
A Aix-la-Chapelle, les prisonniers sont chargés dans des wagons à bestiaux. Le 11 juillet, le lieutenant Landas arrive sur son lieu de détention, un Oflag (camp de prisonniers pour officiers) à Groß Börnecke, à 200 kilomètres de Berlin.
Libéré par les Anglais le 16 avril 1945, Daniel Landas reviendra à Lille le 8 mai 1945, jour de la capitulation du Reich. D’autres captifs iront à pied jusqu’à Rotterdam pour être chargés sur des péniches sur le Rhin puis dans des trains, direction les Stalags (camps de prisonniers militaires) en Allemagne.
A l’arrivée dans les gares allemandes, c’est comme un vrai soulagement que de sortir enfin des wagons, de ces bouges où l’on étouffe et qui puent de toutes les odeurs laissées par la cohabitation forcée des hommes pendant deux à trois jours sans sortir...
Yves Durand, historien.
Comme l’écrit l’historien Yves Durand dans La captivité, histoire des prisonniers de guerre français 1939/1945, les conditions de transport des prisonniers sont inhumaines : "Le moment où ils sont tombés aux mains de l’ennemi est le plus souvent suivi d’un long calvaire, marqué par de pénibles transports… Sans espace, sans air, pourvus d’une nourriture dérisoire, privés d’eau, les enfermés roulent, secoués dans des wagons dépourvus d’amortisseurs. Ils respirent péniblement dans l’atmosphère confinée de cet espace étroit, comblé d’hommes obligés de faire sur place tous leurs besoins... L’air est empuanti. La fatigue gagne, sans le sommeil réparateur rendu impossible par l’entassement des corps... A l’arrivée dans les gares allemandes... c’est comme un vrai soulagement que de sortir enfin des wagons, de ces bouges où l’on étouffe et qui puent de toutes les odeurs laissées par la cohabitation forcée des hommes pendant deux à trois jours sans sortir... On respire, les corps se détendent... Sur les quais des gares vides, hurlements gutturaux, coup de crosse et menaces pour presser le mouvement ; les Allemands rassemblent à nouveau en colonnes les captifs. Ils traversent à pied les rues d’une ville, étrangère cette fois, encadrés de gardiens en armes...".
Lorsqu’ils prennent Dunkerque le 4 juin, les Allemands ont déjà fait 1,2 million de prisonniers alliés.
Lorsque le maréchal Pétain signera l’Armistice le 22 juin à Compiègne, le reste de l’armée française sera faite prisonnière. Jérémy Brunet, soldat originaire de Buysscheure près de Cassel, fera partie de ces nouveaux captifs. Son unité de dragons à cheval restera invaincue mais encerclée près de Toul en Lorraine, elle recevra l’ordre de se rendre, le 22 juin.
"On a toujours reculé mais on n’a jamais été pris au combat", insistera-t-il. "C’est pour ça qu’on disait "On n’est pas prisonniers". Mais ce sont les exigences du vainqueur qui comptent et les vainqueurs, c’étaient les Allemands, malheureusement c’était comme ça. A notre arrivée à Toul, il y avait deux lignes de sentinelles, baïonnette au canon. Tous les 2 mètres il y avait un soldat des deux côtés. On devait rentrer comme ça avec nos chevaux entre les Allemands. On était désarmés. C’était dur. Les Allemands ont pris le cheval du capitaine, il avait un beau cheval. Alors, il a pris un autre cheval, il y a en avait sans bonhomme dessus".
Jérémy Brunet passera sa captivité dans un Stalag en Pologne. Il rentrera à Buysscheure en avril 1945.
Après la prise de Dunkerque, la bataille de France se poursuit
Lorsqu’ils prennent Dunkerque le 4 juin 1940, les Allemands ont perdu 21 000 soldats, morts ou disparus. Mais les combats ne sont pas terminés. Dès le 5 juin, la Wehrmacht s’attaque à la "ligne Weygand". Les Français se sont retranchés le long de la Somme, de l’Aisne et de l’Ailette.
L’armée allemande perdra encore 28 000 soldats (morts et disparus) en 18 jours, jusqu’à l’armistice du 22 juin. Les Français ont tiré les leçons des batailles de Lille et de Dunkerque. Désormais, ils s’organisent en "hérisson", laissant passer les Panzers et se défendant en îlots retranchés obligeant les Allemands à des combats difficiles pour en venir à bout.
Le 6 juin, le général de Gaulle fait son entrée au gouvernement.
Le 16 juin, il propose à Churchill de fusionner la France et la Grande-Bretagne en une union politique franco-britannique pour continuer à lutter contre l’Allemagne. Churchill accepte, mais dans la soirée Pétain devient chef du gouvernement, suite à la démission de Paul Reynaud qui n’a pas réussi à obtenir l’aide des Américains.
Le 17 juin, Philippe Pétain est à la radio, il demande aux soldats français d’arrêter les combats.
Le lendemain, le 18 juin, depuis Londres et également à la radio, de Gaulle exhorte lui, à continuer la lutte.
Deux hommes du nord de la France, deux visions, deux destins différents...
► Notre série consacrée à la bataille de France dans le Nord et le Pas-de-Calais est désormais terminée. Rendez-vous demain pour un récapitulatif complet des 27 épisodes.