La cellule investigation de Radio France révélait vendredi 27 septembre 2024 les détails d'une affaire qui concerne une soixantaine d'enfants du Nord placés dans des "familles d'accueil illégales", entre 2010 et 2017. Ils y ont subi des maltraitances qui seront jugées à partir du 14 octobre. Nous avons rencontré un représentant SUD des travailleurs sociaux du Nord.
Olivier Treneul, représentant SUD, syndicat majoritaire chez les travailleurs sociaux de la protection de l'enfance du Nord, réagit à l'affaire sidérante d'une soixantaine d'enfants placés dans l'Indre, la Creuse et la Haute-Vienne. Des jeunes envoyés entre 2010 et 2017 dans des familles d'accueil sans agrément et qui y ont été maltraités et violentés. Le syndicaliste répond à nos questions en trois points.
1. Le département du Nord pouvait-il ignorer ces faits ?
Cette affaire de l'Indre remue beaucoup sur le terrain, notamment chez les collègues encore en poste. Ils disent : "On n’a pas vu, on aurait dû voir ou on a mis des enfants en danger sans le savoir". Ça suscite des réactions et de l'émotion chez nos collègues et ça ne semble pas en susciter plus que ça chez le président du département. (NDLR : Jean-René Lecerf, président du département du Nord entre 2015 et 2021, était l'invité du journal de France 3 Nord-Pas-de-Calais le 28 septembre 2024. Il s'est estimé "ni responsable, ni coupable" et a souligné qu'il avait "fait cesser immédiatement l'envoi de ces enfants", dès qu'il a eu connaissance des faits en 2017).
Ce qui est plus difficile à entendre, c'est qu'il s’en lave les mains, il n’est pas du tout concerné par ce qu’il s’est passé dans l'Indre, alors que lui et ses prédécesseurs étaient aux affaires. Ils sont clairement engagés dans la manière dont sont menées les mesures de protection de l’enfance. C’est assez insupportable à entendre, ce décalage, avec ce que peuvent ressentir les collègues sur le terrain.
Il est totalement surprenant que les politiques qui se sont succédé dans l'exécutif départemental ne soient même pas entendus, en tant que témoins. Ils pourraient s'expliquer sur la manière dont les services fonctionnent, pour tenter de donner des leviers de compréhension sur ce qui a pu se passer, à ce moment-là, au sein de l'ASE du Nord, qui est clairement en faute.
On a du mal à comprendre et à imaginer qu’au sein de la haute direction, de la haute administration, rien ne soit transmis au président et au vice-président concernés. On sait qu'il y a des liens étroits, il y a un cabinet, on a du mal à imaginer qu’il puisse y avoir une véritable chappe de plomb. Ça paraît totalement surréaliste.
2. Que racontent les éducateurs concernés par l'affaire ?
On a recueilli le témoignage de trois collègues. Deux qui sont encore au département et une qui l'a quitté. Ils vont très mal. L’affaire de l’Indre, ça fait ressurgir des émotions. Ce n'est pas de la culpabilité mais un malaise profond, ils disent : "On a fait n’importe quoi, collectivement on a fait n’importe quoi. On aurait dû les protéger et on s’est retrouvés seuls face à ça".
L’ampleur de l’affaire, ils la découvrent aujourd’hui. Dans le témoignage de l’un d’entre eux dans l'enquête de Radio France, il dit : "On s'est pris un parpaing". On savait qu'il y avait des dysfonctionnements, on a fait remonter, on a arrêté de conduire les enfants... mais l’ampleur de la maltraitance et de la toile d’araignée qui était derrière cet accueil, tout ça ils le découvrent. Ils se disent : "Si on avait su, on aurait tout arrêté".
Il y a des notes, oui, "pondues", écrites entre 2016 et 2017 qui ont fait état de situations et d'alertes graves. A priori, c'est ça qui, in fine, au bout d'un certain temps, a conduit à ne plus y mettre d’enfants. Mais il y a eu une paire de notes avant que là-haut, tout là-haut, la décision soit prise.
3. Est-ce que cette affaire pourrait encore avoir lieu ?
On découvre l'affaire, mais quand on regarde dans le rétroviseur, on se demande comment on a pu en arriver là, comment un département comme le Nord a pu laisser faire ce type d’accueil si longtemps. En même temps, quand on regarde la situation actuelle, on se dit qu'en fait ce n’est pas surprenant. Encore maintenant, on met des enfants à l’hôtel. Aujourd'hui, il y a des mineurs dans un Formule 1 à Roubaix et un autre à Saint-Pol-sur-Mer. On a aussi des familles d’accueil qui sont en sureffectif : elles peuvent accueillir trois enfants, elles en accueillent cinq !
On est dans une situation telle, dans la protection de l’enfance, en termes de places, qu’on fait n’importe quoi ! On a le discours récurrent de nos collègues, sur le terrain, qui disent : "J’ai plus l’impression d’abîmer les enfants que de les protéger ! Alors que j'ai voulu faire ce boulot pour les protéger...".
Cette affaire met en lumière un dysfonctionnement systémique qui perdure et qui va continuer à perdurer, si rien n'est fait.