Entre les années 1990 et 2020 en France, le nombre de cas de cancers du pancréas a doublé chez les hommes et triplé chez les femmes. Une progression deux à trois fois plus rapide que dans le reste de l'Europe. On ne connaît pas les causes de la progression de cette maladie, qui pourrait devenir la deuxième cause de mortalité par cancer dès 2030, mais une équipe de chercheurs a mis en évidence, dans une étude publiée fin 2024, un lien avec l'exposition aux pesticides.
Publiée fin 2024 dans European Journal of Epidemiology, une étude met en lien l'exposition aux pesticides et le risque de cancer pancréatique. Cette maladie encore assez rare est aussi l'une des plus redoutables. Elle est en pleine expansion partout dans le monde, particulièrement en France, où le nombre de cas explose. On en recensait en 2020 deux fois plus chez les hommes et trois fois plus chez les femmes qu'en 1990, ce qui fait de notre pays le quatrième plus touché de la planète.
Selon le centre de lutte contre le cancer Léon Bérard, "le pronostic d'un cancer du pancréas est très mauvais avec une survie nette sur cinq ans d'environ 11 %. Diagnostiqué tardivement, il reste sombre et la mortalité très élevée."
Sur une zone donnée, si on augmente la moyenne d'achat des pesticides de 2,6 kg par hectare sur 11 ans, le risque de cancer du pancréas augmente de 1,3%.
Mathias BrugelHépato-gastro-entérologue, premier auteur de l'étude
Intitulée Pesticides et risque d'adénocarcinome pancréatique en France (2011-2021), cette étude s'intéresse à l'évaluation du lien entre l'exposition aux pesticides et l'incidence du cancer du pancréas en France. Comme l'indique son résumé, "alors que l'incidence de l'adénocarcinome pancréatique (AP) augmente, en particulier en France, l'association entre les pesticides et l'AP reste incertaine. Les objectifs de cette étude étaient d'évaluer la distribution spatiotemporelle de l'incidence de l'AP en France entre 2011 et 2021 et de déterminer si l'exposition aux pesticides est associée à un risque plus élevé d'AP."
Verdict : bien que ténu, il y a bien un lien, en particulier lors de l'usage de soufre pour la pulvérisation, mancozèbe et glyphosate, comme l'affirme dans Sciences et avenir le premier auteur de l'étude, Mathias Brugel, hépato-gastro-entérologue et épidémiologiste au CH de Bayonne - Côte Basque. "Sur une zone donnée, si on augmente la moyenne d'achat des pesticides de 2,6 kg par hectare sur 11 ans, le risque de cancer du pancréas augmente de 1,3%." Néanmoins, d'autres études devront être mises en œuvre pour établir une véritable causalité.
Mystère français : l'explosion du nombre de cancers du pancréas semble lié aux pesticides https://t.co/r7qLffILxr
— Sciences et Avenir (@Sciences_Avenir) January 10, 2025
Michaël Génin, coauteur de l'étude, est enseignant-chercheur en biostatistique au CHU et à l'université de Lille. Il répond à trois questions sur cette étude.
Pourquoi ce type d'étude ?
Nous travaillons sur la thématique santé - environnement. Une étude comme celle-ci permet, quand on met en évidence une hétérogénéité spatiale de l'incidence de la maladie, de se poser la question d'un ou plusieurs potentiels facteurs environnementaux à l'œuvre.
Quelle a été la méthode utilisée ?
Pour un territoire, la France métropolitaine et la Corse, entre 2011 et 2021, nous avons développé un indicateur qui permet d'approcher l'exposition aux pesticides. Il existe plus de 300 substances ; nous en avons sélectionné une dizaine, à savoir les cinq plus utilisées en France et les cinq jugées les plus dangereuses par l'OMS. Et une onzième, correspondant au cumul de ces 10 substances - en réalité neuf, car le mancozèbe, un fongicide, est sur les deux listes. Ces indicateurs ont été lissés sur onze ans, pour tenir compte de leurs fluctuations temporelles.
Comme il est très compliqué d'évaluer l'exposition aux pesticides sur un territoire comme la France, on utilise des données indirectes. Nous avons donc reporté, par commune française, les quantités achetées à la surface agricole.
Nous avons utilisé une approche de cartographie des maladies et de régression écologique à partir de données médico administratives couvrant 99 % de la population française. Pour le cancer du pancréas, on a des facteurs de risques connus, le diabète, l'obésité, le tabac, la consommation d'alcool, l'âge...
On a pris en compte la majorité de ces facteurs dans l'étude, tout comme l'accessibilité à la médecine de ville, et on s'est demandé si l'exposition aux pesticides, après ajustement sur ces facteurs, pouvait encore avoir un impact.
Parmi les causes du cancer du pancréas, on a un léger signal sur les pesticides.
Michaël GéninEnseignant-chercheur en biostatistique au CHU et à l'université de Lille, coauteur de l'étude
Et alors ? Qu'avez-vous trouvé ?
Avec beaucoup de prudence, on peut dire qu'on a détecté un signal étiologique. L'étiologie, c'est la cause des maladies. Parmi les causes du cancer du pancréas, on a un léger signal sur les pesticides.
Ces résultats montrent que les nouveaux cas d'AP surviennent de manière hétérogène dans l'espace, ce qui soulève des questions quant à notre compréhension de la maladie. Ce qui est mis en évidence, c'est une hétérogénéité spatiale de l'incidence du cancer du pancréas, avec des zones de surincidence marquées en région parisienne et dans le Massif central et sur la côte méditerranéenne, et des zones de sous-incidence marquées dans le quart nord - ouest de la France.
C'est une piste, qu'il convient de confirmer par la suite.
Michaël GéninEnseignant-chercheur en biostatistique au CHU et à l'université de Lille, coauteur de l'étude
Les facteurs environnementaux comme la pollution de l'air sont aussi liés aux territoires. Si la répartition est homogène sur le territoire, il y a peu de chances que des facteurs environnementaux puissent être à l'œuvre.
Cela ne veut pas dire qu'il y a un lien de cause à effet. Juste, dans les zones où les individus sont le plus exposés aux pesticides, c'est là que l'on dénombre le plus de cas de cancers du pancréas en France.
📢 Un récent article dans @lemondefr met en lumière une réalité alarmante : la France est le 4ᵉ pays le plus touché au monde par le cancer du pancréas en valeur absolue, avec une incidence qui ne cesse de croître. Parmi les causes étudiées, l’exposition aux pesticides. pic.twitter.com/Nti89zVL4k
— Comité scientifique Pro Anima (@ComiteProAnima) January 8, 2025
Il s'agit d'une association avec un lien robuste mais faible, à explorer pour prouver la relation de causalité. Cela ne doit en aucun cas écarter les facteurs de risques connus, mais ouvre de nouvelles pistes de recherche. Mathias Brugel continue d'ailleurs à travailler sur ce sujet en élargissant aux cancers de l'appareil digestif. Il faudrait maintenant effectuer des études au niveau individuel, soit des analyses biologiques sur des cohortes d'individus, pour mieux comprendre les mécanismes sous-jacents. Et ne pas oublier que d'autres facteurs environnementaux comme les métaux lourds ou les microplastiques pourraient également jouer un rôle.
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En Europe, le cancer du pancréas pourrait devenir d'ici cinq ans le plus important en termes de mortalité.