Plusieurs dizaines de personnes se sont rassemblées ce samedi après-midi à Lille, pour demander “Justice pour Fanta”. En novembre, ce bébé de 3 mois est décédé des suites d’une intoxication au monoxyde de carbone à Armentières. Privée de droits dans l’attente du renouvellement de son titre de séjour, sa maman avait tenté de chauffer leur logement avec un brasero.
Des dizaines de personnes, pour certaines peluches à la main, ont participé à la marche blanche pour Fanta ce samedi 3 février, à Lille. Cette petite fille de 3 mois est décédée le 4 novembre au matin d’une intoxication au monoxyde de carbone à Armentières.
Le collectif pour Fanta, composé d’une vingtaine d’associations parmi lesquelles la Ligue des droits de l’homme, la Cimade, Utopia 56 ou encore le Secours Catholique, a ainsi appelé au rassemblement pour rendre hommage à la petite fille. “Justice pour Fanta, morte parce que la préfecture prive les étrangers de leurs droits”, peut-on lire sur les pancartes des personnes rassemblées place de la République à 14 heures.
Je demande que la préfecture assume. Je les tiens coupables pour la mort de ma petite fille.
Fatima, 26 ans, maman de Fanta
Au départ de la marche, Fatima, la maman de la petite fille, en sweatshirt noir et foulard sur les cheveux, est émue. “Ce n’est pas facile pour moi, je ne sais pas comment trouver les mots pour exprimer ma douleur”, glisse-t-elle pudiquement. “Je demande justice pour Fanta, je demande que la préfecture assume. Je les tiens coupables pour la mort de ma petite fille. Je me bats, je sais que [ce combat] va aboutir. Je sais que là où elle est, [Fanta] est fière de sa maman.”
Fatima est touchée de constater que de nombreuses personnes se sont réunies en soutien. Certains portent leurs enfants sur leurs épaules. À côté d’un petit orchestre de tambours et de tubas, une petite fille en manteau rose s’agrippe à sa peluche Diddl. “Fanta, Fanta, on n’oublie pas, on pardonne pas”, scande la foule qui marche lentement avenue du Président John-Fitzgerald-Kennedy.
La maman de Fanta ne pouvait ni travailler, ni s’inscrire à Pôle emploi, ni toucher des droits sociaux.
Maître Caroline Fortunat, avocate de Fatima
Si les personnes rassemblées tiennent la préfecture responsable de la mort du bébé, c’est parce que, faute de renouvellement de son titre de séjour, la maman de Fanta, ne pouvait “ni travailler, ni s’inscrire à Pôle emploi, ni toucher des droits sociaux”, explique son avocate, Maître Caroline Fortunat. “Elle était complètement coupée de toute ressource.” La jeune femme réfugiée de 26 ans ne pouvait donc plus payer les charges de son logement. Sans électricité pour chauffer l’appartement, elle a allumé un brasero au charbon, ce qui a conduit à l’intoxication de sa fille. Elle l’a retrouvée inerte au petit matin.
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La jeune femme avait pourtant fait sa demande de carte de résident en juillet 2022. “Normalement, c’est automatique, la carte est délivrée dans les trois mois” pour une personne réfugiée, affirme Me Fortunato, venue en toge participer au rassemblement.
Selon elle, de nombreux acteurs avaient tiré la sonnette d’alarme auprès de la préfecture sur la situation d’extrême précarité de Fatima : l’assistante sociale, la Macif, la CAF, le CCAS… Finalement, Fatima n’a obtenu sa carte de résident qu’en janvier 2024. “Tout ça a pris 18 mois et cette mort était complètement évitable”, déplore Me Fortunato.
Pour la réouverture des guichets en préfecture
Pour l’avocate, la marche de ce samedi après-midi vise ainsi à “rendre hommage à cette enfant qui n’aurait jamais dû mourir”. Mais l’objectif est aussi d’être entendus pour la préfecture : “On leur dit : “Entendez la douleur de cette maman, entendez qu’aujourd’hui, il y a des vies, des corps, des enfants qui souffrent de votre indifférence et d’un dysfonctionnement inacceptable du service public” ”.
Me Fortunato prévoit de saisir le tribunal administratif pour engager la responsabilité de la préfecture. Pour elle, “il y a une faute : la non délivrance du titre de séjour de [sa] cliente.” La situation de Fatima qui n’est pas isolée : “C’est la situation de centaines voire de milliers de personnes à Lille. Des situations de coupures de contrats de travail, d’expulsions qui auraient largement pu être évitées. Des personnes qui se retrouvent sans droits… C’est malheureusement devenu chose commune.”
C’est la situation de centaines voire de milliers de personnes à Lille. Des situations de coupures de contrats de travail, d’expulsions qui auraient largement pu être évitées.
Maître Caroline Fortunat, avocate de Fatima
Sans contact direct avec les services de l’État, puisque “toutes les démarches se font sur une plateforme (...) remplie de bugs”; les personnes migrantes peinent à obtenir les papiers nécessaires à leur insertion voire à leur survie.
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La foule entonne un nouveau refrain : “Messieurs les préfets, ouvrez les guichets”. Au cœur de la manifestation, Lina Douidah, de la Ligue des Droits de l’Homme, comme l’avocate de Fatima, dénonce ainsi “la dématérialisation de toutes les démarches en préfecture et les effets horribles pour les personnes étrangères qui se retrouvent en rupture d’accès aux droits”. L’association de défense des droits humains demande ainsi “la réouverture des guichets, un accompagnement de la préfecture et l’arrêt de ces délais inhumains”.