FOOTBALL LEAKS. LOSC : les dessous mouvementés des premiers mercatos de l'ère Gerard Lopez

Négociations, contrats, agents à la manoeuvre, embrouilles et coups tordus aussi avec d'autres clubs...  France 3 Hauts-de-France et Médiacités, en association avec Mediapart et l'EIC, passent à la loupe plusieurs transferts réalisés par le LOSC en 2017, après le rachat de Gerard Lopez.

Retour en janvier 2017. Gerard Lopez et son associé Marc Ingla viennent de reprendre le LOSC à Michel Seydoux, avec des ambitions fortes et un projet clairement centré "sur le talent footballistique". Ils ont su convaincre un expert pour les épauler : le Portugais Luis Campos. Un "docteur ès pépites" si le diplôme existait.

"Comme directeur technique de l'AS Monaco, il a généré 300 millions d'euros de profit", vantait fièrement une brochure que les nouveaux patrons lillois avaient transmise à de potentiels investisseurs. Et l'excellent parcours des Dogues, cette saison en Ligue 1, prouve que cette réputation n'est pas usurpée.
 


Mais avant de jouer le podium et une potentielle qualification pour la Ligue des Champions, ce LOSC new look a dû essuyer les plâtres. Sur le terrain, on le sait, avec un maintien arraché lors de l'avant-dernière journée. Mais aussi en coulisses, comme nous avons pu le constater, avec le site d'investigation régional Mediacités et Mediapart, en consultant de nombreux documents issus des Football Leaks, ces millions de données confidentielles recueillies par le magazine allemand Der Spiegel et analysées avec ses partenaires de l'EIC (European Investigative Collaborations, voir encadré). Ils apportent un éclairage inédit sur certains recrutements effectués à l'hiver puis à l'été 2017. 
 

Bahlouli et El Ghazi, erreurs de casting


Luis Campos a certes l'oeil aiguisé en matière de football. Tout comme son fidèle superviseur, Admar Lopes, qui parcourt les stades du monde entier, en quête de la perle rare. Mais ils ne sont pas infaillibles. La preuve avec Anwar El Ghazi et Farès Bahlouli.

L'attaquant batave, formé à l'Ajax Amsterdam et cornaqué par le puissant agent Jorge Mendes, faisait partie des "top targets" (cibles prioritaires) identifiées par le tandem portugais pour évoluer sur l'aile droite, dans un rapport de scouting transmis en mai 2016 à leur ancien employeur, l'AS Monaco. Ils l'ont aussi recommandé à Gerard Lopez et Marc Ingla au moment de débuter leur tout premier mercato.
 

Les nouveaux patrons du LOSC n'ont pas attendu que la vente du club soit bouclée, le 25 janvier 2017, pour démarrer leurs emplettes. Dès le 7 janvier, Marc Ingla, le futur directeur général, a demandé à Reynald Berghe, directeur général adjoint de Michel Seydoux en charge des finances, d'adresser à l'Ajax une offre de 6 millions d'euros dont la moitié sera payable dès le 31.

Insuffisant pour le club néerlandais qui est d'accord pour céder El Ghazi, à condition d'aligner 8 millions. "Il y a deux options", détaille Jeroen Slop, le directeur financier de l'Ajax, à Marc Ingla, le 20 janvier. "Soit un paiement intégral de 8 millions avant le transfert d'enregistrement, soit un paiement échelonné. Ce qui signifie 4 millions avant transfert d'enregistrement, 2 millions le 1er février, 2 millions le 1er février 2018".

On ne sait pas quelle option choisira finalement Lille, mais le deal est conclu. Une bonne affaire pour l'agent du joueur, Jorge Mendes, qui recevra de l'Ajax une juteuse commission de 778 958,90 euros. Soit presque 10%, comme le lui avait promis Jeroen Slop, le 16 janvier, si le joueur était vendu 8 millions aux Dogues.

A l'époque, El Ghazi devient le 4e plus gros achat de l'histoire du LOSC, derrière Marvin Martin, Dimitri Payet et Nolan Roux. Mais l'investissement ne s'est pas révélé fructueux à ce jour. Inconstant, malgré quelques fulgurances, l'attaquant néerlandais a été prêté l'été dernier à Aston Villa, en 2e division anglaise. 
 
