Une aide-soignante, aujourd'hui en isolement après avoir contracté les symptômes du Covid-19, raconte le quotidien de ces dernières semaines, à côtoyer la mort à s'organiser entre collègues solidaires.
Laure (le prénom a été modifié) a été réquisitionnée dans un EHPAD du Dunkerquois, alors qu'elle travaillait auparavant dans une clinique qui y était rattachée. Entre fatigue mentale, manque de matériels et solidarité entre soignants, elle se confie sur un quotidien difficile, à l'intérieur d'un établissement particulièrement touché par le coronavirus.
"Je suis arrivée parce que plusieurs collègues avaient été en suspicion Covid", explique cette mère célibataire, qui se trouve elle-même désormais en isolement, avec tous les symptômes du Covid-19. Ces derniers se sont déclarés près d'une semaine après un premier test, qui s'était négatif.
25 masques par patient et par jour
"On a été au contact avec des résidents qui avaient tous les symptômes", indique-t-elle en soupçonnant la direction de l'EHPAD d'avoir "caché pas mal de choses" et d'avoir d'abord "réquisitionné notre matériel pour le donner" au personnel de la clinique auquel l'établissement est rattaché.
Les soignants ont malgré tout fini par être équipés, avec "des gants, des tabliers en plastique, des masques chirurgicaux" mais "on a dû gueuler pour en avoir", assure-t-elle.
"La direction nous a demandé de faire une feuille pour savoir combien de masques on utilisait par jour et par patient. On s'est rendus compte qu'il faudrait 25 masques par personne et jour !" Car entre les repas, la prise de médicaments, la toilette ou le change – plusieurs fois par jour – les masques doivent être retirés après chaque sortie de chambre.
"On s'est organisés et finalement, on a fini par faire tout ce qu'il y avait à faire dans la chambre en une seule fois", car sinon, "ça nous brisait le cœur de jeter un masque qui avait servi que cinq minutes !"
"On doit tout compter : les masques, le manugel, les combinaisons de blouses qu'on on met..." explique la jeune femme. "Je me suis rendue compte dans un supermarché que les caissières étaient mieux équipées que nous..."
"L'impression de travailler à la morgue"
Au manque de moyens s'ajoute l'épuisement moral, devant une situation difficile à contrôler. "J'ai eu la chance d'avoir des week-end, alors que certains de mes collègues sont H24 là-bas. Une fois, quand je suis revenue, j'ai appris la mort d'une résidente qui se portait bien deux jours avant."
"À chaque fois que je rentre à la maison, je suis bouleversée" confie la Nordiste, qui a parfois "l'impression de travailler à la morgue". Malgré plusieurs années de métier, même les gestes simples et routiniers deviennent compliqués. "On ne sait même pas par où donner de la tête, par où commencer !". "Parfois, sur un poste, on n'a même pas le temps de s'asseoir pour déjeuner".
Pourtant, l'aide-soignante nordiste refuse de rester passive. "Même si on est impuissants face à ça, on les accompagne jusqu'à la fin. Je ne peux pas laisser les gens mourir comme ça."
À cela s'ajoute un véritable sentiment d'abandon, y compris vis-à-vis des élans de générosité. "Les cliniques, les hôpitaux, reçoivent beaucoup de dons de la part des commerçants, mais dans les EHPAD, on est oubliés alors qu'on fait le même travail", regrette-t-elle, tout en saluant ces gestes de solidarité.
De ces quelques semaines intenses, avant d'être placée en isolement, Laure retiendra aussi les liens qui se noués entre les membres du personnel soignant, entre débrouille et solidarité. "Il y a quelque chose qui s'est formé entre collègues. Comme si on se donnait toutes la main, qu'on mettait de côté toutes les petites embrouilles entre nous et qu'on se disait : 'Allez on y va !'"