Les responsables des communautés Emmaüs de Saint-André-Lez-Lille et de Nieppe comparaissaient ce jeudi 13 juin 2024 pour des faits de travail dissimulé et de harcèlement. Des peines de prison avec sursis et des amendes ont été requises à leur encontre.
Les trois dirigeants des comunautés Emmaüs nordistes étaient jugés pour travail dissimulé aggravé ce jeudi 13 juin 2024. Sur le banc des accusés : Pierre Duponchel et Anne Saingier, respectivement président et directrice de la communauté de la Halte Saint-Jean, à Saint-André-lez-Lille, ainsi que Alexis Kotowski, l'ancien directeur de l'association à Nieppe. Des faits de harcèlement sont également reprochés à Anne Saingier.
Après de longues heures passées dans la huitième chambre du tribunal judiciaire de Lille, le procureur a prononcé ses réquisitions, tard dans la soirée, ce jeudi 13 juin.
Du sursis et des amendes requis
Deux ans de prison avec sursis et 3.000 euros d'amende ont été requis contre Anne Saingier, un an de prison avec sursis et 2.000 euros d'amende à l’encontre de Pierre Duponchel. Pour Alexis Kotowski, six mois de prison avec sursis ont été requis. Le procureur requiert également une interdiction d’exercer une activité en lien avec l’infraction pendant cinq ans.
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Environ 300 personnes s’étaient rassemblées ce jeudi 13 juin en début d’après-midi, devant le tribunal judiciaire de Lille, avenue du peuple belge. En cause : l’ouverture du procès des dirigeants des communautés Emmaüs de la Halte Saint-Jean, à Lille, et de Nieppe.
En juillet 2023, vingt-et-un compagnons sans-papiers de la Halte Saint-Jean s'étaient mis en grève pour dénoncer leurs conditions de travail. Ils avaient alors déposé une plainte pour "travail dissimulé" et "traite d'êtres humains" auprès du tribunal judiciaire de Lille. Ils demandaient aussi à être régularisés. Même situation à Nieppe, où six compagnons s’étaient mis en grève au mois de septembre 2023.
Alors devant le tribunal correctionnel, les soutiens aux nombreuses parties civiles et aux dirigeants se sont réunis, de part et d’autre du carré d’herbe qui coupe l’avenue du Peuple Belge en deux. De nombreuses personnes font la queue pour accéder à l'audience.
Des accusations de travail dissimulé aggravé pour les trois dirigeants
À l’intérieur, les débats promettent de durer jusque dans la soirée. Le président de la huitième chambre du tribunal, prend le temps de résumer les enjeux du procès – sur la forme comme sur le fond.
“Emmaüs, c’est 27 500 personnes, entre les bénévoles, les compagnons et les salariés, répartis en 122 communautés en France”, rappelle le magistrat. “Tout le monde le sait mais je le dis : Emmaüs a pour but d’aider les plus démunis en leur offrant un logement décent ainsi qu’une aide à la réinsertion”.
Le statut Oacas en question
Sur le banc des parties civiles, une trentaine de plaignants sont présents. La grande majorité d’entre eux sont des compagnons d’Emmaüs qui estiment avoir été maltraités et exploités par les dirigeants.
L'audience commence par un rappel détaillé de l’un des sujets de discorde entre les deux parties : le statut des associations Emmaüs de Saint-André et de Nieppe.
Sur le papier, l’ensemble des communautés Emmaüs bénéficient de ce qu’on appelle le “statut Oacas (Organismes d'accueil communautaire et d'activités solidaires)”. Un statut “à mi-chemin entre salariat et bénévolat”, comme le définit le président, qui permet aux travailleurs en situation irrégulière de recevoir une allocation communautaire (et non pas un salaire).
Grâce au statut Oacas, les compagnes et compagnons sont domiciliés au sein de la communauté, bénéficient d’un accompagnement social, cotisent à l'URSSAF et à la caisse de retraite. Surtout, au bout de trois ans sous ce statut, les travailleurs peuvent constituer un dossier pour obtenir un titre de séjour auprès de la préfecture.
Des compagnons sans-papiers qui se plaignent de leurs conditions de travail
Suite au renoncement au statut Oacas par les deux communautés Emmaüs, les dirigeants de celles-ci ont ainsi expliqué aux compagnons qu’ils n’étaient plus que de simples bénévoles… Et non pas des “travailleurs solidaires”. Un état de fait qui les prive ainsi des droits et qui crée “un émoi important et un climat de fortes tensions sociales”, explique le président du tribunal.
C’est ce qui “a mis le feu aux poudres”. Les compagnons sans-papiers entrent en grève, portent plainte contre les dirigeants pour traite d’êtres humains, habitat indigne – deux charges qui n’ont pas été retenues – et travail dissimulé.
Une directrice omniprésente, directive, vénale, sans compassion, colérique et discourtoise.
Le président de la huitième chambre du tribunal judiciaire de Lillequi résume le point de vue des compagnons de la Halte Saint-Jean
Ils dénoncent des conditions de travail difficiles, sans possibilité d’être malade, avec des horaires très importants, des allocations très faibles et variables d’un mois à l’autre. Les compagnons décrivent leur directrice comme étant “omniprésente, directive, vénale, sans compassion, colérique et discourtoise”, explique le magistrat. “Elle leur dit que s’ils ne sont pas contents ils peuvent repartir dans leur pays”.
La directrice de la communauté de la Halte Saint-Jean accusée de harcèlement
Deux salariés d’Emmaüs ont également porté plainte pour des faits de harcèlement contre Anne Saingier. “Petite conne”, “tu ressembles à une sorcière”, “tu ne sais rien” : la directrice de la communauté de Saint-André est accusée d’avoir eu des paroles inappropriées à l’égard de ces deux personnes. L’une d’elles affirme même avoir fait une tentative de suicide, avant de décider de “ne plus jamais revenir”.
Le tribunal devra donc déterminer, à la lumière des éléments de l’enquête et des témoignages, si les compagnons ont effectivement “travaillé” au sens juridique du terme et si les deux employés ont subi du harcèlement moral.