     
Autre mauvais plan de Campos lors de ce mercato inaugural : Farès Bahlouli. Le technicien portugais croit au potentiel de ce jeune milieu offensif, formé à Lyon, qu'il avait déjà fait venir à Monaco pour 3,5 millions d'euros en juin 2015. "C'est un talent pur, un numéro 10 à l’ancienne", avait-il déclaré en conférence de presse. "Tous ceux qui aiment le football spectaculaire l’aimeront." Avec un bémol cependant : "il faut qu'il devienne un joueur un peu plus moderne. Qu’il défende plus par exemple"

Bahlouli sort d'une mauvaise expérience au Standard de Liège où Monaco l'avait prêté quelques mois, mais où il n'a pas joué. Le LOSC compte en faire un argument. Le 19 janvier 2017, Marc Ingla transmet à Vadim Vasilyev, vice-président du club de la Principauté, une première offre à 1 million d'euros + 1 million de bonus et 20% sur la plus-value réalisée sur le prochain transfert du joueur. Refus de l'ASM qui veut 1,75 million et 50% sur le prochain transfert. 
 

"Nous faisons un pari fort au LOSC avec le jeune Bahlouli, en investissant à la fois des moyens financiers pour le racheter et des ressources sportives pour développer toutes ses qualités brutes", rappelle Ingla aux dirigeants monégasques "Nous considérons ce deal comme une entreprise risquée".  Le Catalan parvient à réduire le montant fixe du transfert à 1,5 million.

Mais l'ASM veut moduler le pourcentage à la revente en fonction du montant d'une future revente. Le 29 janvier, après des jours de marchandage, un terrain d'entente est trouvé : Monaco touchera ainsi 20% si le LOSC revend Bahlouli entre 1,5 et 3 millions d'euros, 30% s'il le revend entre 3 et 7 millions, 40% si c'est plus de 7 millions.

Finalement, ni les Dogues, ni le club de la Principauté n'ont fait une bonne affaire. Farès Bahlouli se révélera peu convaincant sous le maillot lillois. Il n'a plus foulé une pelouse de Ligue 1 depuis le 1er avril dernier et ne figurait même pas sur la photo officielle du LOSC en début de saison. Difficile à ce jour d'envisager la moindre plus-value...
 
 

Xeka : une prime, un clash, un prêt

Si Bahlouli et El Ghazi feront un flop, Xeka, lui, sera la bonne pioche de ce premier mercato lillois de Gerard Lopez, Marc Ingla et Luis Campos. Miguel Angelo da Silva Rocha - de son vrai nom - était un parfait inconnu à son arrivée dans le Nord. Issu de l'équipe réserve de Braga, le jeune milieu de 22 ans avait effectué ses débuts en première division portugaise seulement quelques mois plus tôt, le 24 octobre 2016.

Le 3 janvier 2017, son agent, Nelson Pinto Almeida, tente d'abord de le caser à l'AS Monaco. "J'ai eu une réunion avec le président de Braga pour prêter le joueur avec une option d'achat, ce qu'il a accepté", écrit-il à Vadim Vasilyev, le vice-président du club de la Principauté. Mais c'est finalement le LOSC qui récupère le deal.
 

Dans le contrat qu'il signe avec Braga le 31 janvier, le club nordiste accepte de verser 200 000 euros pour le prêt du joueur jusqu'au 30 juin. Et il a jusqu'au 31 mai pour lever l'option d'achat fixée à 5 millions d'euros

Le LOSC, le joueur et son agent se sont déjà entendus sur son futur contrat en cas de mutation définitive. Si le club nordiste lève l'option, Xeka empochera, le 31 juillet 2017, une prime exceptionnelle de 400 000 euros.

Le Portugais percevra une rémunération brut mensuelle de 50 000 euros la première année. Sa progression salariale - et certaines gratifications - dépendront de son temps de jeu. Ainsi, s'il dispute 60% des matches officiels du LOSC (45 minutes minimum par match) lors de la saison 2017/2018, il encaissera une nouvelle prime exceptionnelle de 120 000 euros et son salaire brut mensuel passera à 62 500 euros. Et ainsi de suite, les saisons suivantes, jusqu'à la fin de son contrat en juin 2021. Son salaire pourra grimper jusqu'à 75 000 euros mensuel avec des primes allant jusqu'à 180 000 euros.
 

