Le tribunal judiciaire de Dunkerque a jugé hier que les plaintes de six migrants qui attaquaient la ville de Grande-Synthe pour une expulsion illégale étaient non recevables en justice. Les associations, elles, entendent continuer à se battre contre cette “déshumanisation”.
"Nous sommes clairement choqués de la décision du tribunal, choqués qu’une fois encore la justice soit refusée aux personnes exilées", souffle Anna Richel, coordinatrice d'Utopia 56 à Grande-Synthe. Six migrants, soutenus par les associations Utopia 56 et Human Rights Observers, avaient attaqué en justice la ville de Grande-Synthe pour "violation du droit d’exil", afin de dénoncer des expulsions jugées illégales. Mais le tribunal judiciaire de Dunkerque a statué, hier, que les requérants n’étaient pas recevables en justice pour "défaut de preuve de leur présence sur les lieux de vie informels pendant les expulsions".
Pourtant, si les migrants avaient saisi la justice, c’était justement parce que leurs effets personnels - tentes, sacs à dos, téléphones, papiers d’identité - avaient été détruits lors des expulsions, les 13 et 26 octobre 2021. Expulsions dont ils n’avaient pas été notifiées à l’avance. "Nous questionnons leur validité à cause de la manière dont elles ont été menées, qui précarise encore davantage ces personnes", indique Pablo Ovan, coordinateur communication et plaidoyer d’Human Rights Observer (HRO). En effet, la procédure tel qu’écrit dans la loi veut que les personnes soient prévenues de l’expulsion en amont, afin qu’elles puissent exercer leur droit. Un inventaire de tous les biens doit aussi être réalisé, et les affaires stockées.
Des personnes "non-identifiables"
Selon les associations, qui ont présenté des vidéos pendant l’audience, rien de tout cela n’a été fait. "Une des raisons avancée par la partie adverse était que c’était trop compliqué de contacter toutes les personnes parce qu’elles ne sont pas identifiables", indique Plablo Ovan. Le tribunal judiciaire de Dunkerque, dans sa décision, a lui aussi considéré que les personnes étaient "non-identifiables" et "non-dénommées", "au seul prétexte qu’elles ne parlent pas français", précise un communiqué d’HRO.
Une "déshumanisation constante" à l’encontre des migrants, que déplore Anna Richel de l’association Utopia 56 : "C’est important qu’ils soient reconnus en tant que personnes, et ça passe par la justice", explique-t-elle : "Ils ont un nom, un prénom, une famille. Ils avaient des objets qui leur étaient propres et ils se retrouvent dans cette impasse. La décision du tribunal souligne le fait que la justice ne leur est pas accessible".
Ils ont un nom, un prénom, une famille. Ils avaient des objets qui leur étaient propres et ils se retrouvent dans cette impasse. La décision du tribunal souligne le fait que la justice ne leur est pas accessible.
Malgré tout, les migrants étudient actuellement la possibilité de faire appel, et la stratégie des associations reste inchangée : "Nous continuerons d’accompagner des personnes qui sont victimes pour qu’elles puissent avoir le droit à la justice. C’est essentiel pour faire prendre conscience de cette violence et faire réagir".
La stratégie de la visibilité
L’espoir qu’une affaire puisse faire jurisprudence demeure également : "Il y en a environ une par semaine à Grande-Synthe et systématiquement, aucun inventaire n’est dressé, aucune personne n’est notifiée. C’est constamment dans l’illégalité", affirme Pablo Ovan, rejoint dans ses propos par Anna Richel.
Le fait que six migrants saisissent la justice reste toutefois rare tant la peur des répercussions est prégnante. Le rôle des associations est donc clé pour informer les personnes de leur droit, les mettre en lien avec un avocat et les accompagner tout au long de la procédure pour répondre à leurs questions et à leurs craintes. Elles n’hésitent pas à se substituer aux personnes qui n’oseraient pas porter plainte.
Début juillet, Utopia 56 a ainsi saisi la Défenseure des droits pour des faits de violences policières à l’encontre de migrants. L’enjeu, selon Anna Richel ? "Montrer que ce n’est pas parce qu’il y a pas de plainte que les violences n’existent pas. Il faut les rendre visibles."