Depuis plus d'un an, les salariés de l'usine Buitoni de Caudry sont au coeur de la tourmente. C'est de ce site que sont sorties les pizzas contaminées à la bactérie E. Coli. Fustigés de toutes parts, incertains quant à leur avenir, ces employés voient leur santé durement impactée.
Un an à encaisser "claque sur claque", pour les salariés de l'usine Buitoni de Caudry, dans le Nord. En février 2022, le site se retrouve au coeur d'un scandale sanitaire. Des pizzas à pâte crue de la gamme Fraîch'Up, produites sur place, sont suspectées d'avoir provoqué la mort de deux enfants et l'intoxication de dizaines d'autres par la bactérie Escherichia coli, en février 2022.
En décembre 2022, après neuf mois d'arrêt, l'usine avait rouvert partiellement sur la seule ligne de production des pizzas à pâte cuite, non concernée par le scandale. Entre-temps, le site avait été complètement nettoyé.
Mais l'embellie ne dure pas. Le nombre de commandes continue de baisser. Le 3 mars, Nestlé annonce la suspension de l'activité puis sa fermeture définitive, le 30 mars. puisque l'annonce de la suspension d'activité a été faite auprès des salariés le 3 mars.
Dans la foulée, le groupe s'engage à ne pas notifier de licenciement avant la fin de l'année, et à proposer des solutions de reclassement interne. Mais pour les salariés, la fermeture est un nouveau coup de massue.
"Des collègues se sont fait traiter d'assassins dans la rue"
Cette tourmente, qui dure depuis des mois, abîme peu à peu la santé de ces travailleurs mis à l'arrêt. Pour Stéphane Derammelaere, délégué syndical Force Ouvrière, ça a été "des insomnies, parce qu'on se casse la tête pour savoir comment on va vivre après."
"Moi, je suis toujours dans l'action donc je n'ai pas à subir l'attente, mais j'ai des collègues qui souffrent. Depuis un an, ils s'en prennent plein la figure par les gens. Pour certains, c'est compliqué jusque dans leurs familles, les réseaux sociaux, je n'en parle pas. J'ai des collègues qui se sont fait traiter d'assassins dans la rue, devant l'usine", raconte cet employé.
L'impact physique et psychologique est, selon lui, bien visible chez ses collègues. "On a des insomnies, des gens qui pleurent sans arrêt, des gens qui sont allés consulter des psychologues", cite-t-il.
Certains prennent des cachets parce qu'ils sont tombé en dépression. Beaucoup de mes collègues ont maigri, ça je le vois.
Stéphane Derammelaere
Stéphane Derammelaere parle de "claques" encaissées les unes après les autres. La première a été la suspension soudaine de la production sans en connaître la raison, puis l'annonce de la contamination. "C'est là qu'on a eu les premières insultes, c'était très dur. Il y a eu l'attente, pendant 10 mois. On est payés, certes, mais ça ne remplace pas le fait de pouvoir se projeter."
Sur le site de Caudry, Nestlé a installé une cellule de soutien psychologique, mais celle-ci est bien peu fréquentée. Elle a été installée dans un bungalow, au milieu de la cour. "Ce n'est pas qu'ils font du mauvais travail, mais le bungalow est visible de tous. Certains n'osent pas y aller parce qu'ils savent qu'ils vont être vus."
"J'ai dormi deux heures par nuit, j'étais épuisée."
Mégane Mous, une employée du service qualité, témoigne du même choc. "Moi, j'ai vécu la perquisition et c'était traumatisant, on passe pour des criminels. On a tout mis en oeuvre pour redémarrer l'usine le plus vite possible, on a fait je ne sais combien de prélèvements, on a su produire de nouveau des produits sains, au top du top au niveau microbio. Quand on apprend que les distributeurs ne veulent pas de nos pizzas, on est frustrés."
Cette salariée est mère de deux enfants. Pour elle, le plus dur, c'est l'incertitude qui plane sur toute sa famille. "Si je perds ce travail, je perds énormément et ça remet en cause toute la façon dont on s'est organisés avec mes enfants."
Je m'inquiète pour l'avenir de mes enfants, je ne sais même pas comment je vais leur payer des études.
Mégane Mous, employée du service qualité
Une inquiétude qui a un prix physique. "Jusqu'à l'annonce de la fermeture définitive, j'ai dormi deux heures par nuit, j'étais épuisée. Je ne voulais pas montrer à mes enfants que je n'étais pas bien, on essaie de pas craquer mais ils se posent des questions, ils ne comprennent pas tout."
Elle raconte aussi la détresse de ses collègues quinquagénaires, qui ignorent s'ils vont pouvoir être réemployés, ces camarades qui maigrissent de rendez-vous en rendez-vous. "Il y a des gens qui, depuis la fermeture, n'arrivent plus à revenir sur le site. Moi je ne peux pas rester seule chez moi, j'ai besoin de voir du monde. On essaie de prendre des nouvelles de ceux qui ont besoin de s'isoler parce qu'on ne veut pas les abandonner."
Sous l'inquiétude, Mégane Mous ressent aussi une profonde colère envers le groupe Nestlé. "On se sent abandonnés. Nestlé n'a jamais jamais pris la défense des salariés, ni reconnu ses responsabilités. On a appliqué les protocoles et les standards que eux nous ont imposés et c'est nous qui payons. Eux, ils ont encore leur travail !" rappelle-t-elle amèrement.
"Il faut un repreneur qui soit viable à long terme"
Le 13 avril, le maire de Caudry Frédéric Bricout a révélé que trois repreneurs potentiels s'étaient manifestés. Mais cette annonce ne suffit pas à rassurer les salariés.
"On parle de trois repreneurs, il y a eu une visite ce matin donc ça veut dire que notre site a un intérêt. Mais il faut un repreneur qui soit fiable, qui soit viable à long terme." estime le délégué FO, Stéphane Derammelaere.
On ne veut pas de quelqu'un qui vienne prendre l'argent et se barrer dans deux ans. Ce scénario, on l'a déjà beaucoup trop vu.
Stéphane Derammelaere, représentant FO
Mégane Mous estime, comme lui, qu'il y a "beaucoup trop d'incertitudes à ce stade. On veut tous un repreneur, mais qui installe une production pérenne, qui garde nos emplois, qui nous permette de garder nos avantages et de ne pas voir disparaître notre ancienneté. Il faut que ce soit du solide. Tant qu'il n'y aura pas de signature avec un projet fiable, on ne sera pas rassurés."