Le 5 mai 2017, Marc Ingla lève officiellement l'option d'achat auprès du président de Braga, Xeka ayant montré de très belles choses lors de son prêt, avec un but et deux passes décisives en 13 matches de Ligue 1 sous le maillot des Dogues.

Le LOSC a donc dû, en principe, lui verser sa prime de 400 000 euros fin juillet. Mais le jeune milieu portugais ne semble plus faire partie des premiers choix du nouveau coach lillois, l'Argentin Marcelo Bielsa. "Après la première demi-saison, j’avais beaucoup d’espoir de confirmer, mais l’arrivée de Bielsa a rendu les choses bien plus difficiles", reconnaîtra Xeka, un an plus tard, dans une interview à La Voix du Nord
 

Lors des quatre premiers matches de la saison, le milieu n'a droit qu'à 14 minutes de jeu, contre Angers, le 27 août 2017. De quoi irriter un joueur dont la progression salariale et les primes sont liées à son temps de jeu. Un clash survient à l'entraînement avec El Loco et Xeka est prêté à Dijon le 31 août, lors du dernier jour du mercato.

Une fois Bielsa écarté, les dirigeants lillois tenteront de faire revenir Xeka, lors du mercato d'hiver. Mais Dijon refusera de le libérer avant la fin du prêt, le 30 juin 2018. Le Portugais a regagné depuis le Domaine du Luchin et une solide place de titulaire dans l'effectif du LOSC.

 

Conflit avec le PSG pour Ballo-Touré

En janvier 2017, les nouveaux dirigeants lillois ne s'activent pas seulement pour le mercato d'hiver, mais aussi pour celui de l'été suivant. Une de leurs cibles s'appelle Fodé Ballo-Touré, jeune défenseur latéral gauche de 20 ans, formé au Paris Saint-Germain. Il avait déjà été repéré par Luis Campos et Admar Lopes lorsqu'ils travaillaient pour Monaco. Son contrat stagiaire avec le club de la capitale expire en fin de saison, ce qui suscite beaucoup d'intérêts dans toute l'Europe...  

Selon nos informations, les dirigeants lillois auraient rencontré le jeune espoir parisien dès le 11 janvier 2017. Et ce, alors que la Charte du football professionnel indique qu’"à l’expiration du contrat stagiaire, le club (le PSG en l'occurrence NDR) est en droit d’exiger de l’autre partie la signature d’un contrat professionnel".
 


Le PSG n'apprécie pas les méthodes des nouveaux dirigeants lillois. Le 30 janvier 2017, son directeur général, Jean-Claude Blanc, adresse un courrier courroucé au président Gerard Lopez pour lui demander de cesser ses contacts avec Ballo-Touré.

"Nous avons récemment été informés que votre club entretient des contacts rapprochés avec Monsieur Fodé Ballo, salarié de notre Club dans le cadre d’un contrat de joueur stagiaire jusqu’au 30 juin 2017 au sein de notre centre de formation", écrit le dirigeant parisien. "Dès lors, vous comprendrez aisément notre désagrément lorsque nous avons été informés que votre club aurait proposé la signature d’un contrat professionnel et aurait même signé un "pré-contrat" pour le recrutement de ce joueur en juillet 2017."

Le règlement administratif de la Ligue de Football Professionnel (LFP) impose une obligation d’information préalable des clubs. "Avant qu’un club désirant signer un contrat avec un joueur ou un entraîneur ne puisse négocier avec un de ces derniers, il est tenu d’en informer par écrit (lettre recommandée avec accusé réception) leur club actuel". 
 

Or, signale Jean-Claude Blanc, "nous n’avons reçu aucune notification de votre part nous informant de la volonté du LOSC d’engager Monsieur Fodé Ballo". "En l’espèce, le LOSC n’est donc pas en mesure de signer quelque contrat que ce soit avec Monsieur Fodé Ballo avant le mois de juin", signifie-t-il à Gerard Lopez. "Cette situation est d’autant plus désagréable que nous avons clairement formalisé notre intention de conserver le joueur, auquel nous avons transmis une lettre d’intention pour la signature d’un contrat professionnel."

