Alors que les chiffres de la sécurité routière viennent d'être publiés pour 2022 - le Nord déplore 96 décès sur les routes, le Pas-de-Calais 73 - Antoine Regley, avocat spécialisé dans les accidents de la route, répond sur la gestion de l'après, quand un accident corporel survient. Entretien.
Conseillez-vous de porter systématiquement plainte ?
Me Antoine Régley : "Oui. Systématiquement. Pour deux raisons. La première est de pouvoir participer à l’enquête afin que la responsabilité de la victime dans l’accident soit exclue. C’est très important. Beaucoup d’assureurs tentent de prouver une faute de la victime pour payer moins. Ou ne rien payer. La seconde, est de mettre la pression sur l’assurance qui craint les barèmes des tribunaux. Pour payer moins, nombre d’assureurs disent aux victimes appliquer des barèmes. Elles oublient de dire que les juridictions appliquent d‘autres barèmes plus favorables que nous mettons en avant.
La victime doit-elle déposer plainte si elle est en partie responsable de l’accident ?
Me Antoine Régley : "Oui. Très souvent, les assureurs tentent d’indemniser au rabais en opposant une faute à la victime. C’est ici qu’il est très important de bien maîtriser le droit routier. Une bonne connaissance de ce dernier permet de contester des contraventions ou des fautes plus graves que l’assurance met en avant. En tout état de cause, et pour être opposable, cette faute doit présenter un lien direct avec l’accident. Sans ce lien causal certain, la faute de la victime ne pourra lui être opposée. La plainte permet de discuter de cela devant le juge pénal, le plus à même d’accueillir nos contestations".
Le raisonnement est-il le même pour un homicide involontaire ?
Me Antoine Régley : "Absolument. Dans de très nombreux dossiers, une faute de conduite du défunt est opposée à la famille afin d’exclure ou diviser l’indemnisation. Je trouve cela immonde. Vous pleurez votre enfant, votre mère etc… Et on vient vous dire que vos souffrances seront moins indemnisées à cause d’une prétendue faute. Les victimes ne doivent plus être transformées en coupables".
N’y a-t-il pas un inconvénient de temps ?
Me Antoine Régley : La justice est trop lente. Les dossiers prennent plusieurs mois, voire plusieurs années. Cependant, il n’est pas rare que nous transigions avec les assureurs afin que cela aille plus vite, à la demande de nos clients. Mais, pour négocier, et ne pas léser la victime, il faut être en position de force. Il faut que l’assureur craigne la décision finale. Sans cette pression, il est facile, pour nos adversaires, d’appliquer la théorie du pourrissement : faire durer pour que la victime n’en puisse plus, et la forcer à accepter une faible somme".
Pour aller plus vite justement, existe-t-il des médecins-experts indépendants qui peuvent réhausser l’indemnisation proposée par l’expert de l’assureur ?
Me Antoine Régley : "Il me semble nécessaire de se faire aider par un médecin-conseil de victimes lorsque les blessures impactent la vie des victimes. Cela n’allonge pas les délais. Cela ne les raccourcit pas non plus. Ce médecin accompagne la victime devant le médecin-expert de l’assurance ou désigné par le tribunal pour discuter de l’ampleur du préjudice et des séquelles. Cette intervention permet à l’avocat de faire augmenter l’indemnisation.
Un expert indépendant et un avocat permettent donc d'avoir une meilleure indemnisation... De quel ordre ?
Me Antoine Régley : "Donner une réponse générale n’est pas simple. On constate une hausse moyenne de 30%. Tout dépend de l’offre initiale faite par l’assurance. Dans de nombreux dossiers, nous avons pu doubler, tripler, voire octupler les sommes proposées. Même si la victime octroie un pourcentage à son avocat elle est 'gagnante'. Ce n’est pas un hasard si tout est fait pour que la victime ne prenne pas d’avocat. Par ailleurs, les frais d’avocat doivent être pris en charge par l’assurance adverse, l’auteur ou la protection juridique.
30 000 euros de préjudice moral pour la perte d’un enfant ou d’un parent, c’est mépriser les familles !
Me Antoine Régley
Concernant les homicides involontaires, existe-t-il des barèmes également ?
Me Antoine Régley : "Il n’y a rien d’inscrit dans la loi. Certains barèmes existent pour indemniser le préjudice moral. Ils sont d’une faiblesse qui fait honte à notre pays lorsque nous regardons ce qui se fait à l’étranger. 30 000 euros pour la perte d’un enfant ou d’un parent, c’est mépriser les familles. Il existe un autre préjudice, qui ne fait pas l’objet de barème, trop souvent oublié par les assureurs, c’est le préjudice économique. Lorsque le foyer ne dispose plus des revenus que le défunt apportait, il est possible de les faire payer par l’assurance. Ce sont parfois des centaines de milliers d’euros qui permettent aux victimes de ne pas avoir à changer de maison. J’ai plusieurs dossiers dans lesquels l’assureur n’avait fait aucune proposition avant d’accepter de payer plusieurs centaines de milliers d’euros. Je crois qu’il est temps de réécrire la Loi Badinter de 1985 sur l’indemnisation des victimes de la route. Des propositions ont déjà été faites afin de ne jamais retenir la faute de la victime. Je suis pour, évidemment. Mais ces propositions ne sont pas retenues car jugées "trop extrêmes" par nos opposants. Peut-être pourrions dire que la faute de la victime ne peut pas réduire son droit à indemnisation de plus de 25 % quand elle aurait commis une faute contraventionnelle, et 33 % quand elle est délictuelle".