Expulsion de gens du voyage : la Métropole de Lille retire 38 000 euros de subvention à une association de lutte contre le mal-logement

En pleine crise du logement, l'Atelier Populaire d'Urbanisme (APU) Vieux-Lille, a perdu la subvention de 38 000 euros que la Métropole de Lille (MEL) lui accordait. La MEL reproche à l'APU des violences verbales lors d'une expulsion de gens du voyage à Wattignies le 20 février 2024.

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Depuis 1979, l'Atelier Populaire d'Urbanisme (APU) Vieux-Lille vient en aide aux personnes mal logées sur l'agglomération lilloise. Une association qui agit pour prévenir des expulsions, sortir les habitants des logements indignes et régler les conflits locatifs. Seulement voilà, l'APU risque de fermer ses portes, faute de financement.

En février 2024, la Métropole européenne de Lille (MEL) a décidé de mettre fin à la subvention de 38 000 euros qu'elle versait jusqu'alors à l'APU, invoquant un non-respect du contrat d'engagement républicain (CER), pour des évènements remontant au 20 février.

Le CER est une mesure controversée de la loi séparatisme appliquée depuis janvier 2022, qui vise à faire respecter les principes de "liberté, égalité et fraternité" aux associations, sous peine de perdre leurs subventions sur décision administrative. La Défenseure des droits et la Ligue des droits de l'homme avaient à l'époque émis de vives réserves ou critiques concernant ce projet.

L'expulsion des gens du voyage de Wattignies

Évidemment, le président de l'association, Antonio Delfini, est remonté. À l'autre bout du téléphone, le Lillois gesticule et retrace les évènements du 20 février. Ce jour-là, des dizaines de familles de gens du voyage se sont fait expulser de l'aire d'accueil de Wattignies par des agents de la MEL.

Une expulsion prévue en raison de loyers impayés, dégradations et branchements illégaux, qui intervient dans un contexte de crispations entre associations, administrations et gens du voyage. Plusieurs associations, dont l'APU du Vieux-Lille, accusent certaines communes d'illégalité, en ne proposant pas d'aires d'accueil - pourtant obligatoires pour les communes de plus de 5 000 habitants depuis 1990 (loi Besson) - créant ainsi des espaces insalubres et des tensions avec cette communauté.

"On savait qu'une procédure d'expulsion était enclenchée depuis plusieurs mois, sans avoir de retour de la MEL sur la date exacte. Une de nos salariés, Marie, accompagnait une des familles depuis plusieurs mois. Ce jour-là, elle a été appelée car ils se faisaient déloger." Marie s'est donc rendue sur place en tant que représentante de l'association selon Antonio Delfini.

Violences verbales

Une précision qui a toute son importance puisque, suite à cette expulsion très tendue, la Métropole de Lille a invoqué le non-respect de deux engagements du CER : “ne pas provoquer à la haine ou à la violence envers quiconque” et “interdire d'entreprendre ou d'inciter à toute action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d'entraîner des troubles graves à l'ordre public”. La MEL pointe du doigt des violences verbales qu'aurait adressées Marie à l'encontre des agents métropolitains.

Deux phrases en particulier les auraient profondément choqué : "vous n'avez pas honte ?" et "comment on se regarde dans la glace après avoir réalisé cette expulsion ?"

Remettre toute la responsabilité de cette violence sur une seule personne, qui faisait son travail sans être insultante, c'est aberrant.

Antonio Delfini, président de l'APU Vieux-Lille

Un comportement violent qu'Antonio Delfini dément totalement : "On nous a dit que les agents étaient traumatisés, et on l'entend totalement, les expulsions c'est toujours difficile à vivre. Mais remettre toute la responsabilité de cette violence sur une seule personne, qui faisait son travail sans être insultante, c'est aberrant."

Contactée, la Métropole européenne de Lille n'a pas donné suite à nos demandes d'entretien.

Une décision "arbitraire"

48 heures après avoir découvert les faits qui leur sont reprochés, les membres de l'Atelier Populaire d'Urbanisme adressent un courrier à la direction de la MEL pour demander une entrevue avec Anne Voituriez, vice-présidente chargée du logement et de l'habitat, et "comprendre cette injustice".

Malheureusement, l'entrevue s'est avérée peu concluante pour l'APU Vieux-Lille. "Il n'y a eu aucune discussion. On nous a prévenus de la sanction, sans qu'on ait notre mot à dire. Ils ont pris la décision sans contradictoire, de façon totalement arbitraire." Suite à deux articles publiés cette semaine par Médiapart et Médiacités, un second rendez-vous a été programmé mardi 7 mai.

On nous a prévenu de la sanction, sans qu'on ait notre mot à dire. Ils ont pris la décision sans contradictoire, de façon totalement arbitraire.

Antonio Delfini

"On ne crie pas à la cabale politique, mais cette décision aura des conséquences catastrophiques pour notre association, qui devra licencier à court terme, arrêter ses permanences, suspendre près de 200 actions, le tout dans un contexte de crise du logement historique", déplore le président de l'APU Vieux-Lille, démuni.

En 2022, la Métropole de Lille estimait à 60 000 le nombre de logements à construire sur les dix prochaines années, pour pallier ses lacunes en matière d'habitat. L'an passé, les expulsions étaient en augmentation de 23% et les impayés explosent à l'échelle nationale.

Vers un recours judiciaire ?

La privation de subventions que subit l'APU fait réagir. Antonio explique recevoir beaucoup de soutien de la part d'autres associations ciblées par une rupture de CER, ou par la Fondation Abbé Pierre, qui lutte aussi contre le mal logement.

La Ligue des droits de l'homme de Lille a publié un communiqué ce jeudi pour apporter son soutien à l'association et demander à la MEL de revoir son jugement. "Cette décision risque de compromettre les missions indispensables de la structure (...). Alors que la crise du logement est manifeste."

Cette décision risque de compromettre les missions indispensables de la structure (...). Alors que la crise du logement est manifeste.

Ligue des droits de l'homme de Lille

Si la réunion prévue mardi prochain ne s'avérait pas concluante, sous-entendu que la Métropole ne revenait pas en arrière, l'APU Vieux-Lille n'omet d'en venir au recours judiciaire. "On n'a d'ailleurs toujours pas reçu de courrier expliquant ce qui nous est reproché. Le contrat républicain, on l'attend écrit noir sur blanc.. Et après on regardera ce qui est possible de mettre en place juridiquement."

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