Le PSG propose en effet à Ballo-Touré, le 30 janvier, un contrat pour 3 saisons, avec un salaire mensuel brut de 34 000 euros pour la saison 2017-2018, 38 250 euros pour la saison 2018-2019 et 42 500 euros pour la saison 2019-2020. Une rémunération susceptible de progresser en fonction du nombre d’apparitions sous le maillot parisien. Le club francilien s’engage même à proposer à son jeune défenseur, dans les six mois suivant l’entrée en vigueur du contrat, une prolongation de deux années supplémentaires, jusqu’au 30 juin 2022.
 
 
Mais Fodé Ballo-Touré rechigne à signer. Au PSG, la situation agace. Dès le mois de février, il est mis à l'écart par François Rodrigues, entraîneur de l'équipe réserve et de Youth League. Le 24 mars, le joueur écrit à Jean-Claude Blanc pour lui annoncer qu’il refuse le contrat proposé par le club : "En effet après mure réflexion en ayant pesé longuement le pour et le contre, j’ai décidé de donner une nouvelle orientation à mon début de carrière, de trouver un club de standing moindre au votre qui me permettra d’évoluer avec son équipe première dès la saison prochaine, chose à laquelle je ne pourrai pas prétendre en m’engageant avec le PSG FC".

Le Paris Saint-Germain décide alors de saisir la commission juridique de la LFP. Le 13 juin 2017, le LOSC est condamné à une amende de 15 000 euros (dont 10 000 avec sursis) pour avoir démarché le joueur avant le terme de son contrat de stagiaire. Une bagatelle finalement, puisque Fodé Ballo-Touré filera quand même au LOSC qui réalisera une grosse plus-value en le revendant à Monaco en janvier 2019, pour un montant compris entre 11 et 14 millions d’euros en fonction des bonus…
 

L’imbroglio Soualiho Meïté

Une autre embrouille, moins connue, va également opposer les nouveaux dirigeants lillois à l'AS Monaco et au club belge de Zulte-Waregem. En cause : le milieu défensif Soualiho Meïté.
 

Le joueur, formé à Auxerre, a été recruté en janvier 2013 par le LOSC, où il n'est jamais vraiment parvenu à s'imposer. A l'hiver 2016, l'ancienne direction du club nordiste le prête pour 18 mois, de l'autre côté de la frontière, à Zulte-Waregem. L’accord prévoit une option d’achat à 300 000 euros, Lille gardant dans ce cas un intéressement de 60% sur le futur transfert du joueur. Pendant ce prêt, "Lille continue aussi de payer une part du salaire du joueur", nous a précisé Eddy Cordier, le directeur général du club belge.

Malgré des débuts timides en Jupiler Pro League, Soualiho Meïté finit par enchaîner les bonnes prestations. En janvier 2017, dès le rachat du LOSC par Gerard Lopez, Luis Campos tente de rapatrier le joueur à Lille. Mais le jeune espoir, alors âgé de 22 ans, ne veut pas revenir. En février, Zulte-Waregem lève l’option d’achat à 300 000 euros et vend Meïté dans la foulée pour 6 millions d’euros à l’AS Monaco, d'après la convention de transfert signée par les deux clubs, datée du 15 juin 2017.
 

Le LOSC a beau empocher 60% de la somme, cela ne suffit pas à ses nouveaux dirigeants, qui en espéraient plus. Le 17 juin, Marc Ingla, directeur général du LOSC, écrit aux dirigeants de Zulte-Waregem pour se plaindre du montant du transfert. "Comme vous le savez, nos accords prévoient que le LOSC bénéficie d’un important intéressement sur le transfert de ce joueur", rappelle le Catalan à ses interlocuteurs belges. "Au regard des performances du joueur cette saison, accentuées dans cette deuxième partie de saison, nous considérons que la valeur du joueur sur le marché des transferts se situe entre 12 et 15 millions d’euros."

