Une professeure des écoles de Lille-Moulins et trois parents d’élèves accueillent quatre familles de personnes sans-abris, récemment expulsées de leurs lieux d’hébergement d’urgence. Pour Sandrine*, la situation est anormale et alarmante. Elle témoigne anonymement.
Sandrine*, 54 ans, est professeure des écoles dans un établissement du quartier de Lille-Moulins. Depuis vendredi, elle accueille D., une maman nigériane, son petit garçon de cinq ans et son bébé d’un an. Cette dernière ne souhaite pas s’exprimer, par peur. Tous les trois ont été mis à la rue suite à la fermeture récente de gymnases et d’églises qui assuraient jusqu’ici l’hébergement d’urgence de personnes sans-abri. Sandrine nous accueille chez elle, à Marcq-en-Baroeul, où elle vit avec son mari et deux de ses trois enfants. Elle raconte anonymement son engagement et ses inquiétudes, de peur d’être sanctionnée.
Quelle est la situation ?
Il y a au moins quatre familles dans mon école qui se sont retrouvées à la rue la semaine passée. Ça fait huit enfants qui dormiraient potentiellement dehors au total. Deux mamans ont craqué en venant chercher leurs enfants à la garderie. Les deux lieux d’hébergement où elles logeaient jusqu’à présent ont été fermés. Alors j’accueille la famille de D. et les trois autres familles sont accueillies par des parents d’élèves. Il semblerait que ce soit le préfet qui a ordonné la fermeture des lieux d’hébergement…
Cela faisait apparemment trop longtemps que D. occupait ce lieu. La maman n’est pas en situation régulière au niveau de ses papiers, elle parle mal le français, elle n’a pas de lieu de garde et elle ne peut pas inscrire son bébé à la crèche.
Alors si je peux leur procurer des conditions de vie décentes, je le fais. C’est normal. Ici, il y a deux chambres pour elle et les petits. Elle est complètement indépendante, elle fait ce qu’elle veut, elle a une clé, elle cuisine, elle fait des courses. On partage parfois les repas ensemble.
Pourquoi avez-vous choisi de les accueillir ?
Ce n’est pas la première fois que je suis confrontée à cette situation. J’ai déjà accueilli deux familles géorgiennes, une famile ukrainienne et une étudiante malgache par le passé.
Ces quatre familles ont une réelle confiance en l’école. Elles souhaitent s'intégrer ici, voir leurs enfants faire des progrès et qu’ils puissent s’en sortir mieux qu’elles. Les parents assistent à tous les événements, aux chorales, aux spectacles.
Quand on a eu connaissance de leur situation, une solidarité s’est mise en place, car on n’a pas d’autres choix. Ça serait mieux que les politiques aient des solutions pour les gens. Quand on appelle le 115, il n’y a pas de places. C’est dramatique pour moi.
On ne milite pas dans un parti politique mais le fait d’héberger des personnes sans-abri, c’est du militantisme. Je crois que notre monde tend vers l’individualisme et ça ne me convient pas. Il faut qu’on ait tous des conditions de vie décentes. Tout le monde mérite un toit, peu importe son pays d’origine.
Quel est votre sentiment aujourd’hui ?
Je me sens soulagée que ces familles aient un toit. J’espère qu’elles trouveront un logement pour améliorer leur vie et que leur situation au niveau des papiers sera régularisée. Ces familles n’ont pas quitté leur pays pour profiter des allocations, elles ne sont pas parties par gaieté de cœur. Nous devrions mieux accueillir ces personnes. Nous sommes tous des êtres humains. Si nous étions confrontés à un pays en guerre ou une grande précarité, nous ferions la même chose qu’eux. C’est une chance d’accueillir des gens capables d’une telle adaptabilité, de tout quitter et de recommencer leur vie. C’est une grande intelligence, finalement. C’est une force extraordinaire et nous ne devrions pas nous passer de ça.
J’en veux aux pouvoirs publics. Ce n’est pas normal que ces familles tremblent de se faire expulser et n’aient pas de logements. Je trouve ça inhumain. C’est d’autant plus alarmant qu’il y a des enfants… On ne peut pas les laisser comme ça. Ce n’est pas normal que ce soit des habitants qui prennent en charge ces familles. On dit que la France est le pays des droits de l’Homme, une terre d’accueil. Mais c’est un leurre. Si on ne peut pas accueillir décemment des enfants, quelle que soit leur nationalité, on a tout perdu.