Forte hausse des décès au domicile dans le Nord depuis le 1er mars : effet Covid-19 ou effet collatéral ?

Selon les dernières statistiques publiées par l'Insee, le nombre de personnes décédées à leur domicile dans le Nord, depuis le 1er mars, a fortement augmenté par rapport aux deux précédentes années. Est-ce seulement lié à l'épidémie de coronavirus Covid-19 ou y a-t-il d'autres explications ?

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Selon l'Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (Insee), 973 personnes dans le Nord sont décédées à leur domicile cette année, entre le 1er mars et le 13 avril, toutes causes confondues.

C'est 224 morts de plus que l'an dernier sur la même période (+29,9%), mais aussi 55 de plus (+6%) qu'en 2018, année où la grippe saisonnière avait fait beaucoup de victimes dans les Hauts-de-France, notamment chez les plus âgés.
 


Ce surcroît de mortalité est davantage marqué au domicile que sur tous les autres lieux de décès confondus, à l'exception des établissements pour personnes âgées où la mortalité a grimpé de 35,5% par rapport à l'an dernier mais baissé de 11,6% par rapport à 2018. 
 

Ce surcroît de motalité est aussi plus marqué dans le Nord que dans les autres départements de la région, comme le montre le graphique ci-dessous.
 

En pleine pandémie de Covid-19, il serait tentant de conclure que cette augmentation des décès à domicile dans le Nord est directement liée à ce nouveau coronavirus. Sauf que dans l'Oise, foyer épidémique de la région, la surmortalité à domicile n'est que de 1,2% par rapport à l'an dernier et de 4,5% par rapport à 2018. 

Cette particularité nordiste interroge donc forcément les spécialistes. "Il est trop tôt pour avoir des conclusions mais on est dessus depuis samedi", répond le Dr Patrick Goldstein, chef du pôle de l'urgence et du Samu du Nord au CHU de Lille, qui alerté l'Institut Pasteur de Lille et Santé publique France sur le sujet. "Est-ce que c'est lié au Nord parce qu'il se passe quelque chose de particulier dans le Nord ou est-ce que les déclarations de décès sont plus rapides dans le Nord qu'ailleurs ? Il faut qu'on regarde de quoi ces gens sont morts".
 
"J'ai mobilisé mon équipe rapidement là-dessus", nous explique Philippe Amouyel, professeur de santé publique au CHU de Lille et chercheur à l'Institut Pasteur de Lille, même si les données manquent encore sur cette surmortalité constatée au domicile. "Ça ne préjuge pas des causes", estime pour le moment cet épidémiologiste qui esquisse trois hypothèses.

"La première chose qui vient à esprit, c'est l'épidémie (de Covid-19) mais pour laquelle on n’a pas encore d’évidence que les décès au domicile s'expliquent par cela", juge-t-il. La seconde hypothèse serait une simple "fluctuation statistique". "Là, on a des chiffres comparés à 2019 et 2018, ce serait bien de pouvoir étendre à 2017 et 2016". La troisième hypothèse enfin, est qu'il s'agisse de "décès en excès qui sont dus à d'autres maladies" qui n'ont pas pu être traitées à temps...
 

Il y a eu moins d’appels pour les pathologies habituelles comme les infarctus ou les accident vasculaires cérébraux. Et il n'y a de raison qu'il y en ait moins.



Plus que le Covid-19, c'est cette dernière piste que le professeur Amouyel - qui dirige notamment le registre des infarctus et des AVC sur la métropole lilloise - semble privilégier. "Il y d'autres causes constatées par le Samu", avance-t-il. "Il y a eu moins d’appels pour les pathologies habituelles comme les infarctus ou les accident vasculaires cérébraux. Et il n'y a de raison qu'il y en ait moins".

"Nos équipes sont intervenues sur plus de morts à domicile et plus souvent pour des arrêts cardiaques à domicile, des pathologies coronariennes aigües, des pathologies neurologiques...", confirme Patrick Goldstein, le patron du Samu du Nord. "Il y a une crainte d'aller à l'hôpital, une crainte d'attraper la maladie". Fin mars, les services hospitaliers d'urgence ne tournaient ainsi qu'à 50% de leur niveau d'activité normal...
 
"Il y a le confinement, une crainte légitime avec l’anxiété qui règne, les gens peuvent penser que les serveurs du 15 sont saturés", analyse Philippe Amouyel. "Les gens retardent les appels, les rendez-vous chez le médecin ou ne vont plus aux urgences". Or pour des infarctus ou des AVC, tout peut se jouer en quelques heures...  
 
L'épidémiologiste s'appuie aussi sur une étude réalisée entre 2000 et 2013 sur la mortalité coronarienne dans la métropole lilloise et les départements du Bas-Rhin et de Haute-Garonne : elle montre que les deux-tiers des décès surviennent en dehors de l'hôpital. Grâce aux progrès de la médecine, la mortalité coronarienne a davantage baissé sur ces treize années à l'hôpital (-4,5% par an chez les hommes ; -5% chez les femmes) qu'à l'extérieur de l'hôpital  (-2,2% par an chez les hommes ; -2,9% chez les femmes). Par conséquent, plus on tarde à se rendre à l'hôpital, plus le risque de mortalité s'accroît.
 