"Aujourd’hui, nous sommes très surpris d’entendre que Zulte-Waregem serait sur le point de conclure le transfert de Meïté à l’AS Monaco moyennant le versement d’une indemnité de transfert de moins de 10 millions d'euros (entre 5 et 7 millions selon les informations obtenues) et ce, quand bien même le joueur aurait fait le choix de rejoindre Monaco", poursuit Marc Ingla qui se fait menaçant : "si tel était le cas, ce transfert serait sous-évalué, d’une manière frauduleuse à notre avis, et pour cela, nous mènerions toute investigation utile et toute action légale ou au plan de la réglementation sportive, visant à protéger les intérêts légitimes du LOSC et à faire respecter le contrat qui nous lie". 

Marc Ingla s’en émeut aussi auprès du vice-président de l’AS Monaco, Vadim Vasilyev : "J’attends des relations commerciales équitables et convenables entre ASM et LOSC et tout autre club tiers impliqué. Gerard (Lopez NDR) est très attentif à ce dossier; nous sommes très mal à l'aise avec cette situation."
 

La demande du LOSC fait bondir Vasilyev, qui s’épanche sur le sujet auprès son directeur général adjoint, Nicolas Holveck, et de son directeur général, Filips Dhondt. "Marc ma appelé hier et je lui ai répété que les anciens dirigeants de LOSC ont fait une bêtise, c’est ça, et il faut qu’il admette, puis nous n’avons aucun accord entre LOSC et Monaco dans ce dossier", s'agace le Russe."12-15 millions, mais il est fou ! Transfermarkt (site spécialisé dans les transferts du football NDR) par exemple valorise le joueur à 7 millions." 

Et Vasilyev de conclure auprès de ses collaborateurs : "Je pense envoyer une réponse dure à Marc que j'ai eu deux fois gentiment au téléphone, et qu'il m'embête plus avec les problèmes de LOSC."
 

Les menaces du LOSC resteront visiblement sans effet. "Il n’y a pas eu de poursuites judiciaires, nous n’avons rien reçu de la part de Marc Ingla ou de Luis Campos", assure Eddy Cordier, le directeur général de Zulte-Waregem. "Lille estimait avoir beaucoup investi dans ce joueur, mais c’est nous qui l’avons relancé alors qu’il ne jouait plus. Et ce n’est pas non plus de notre faute si les anciens dirigeants lillois n’ont pas bien négocié. Monaco a payé 60% du transfert à Lille, le contrat a été respecté à 100 %.

Soualiho Meïté n'est pas resté longtemps à Monaco qui l'a revendu l'été dernier au Torino pour 10 millions d'euros, selon les chiffres diffusés dans la presse transalpine. Aujourd'hui, sa cote flambe en Italie. Le président de son nouveau club réclamerait plus du double en cas de nouveau transfert.
 

Thiago Maia, un record qui questionne

Le 24 juillet 2017, Gerard Lopez offre au LOSC le plus gros transfert de son histoire : le milieu de terrain Thiago Maia est acheté 14 millions d'euros au club brésilien de Santos, qui a révélé par le passé des joueurs du calibre de Pelé ou Neymar. Lui aussi figurait déjà sur les tablettes de Luis Campos et Admar Lopes à Monaco. 

Champion olympique avec le Brésil en 2016, Maia s'engage pour 5 ans dans le Nord, moyennant une rémunération fixe mensuelle de 160 000 euros brut (hors primes).
 

Un document issu des Football Leaks nous apprend que le transfert de Thiago Maia est réglé en une seule traite, par un virement de 14 millions d’euros effectué le 4 août 2017, par le LOSC, sur le compte bancaire du Santos FC. C'est surprenant, car pour préserver leur trésorerie, les clubs de football ont plutôt tendance à privilégier des paiements échelonnés.

C'est ce qu'a fait par exemple le LOSC, cet été-là, pour le transfert d'un autre Brésilien, Luiz Araujo, acheté 10 millions d'euros au Sao Paulo FC. La transaction conclue par les deux clubs prévoyait deux versements : 7,5 millions le 19 juin 2017 et 2,5 millions le 1er juillet 2018. Autre illustration avec le défenseur portugais Edgar Ié, payé par le LOSC en deux traites à Belenenses : 3,5 millions d'euros le 6 juillet 2017 puis 2 millions le 15 juillet 2018.
 
