Psychiatrie : la délocalisation d’un hôpital de jour rural vers Armentières effraie les patients

L’hôpital de jour de la Cense, installé dans la campagne de Frelinghien, devrait être relocalisé au sein de l’établissement public de santé mentale d’Armentières d’ici deux ans. Une décision qui effraie les patients actuellement pris en charge. Une pétition a été lancée.

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C’est un endroit paisible, situé en plein cœur des champs de Frelinghien, non loin de Lille. A première vue, cette ferme ressemble à toutes les autres installées dans le secteur. Mais les murs de cette vieille bâtisse abritent un établissement hors norme : un hôpital de jour directement rattaché à l’EPSM Lille Métropole, l’établissement public de santé mentale.  

Ouvert en 1993, il accueille une vingtaine de patients par jour dans un cadre bucolique, loin du stress de la ville. "C’est une ferme tout à fait extraordinaire, il n’y en a aucune autre dans le secteur", explique Michel Pacaux, maire de la ville de 1971 à 2020. C’est lui qui, à l’époque, a œuvré corps et âme pour ouvrir ce lieu. "Il y a un étang de pêche, un potager, une grande cuisine. Les malades s’occupent des nombreux animaux. Beaucoup de personnes se sont rétablies dans cet établissement ouvert".

Oui mais durant l’été, la nouvelle est tombée. Après 30 ans d’exercice, l’EPSM a annoncé vouloir délocaliser l’hôpital de jour à Armentières, là où les autres services sont déjà installés. 

Les patients décontenancés

Parmi les patients actuellement accueillis, Léonie Bocket, vent debout contre cette décision. Elle prévient : "si la Cense ferme, j’arrête mon suivi. Je ne veux pas retourner dans l’enceinte de l’EPSM". Agée de 17 ans, elle a intégré la structure en février dernier après avoir développé une phobie scolaire, quitté le lycée et avoir été diagnostiquée dépressive. "Quand j’ai dit à la psychologue que je voulais mettre fin à mes jours, tout est allé très vite", se souvient la jeune femme. Un premier passage par la Pléiade, un service de l’EPSM d’Armentières, où Léonie s’est retrouvée avec "des cas plus importants que le (sien) comme des bipolaires ou des schizophrènes", avant d’arriver à la Cense. "Depuis, assure-t-elle, ça se passe très bien et je vais beaucoup mieux. J’ai réappris à faire confiance aux personnes qui m’entourent" .  

Elle en est certaine : l’amélioration considérable de son état de santé ces derniers mois est dû au cadre dans lequel elle évolue et au personnel qui l’accompagne. "Le cadre rural de la structure permet aux usagers de se reconnecter avec la nature et les animaux, de retrouver un rythme de vie et des interactions sociales, de prendre du temps pour soi". Depuis la rentrée, Léonie a repris les cours mais est encore suivie à la Cense. 

Elle a appris la nouvelle durant les vacances d’été. "On ne nous a pas annoncé que la ferme thérapeutique allait être délocalisée et vendue mais on a vu des personnes venir pour estimer la ferme et la vendre". S’en est suivi un vent de panique, comme le raconte Marie (son prénom a été modifié), la quarantaine, arrivée à la Cense après un burnout "professionnel et personnel". Aujourd’hui, la panique prédomine. "Je suis très stressée de ne pas savoir comment on va pouvoir être suivis après ici. On se dit qu’on peut partir à tout moment mais on n’a aucune information. Aujourd’hui, je suis dans une phase ou je ne sais plus sortir à l’extérieur. Je ne suis pas certaine d’être capable de poursuivre mon suivi si on retourne en ville, entre quatre murs". 

Une pétition et beaucoup de craintes

A l’initiative de Léonie Bocket, une pétition a été lancée pour tenter de faire changer les choses. "Au-delà de la pétition qui a recueilli près de 400 signatures, on a fait des pancartes qu’on a accroché sur les enclos des animaux et on a écrit un courrier à la direction, aux politiques et aux médias". Celui-ci est signé par l’ensemble des usagers de la Cense et des anciens patients rétablis. 

Parmi les destinataires, le directeur de l’Agence Régionale de Santé des Hauts-de-France, les maires de Frelinghien et d’Armentières, le ministre de la Santé mais aussi le président de la République. "Nous, patients, avons décidé de ne pas nous laisser faire (…). Nous ne comprenons pas les motifs qui ont motivé cette décision et nous souhaitons nous y opposer", peut-on lire. Un courrier accompagné de témoignages de patients, unanimement opposés à la fermeture du site. 

La Cense me permet de trouver le type de soin qui me correspond le mieux. J’y retrouve goût à faire, à avoir une organisation, un planning, des objectifs occupationnels (…). J’espère que l’on ne devra pas parler de si tôt au passé de la Cense et que ces soins de qualité ne seront pas que souvenirs. L’erreur est humaine, mais là, elle serait énorme.

Témoignage d’une patiente joint au courrier

Un avis partagé par l’ancien maire de Frelinghien, qui exprime aujourd’hui sa colère et son incompréhension. "Cet hôpital de jour rural est le seul dans le secteur aussi pertinent pour rétablir les plus déshérités de la vie. Pour moi, ça n’a pas de prix". Michel Pacaux espère lui aussi que la direction fasse machine arrière. "Cette structure, ils vont la déplacer et investir ailleurs. J’ai vu des malades qui sont prêts à se suicider s’ils doivent retourner à l’EPSM d’Armentières. Ils vont revivre leur passé et ce n’est pas permis. Je suis désemparé".

La direction se défend 

Contacté, la direction de l’EPSM Lille Métropole avance bien qu’un projet de relocalisation de l’hôpital de jour au sein de l’établissement public de santé mentale d’Armentières est sur la table. Mais réfute toute logique financière dans cette opération, bien au contraire. « L’hôpital d’une vingtaine de places est installé depuis 30 ans à Frelinghien, rappelle Frédéric Macabiau, directeur délégué de l’EPSM. Il y a environ deux ans, le chef de pôle nous a demandé de travailler sur un autre projet pour accueillir davantage de patients. On nous a taxés d’une logique économique mais ça n’a jamais été évoqué ».

Notre sujet est de permettre, à la demande des équipes médicales, l’accueil de davantage de patients pour faire bénéficier le plus grand nombre de ce type de dispositif.

Frédéric Macabiau, directeur délégué de l’EPSM Lille-Métropole

Plus accueillir, mais aussi plus facilement. "Depuis quelques temps, les équipes discutent de la localisation de l’hôpital de jour à Frelinghien. Les patients qui y sont accueillis sont stabilisés et ont une autonomie pour s’y rendre notamment. Or aujourd’hui, certains patients qui pourraient bénéficier de la prise en charge proposée à la Cense ne peuvent pas se rendre en transports en commun à Frelinghien". D’où l’idée de recentrer cette structure à Armentières.

Frédéric Macabiau concède toutefois que le nouveau site sera plus urbain, sans pour autant perdre son âme. "C’est sûr que c’est moins la campagne, mais c’est aussi un peu l’objectif car nous pourrons accueillir plus de patients. Mais il ne faut pas oublier que le site de l’EPSM est le deuxième poumon vert d’Armentières après les près du Hem. Il y a un jardin thérapeutique et toutes les activités extérieures actuellement à la Cense, y compris les animaux, seront préservées".

Le directeur l’assure : des rencontres vont être organisées entre les équipes médicales et les patients actuellement suivis à la Cense pour amorcer ce déménagement dans la sérénité. Aucune date n’est pour l’heure arrêtée mais cette délocalisation de Frelinghien à Armentières est envisagée d’ici deux ans.

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