Même problème pour les maladies chroniques. "Ce week-end, j'ai reçu le faire-part de décès d’un patient isolé socialement, qui vivait seul avec sa fille unique", nous raconte Laurent Verniest, médecin généraliste au centre médical La Bergerie, à Steenvoorde, et président du syndicat MG France dans le Nord. "Il avait 55 ans et était suivi pour une pathologie chronique. Ça pose question. Il a été vu par ma collaboratrice, début mars (avant le confinement NDR), pour un diabète décompensé. Il n'y avait rien de dramatique à ce moment-là, mais il y avait quand même quelque chose. Et on ne l'a plus revu ensuite...".

Le Dr Verniest a d'ailleurs décidé cette semaine de mettre en place une vigilance auprès de ses patients. "On va notamment passer un coup de fil aux personnes de plus de 75 ans". 
 

Les gens vont beaucoup moins consulter leur médecin, certains de mes confrères généralistes font le quart de ce qu'ils font d'habitude.


"Les gens vont beaucoup moins consulter leur médecin, certains de mes confrères généralistes font le quart de ce qu'ils font d'habitude", observe Odile Kozlowski, médecin au CHU de Lille. "Alors qu'il y a de bons motifs".

Le Dr Kozlowski est administratrice du réseau Réseau TC AVC Hauts-de-France qui suit 700 patients dans le Nord et le Pas-de-Calais, déjà victimes de traumatismes crâniens ou d'accident vasculaire cérébral. "On a mis en place une veille téléphonique, on les encourage à consulter", explique-t-elle. "La population qu'on accompagne a moins de 70 ans. On a eu quelques cas de récidives AVC de gens qui n'ont pas consulté assez tôt. Ça n'a pas été fatal mais ça a provoqué des déficiences qui vont perdurer. S'ils avaient consulté dès les premières heures...".

Jusqu'à présent, elle ne compte qu'un seul patient suivi, décédé chez lui des suites du coronavirus Covid-19. "Mais attention, toutes les informations ne nous sont pas encore remontées", signale-t-elle, prudente. 
   
Même s'il ne s'agit pas de l'hypothèse privilégiée par les spécialistes, rien ne permet, à ce jour, d'exclure que l'épidémie ait pu contribuer directement elle aussi à cette hausse de la mortalité à domicile observée dans le Nord. Reste à savoir dans quelle proportion.

 

Une surmortalité au domicile bien plus élevée ailleurs en France


D'après une récente enquête auprès des médecins généralistes, le syndicat MG France a évalué à 9 000 le nombre de personnes décédées des suites du Covid-19 à leur domicile, à l'échelle nationale. Un chiffre qui viendrait s'ajouter au bilan officiel de 23 000 victimes établi par Santé publique France qui ne tient compte que des décès survenus à l'hôpital et dans les établissements médico-sociaux. 

Les statistiques nationales de l'Insee montrent que dans les régions les plus touchées par l'épidémie - Ile-de-France et Grand-Est - la mortalité au domicile a effectivement explosé entre le 1er mars et le 13 avril dans des proportions autrement plus élevées que dans le département du Nord et dans les Hauts-de-France.
 

En Ile-de-France, elle a pratiquement doublé par rapport à l'an dernier, sur la même période  : 98,9% de plus qu'en 2019 ; 82,7% de plus qu'en 2018. Dans le Grand-Est, la mortalité à domicile a bondi, quant à elle, de 47,2% par rapport à l'année dernière et de 22,3% par rapport à 2018.

Dans une récente étude, l'Institut Pasteur estime que, d'ici le 11 mai, 12,3% de la population francilienne aura été contaminée par le coronavirus et 11,8% de celle du Grand-Est. Dans les Hauts-de-France, c'est seulement 6,1%. A l'évidence, l'impact de l'épidémie n'a pas été le même.
 
En France, 28 autres départements présentent, depuis le 1er mars, une surmortalité au domicile équivalente, supérieure ou même très supérieure à celle observée dans le Nord. 
 

Parmi ces départements, 15 sont en Ile-de-France ou dans le Grand-Est. Parmi les 13 autres, on trouve plusieurs départements ruraux appartenant à des régions moins exposées a priori à  l'épidémie. En Ardèche, par exemple, l'excès de mortalité au domicile est de 62,5% par rapport à l'an dernier et de 41% par rapport à 2018.

Dans la Creuse, où on ne recense, à ce jour, que 5 décès liés au Covid-19 dans les hôpitaux, la mortalité au domicile a bondi de 40,8% par rapport à l'an dernier et de 4,5% par rapport à 2018.
 

Là aussi, le confinement, la crainte du Covid-19 ou un accès plus difficile aux soins ont peut-être davantage contribué à ce surcroît de décès à domicile, que l'épidémie en elle-même...  
 
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