     
Ce paiement en une seule traite du transfert de Thiago Maia est encore plus troublant quand on connait les difficultés que va rencontrer le LOSC dans les mois qui suivent cette transaction. L’incertitude entourant les finances du club poussera en effet la Direction Nationale du Contrôle de Gestion (DNCG), le "gendarme financier" du football français, à interdire le club nordiste de recruter en décembre 2017, le rétrogradant même, à titre conservatoire, en Ligue 2. 

L’explication d'un tel décaissement est probablement à chercher du côté du Brésil. Depuis la renégociation de son contrat avec le Santos FC, le 13 octobre 2015, Thiago Maia était bénéficiaire de 30% de ses droits économiques, en vue d’un futur transfert.
 

Le club pauliste avait dû faire cette concession alors que le bail du prometteur milieu de terrain expirait fin février 2016 et qu'il avait déjà entre les mains un pré-contrat en faveur des Espagnols de l'Atlético de Madrid. 

A la manoeuvre derrière cette renégociation, un vétéran - une légende même ! - du  foot business : l'agent uruguayen Juan Figer, l'homme "aux mille transferts". Lorsque Maia rempile avec Santos en octobre 2015, Figer signe avec le club un contrat d'intermédiation qui accorde à sa société, MJF Publicidade e Promoções S/C Ltda, une commission minimale de 5% sur une future vente de Maia. 

Un troisième larron s'invite également à la table : Giuliano Bertolucci, autre poids lourd du marché des transferts au Brésil. Le 11 mai 2016, sa société, Bertolucci Assessoria e Propaganda Esportiva LTDA (qui a le même avocat que Juan Figer), devient représentant exclusif de Thiago Maia, en vertu de deux contrats : un premier officiel qui les lie pendant deux ans ; un second plus confidentiel, qui prolonge leur association jusqu'en mai 2020.

Détail intéressant : la clause n°6 de ce deuxième accord indique qu’en dépit de ce qui est stipulé dans le contrat officiel, la société de Bertolucci ne recevra des commissions que des clubs avec lesquels Thiago Maia s’engagera, et non du joueur lui-même.
 

Et ce n'est pas tout. En mars 2017, en échange d'un prêt de 2 millions de dollars accordé au club de Santos, en difficulté financière, Giuliano Bertolucci obtient le mandat de vente exclusif de deux joueurs : Thiago Maia et son compatriote Vitor Bueno. Le deal, décrit en mai 2017 par Globo Esporte, est alors le suivant : si Bertolucci ramène une offre de 14 millions pour Maia, il empochera 8% du transfert, et si Santos refuse l'offre, le club devra quand même verser à l'agent une commission d'un montant équivalent.

Qu'il s'agisse de Santos, Juan Figer, Giuliano Bertolucci ou Thiago Maia lui-même, beaucoup de monde avait intérêt à ce que la vente du Brésilien se fasse d'une seule traite. Sollicités, ni les dirigeants du club, ni les deux agents, ni l'avocat (et oncle) du joueur n'ont donné suite à nos questions.

Ironiquement, hormis Santos, payé en temps et en heure par le LOSC, les autres protagonistes ont eu du mal à récupérer leur argent auprès du club brésilien. La faute à une procédure judiciaire lancée par un ancien ayant-droit qui réclame 28% des droits économiques de Thiago Maia en vertu du premier contrat signé par le joueur, à Santos, en avril 2013. Débouté plusieurs fois par les tribunaux brésiliens, le plaignant a vu son dernier appel rejeté le 1er février dernier.
 

Mais une autre procédure, confidentielle, a été ouverte, cette fois du côté de la CBF, la fédération brésilienne de football, comme l'a révélé en août dernier, le journaliste Leonardo Lourenço de Globo Esporte. Selon lui, la CBF soupçonne une "possible influence d’une tierce partie" sur le club de Santos, contraire aux articles 18-bis et 18-ter du règlement de la FIFA sur le statut et les transferts de joueurs. Des accusations rejetés par les différentes parties impliquées. L'enquête serait toujours en cours selon notre confrère.

En attendant, Thiago Maia, lui, tarde toujours à convaincre au LOSC où il passe plus de temps sur le banc de touche que sur le terrain...
 

Trois agents très présents

Sur le contrat de joueur professionnel de Thiago Maia, signé le 24 juillet 2017 avec le LOSC et homologué le 2 août par la Ligue de Football Professionnel (LFP), il est indiqué que le Brésilien a eu "recours aux services d’agents sportifs". Ce n'est pas le nom de son agent, Giuliano Bertolucci, qui figure, mais celui de Nelson Pinto Almeida, l'agent qui a fait venir Xeka au LOSC et qui amènera l'été suivant la jeune pépite Rafael Leao.

Almeida est aussi intervenu sur la signature, en janvier 2017, au LOSC, du Paraguayen Junior Alonso, dont l'agent officiel est pourtant son compatriote Diego Serrati. "Xeka et Rafael Leao sont représentés exclusivement par moi. Ce sont mes joueurs", nous a indiqué le Portugais qui a aussi contribué à l'arrivée de Leonardo Jardim à Monaco en 2014 (voir notre précédente enquête sur l'intermédiaire Paulo Tavares). "Les autres joueurs sont à d'autres agents, aussi des amis agents, qui utilisent ma licence pour travailler en France (ils ne sont pas enregistrés à la FFF)". Une pratique courante chez les intermédiaires, moyennant partage, entre eux, des commissions.
 

Pour le transfert de Junior Alonso au LOSC, le nom d'un deuxième agent est également mentionné, pour le compte du club cette fois. Il s'agit d'Hervé Cros. Ce Lyonnais est intervenu sur les signatures de quatre autres recrues étrangères du LOSC en 2017 : le défenseur brésilien Gabriel, le milieu de terrain Thiago Mendes, l'attaquant brésilien Luiz Araujo et l'avant-centre argentin Ezequiel Ponce, prêté par l'AS Roma. 

Interrogé sur son rôle dans toutes ces transactions, Hervé Cros nous répond, comme Nelson Pinto Almeida, "être intervenu en tant qu'agent exerçant avec une licence d'agent sportif délivrée par la FFF, car comme le précise le règlement: un agent étranger pour signer un contrat avec un club français, doit passer par une licence française ou doit avoir l'équivalence après acceptation du service des agents sportifs de la FFF". "Pour le prêt de Gabriel à l’ESTAC (le club de Troyes, en juillet 2017 NDR), je suis également intervenu mais contre aucune rémunération", assure celui qui gère aussi les intérêts de deux jeunes espoirs de la réserve lilloise, Charles-Andreas Brym et El Hadji Arfang Gueye.  

Pour Junior Alonso, Gabriel, Luiz Araujo, Thiago Mendes et Ezequiel Ponce, l'agent FFF nous a indiqué avoir agi pour le compte d'une société baptisée Pluton, domiciliée dans le Var, dont il est actionnaire minoritaire (10%), depuis le 6 décembre 2016. L'actionnaire majoritaire est un autre intermédiaire, non référencé parmi les agents sportifs FFF, du nom de Jacques Crouzel. "Pour ce qui est des commissions perçues (à savoir entre 1% et 10% du montant de la commission perçue par l'agent étranger), ces dernières rentrent dans les comptes de la société afin de couvrir les différents frais de fonctionnement, et sont donc reparties en fin d'exercice comptable lors du bilan si résultat positif il y a", nous a précisé Hervé Cros.   
 

Décrit comme un proche du sulfureux Jean-Luc Barresi, Jacques Crouzel avait été placé en garde à vue, en janvier 2015, dans le cadre d'une enquête sur les transferts présumés frauduleux de l'Olympique de Marseille. "Il n’a pas eu la moindre suite judiciaire, et pour cause il n’y avait pas de délit", nous a-t-il répondu. "Je n’ai pas été mis en examen. Je crois savoir que ceux qui l’ont été ne le sont plus (la mise en examen de Jean-Luc Barresi dans ce dossier a été annulée début février). Ils sont maintenant témoins assistés. Je connais bien Jean-Luc Barresi. Il aime et connaît bien le football. Les présidents avec lesquels il a travaillé ont été heureux des rapports qu’ils ont eus avec lui."

En janvier 2017, le journal L'Equipe citait Jacques Crouzel parmi les agents désormais "blacklistés" à l'Olympique de Marseille. "J’ignore si je suis blacklisté à l’Olympique de Marseille, tout comme vous, je l’ai lu dans la presse, ça ne m’a pas dérangé outre mesure", estime l'intéressé. "Je sais que des agents cités dans le même article y sont les bienvenus aujourd’hui. Je n’ai aucun doute sur le fait que si Hervé Cros et moi-même avons un joueur qui intéresse l’OM, ils nous recevront."

Les deux associés entretiennent en tout cas de très bons rapports avec Nelson Pinto Almeida, l'autre agent très présent sur les transferts internationaux du LOSC en 2017. "Nous avons collaboré avec la société Pluton car nous avons des partenaires en France", nous avait répondu le Portugais fin janvier, lorsque nous l'avions sollicité dans le cadre d'une autre enquête. "Nos relations avec Jacques Crouzel sont excellentes". 
 
Et avec la nouvelle direction du LOSC et son conseiller Luis Campos ? "Ma relation avec M.Luis Campos est la même que celle que j'ai avec M.Vadim (Vasilyev, ex-vice-président de l'AS Monaco NDR), M.Marc Ingla et tous les dirigeants du monde du football", répond Almeida.
 

"Mes relations avec Luis Campos sont les mêmes qu'un agent peut avoir avec un conseiller d'un président ou d'un directeur sportif lorsqu'un joueur intéresse un club", affirme de son côté Hervé Cros. "Nous entretenons des relations sportives et cordiales avec lui car du fait que nous avons des joueurs au LOSC, nous avons bien évidemment des contacts avec lui, comme nous en avons avec des autres clubs tels que : Monaco, Nantes, Lyon... car  nous avons également des joueurs dans ces clubs."

"Nous avons travaillé avec l’ancienne direction puisqu'Eric (Bauthéac, ex-joueur lillois entre 2015 et 2017 NDR) est venu au LOSC alors que Michel Seydoux était président", souligne Jacques Crouzel.

Sollicités dans le cadre de cette enquête, Gerard Lopez, Marc Ingla et Luis Campos n'ont pas souhaité répondre à nos questions. "Nous ne souhaitons pas apporter spécifiquement de réponses à chacune de ces questions ; la grande majorité des éléments demandés constituant des informations contractuelles et confidentielles qui n’ont pas vocation à être rendues publiques ni par le LOSC, ni par les autres parties", nous a indiqué le club nordiste.


Rendez-vous mardi pour de nouvelles révélations sur un autre club de football des Hauts-de-France.
 
Après une première saison en 2016, quinze journaux européens regroupés au sein du réseau de médias European Investigative Collaborations (EIC), dont Mediapart en France, ont révélé en novembre 2018 la deuxième saison des Football Leaks, la plus grande fuite de l’histoire du journalisme. Plus de 70 millions de documents obtenus par Der Spiegel, soit 3,4 téraoctets de données, ont été analysés pendant huit mois par près de 80 journalistes, infographistes et informaticiens. Corruption, fraude, dopage, transferts, agents, évasion fiscale, exploitation des mineurs, achats de matchs, influence politique : les Football Leaks documentent de manière inédite la face noire du football. 
  
Comme pour la première saison des Football Leaks, Mediapart et l’EIC ont choisi de partager les documents avec France 3 Hauts-de-France et Mediacités. Nous avons aussi recueilli des documents et des témoignages inédits qui ne figurent pas dans les Football Leaks.
 
Le lanceur d’alerte Rui Pinto, principale source des Football Leaks, a été arrêté mi-janvier en Hongrie et se bat pour éviter une extradition vers le Portugal, son pays, qui le soupçonne de vol de données et de « tentative d’extorsion » (lire son interview ici). Deux mois avant son arrestation, Rui Pinto avait commencé à collaborer avec le parquet national financier (PNF), à qui il a remis 12 millions de fichiers informatiques issus des Football Leaks. Le PNF a lancé le 19 février une procédure de coopération judiciaire européenne pour partager ces documents, lors d’une réunion d’Eurojust qui a rassemblé neuf pays.
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