Un peu moins d’un an après sa mise en place, 2200 personnes ont bénéficié de l’allocation d’urgence aux victimes de violences conjugales dans le Nord. Elena*, 27 ans, est l'une de ces femmes.
TW : cet article évoque des faits de violences conjugales
Paul Christophe était en visite à la CAF (caisses d'allocations familiales) du Nord ce vendredi 25 octobre, pour faire le point sur l’allocation universelle d’urgence à destination des femmes victimes de violences intrafamiliales. Le ministre des Solidarités, de l’Autonomie et de l'Égalité entre les femmes et les hommes s’est félicité de son efficacité : “On est très opérationnels et capables de livrer une prestation entre trois et cinq jours, ce qui est remarquable”, d’autant plus pour “un dispositif très jeune, de moins d’un an.”
À lire aussi >>> "Les gens sont prêts à parler" : Défragmenté.e.s, l'association qui aide les victimes de violences à révéler ce qu'elles ont subi
Elena*, 27 ans, fait partie de ces centaines de femmes à bénéficier de l’aide pour les victimes de violences conjugales (AVVC) depuis sa mise en place en novembre 2023. Cette allocation ponctuelle doit permettre à une personne victime de s’éloigner physiquement de l’auteur des violences et de faire face aux dépenses immédiates. Un coup de pouce temporaire, en attendant de trouver des solutions durables.
Une allocation pour les situations d’urgence
Il y a quelques mois à peine, la jeune femme subissait des violences au quotidien de la part de son mari. “Il criait, il frappait les portes, il me frappait. Un jour, il m’a frappé alors que j’avais mon bébé dans les bras”, raconte-t-elle. “Il prenait mon téléphone, il le cachait pour que je ne parle à personne. Il m’enfermait, je ne pouvais pas aller chez le médecin.”
Il criait, il frappait les portes, il me frappait. Un jour, il m’a frappé alors que j’avais mon bébé dans les bras.
Elenavictime de violences conjugales
Elena met quelque temps à quitter son domicile conjugal. “Je cherche à partir mais dans mon cœur, je n’y arrive pas”, raconte-t-elle. Malgré ce climat de violences, il lui est difficile de prendre la porte, même une fois qu’elle a pris la décision de quitter son conjoint. Mariée depuis trois ans, mère d’un bébé de moins d’un an, isolée, sans emploi, sans revenus, sans carte bancaire, peu à l’aise avec le français : sa situation paraît inextricable. “Mon fils est très petit. Je ne connais rien, je n’ai rien. Je n’ai parlé de la situation à personne.”
À lire aussi >>> "Les gardiennes de la rue" : avec ses collages, cette artiste dénonce les violences faites aux femmes à Lille et ailleurs
Après une première tentative de fuite avortée, elle finit par partir définitivement. Son premier soutien : le tissu associatif. Elle est prise en charge par l’association lilloise SOLFA (Solidarités Femmes Accueil) ; mise en sécurité pendant trois semaines dans un hôtel grâce au financement de la Fédération Nationale Sécurité Femme (FNSF) puis dans une chambre d’urgence SOLFA.
En théorie, une aide d’urgence délivrée en deux à cinq jours
Une assistante sociale l’aide à faire les démarches pour obtenir des aides financières. Elle obtient dans un premier temps l’Amase (Allocation Mensuelle D'aide Sociale à L'enfance), distribuée par le Département, d’un montant de 200 euros.
Pour obtenir l’AVVC, c’est un peu plus compliqué. Cette aide d’urgence est théoriquement versée “dans les deux à cinq jours après la demande”, selon le directeur adjoint de la Caf du Nord, Sébastien Seuron.
Une victime de violences conjugales peut faire sa demande sur internet ou venir à la CAF du Nord directement.
Sébastien Seurondirecteur adjoint de la Caf du Nord
Dans le cas d’Elena, les démarches prennent davantage de temps. Toujours d’après Sébastien Seuron, “une victime de violences conjugales peut faire sa demande sur Internet ou venir à la CAF du Nord directement. Dans ce cas, elle sera prise en charge immédiatement, en priorité, par un conseiller.”
C’est ce que fait Elena. Elle se rend à la CAF et explique qu’elle n’a pas besoin de rendez-vous : “Car c’est une urgence !” Elle est renvoyée, en pleurs face à la violence administrative, sans avoir pu voir quiconque. “La deuxième fois, j’ai été très bien reçue. La dame m’a donné son numéro pour la rappeler si j’avais un problème.” Mais le traitement de sa demande d’allocation prend du temps.
Quelques complications administratives
Pour toucher cette aide d’urgence, “il faut fournir un document qui atteste des violences (un dépôt de plainte, une ordonnance de protection, un signalement au procureur de la République…) et être en situation régulière sur le territoire français”, selon le représentant de la Caf. C’est bien le cas de la jeune femme – arrivée sur le territoire français au motif du regroupement familial.
Toutefois, il lui manque une chose primordiale : un compte en banque. Or pour en ouvrir un, il faut le créditer d'au moins 25 euros… Et elle n’a pas non plus d’argent. Elena se débrouille donc pour réunir la somme. Après ces quelques difficultés, et alors qu’elle a quitté son domicile conjugal en septembre, sa demande d’AVVC est traitée le 18 octobre. Paiement prévu : le 5 novembre. Un long délai par rapport à l’urgence de la situation.
À lire aussi >>> TÉMOIGNAGE. "Parfois, mon esprit se détachait de mon corps" : elle raconte son calvaire avec un pervers narcissique pour aider les autres victimes
La jeune femme devrait recevoir environ 900 euros. De quoi l'aider à gérer le quotidien, jusqu’à obtenir les aides sociales auxquelles elle peut prétendre en tant que mère isolée et se remettre à flot plus sereinement. “Pour l’instant, je vis au jour le jour. Je ne pense pas à demain, je suis bien avec mon petit. Je me sens plus en sécurité d’être partie.”
2 200 victimes bénéficiant de l’AVVC en moins d’un an
Comme elle, dans le Nord, 2 200 victimes de violences conjugales ont bénéficié du dispositif d’aide d’urgence depuis sa mise en place. Elles ont reçu 820 euros en moyenne – l’aide étant calculée en fonction des revenus et du nombre d’enfants à charge. Montant minimum de l’AVVC : 240 euros.
“Désormais, on a environ 150 demandes par mois”, précise Sébastien Seuron. “Ça montre qu’il y a un vrai besoin, avec des victimes qui ne savent pas où aller et n'ont pas la moindre somme d’argent pour faire face.”
Désormais, on a environ 150 demandes par mois.
Sébastien Seurondirecteur adjoint de la Caf du Nord
À l’issue de ce premier bilan pour l’AVVC, le ministre Paul Christophe a identifié plusieurs axes d’amélioration. “La formation des personnels qui sont amenés à travailler sur ces dispositifs, la rédaction des procès-verbaux qui servent de support pour déterminer l’accès aux droits et l’harmonisation des pratiques sur les territoires – un axe que nous allons travailler avec mes collègues Ministres de l’Intérieur et de la Justice”, a-t-il affirmé.
En 2023, 12 000 personnes ont porté plainte pour des faits de violences conjugales et intrafamiliales dans le Nord, en hausse de 10% par rapport à 2022. Pour 2024, près de 7 500 plaintes ont été enregistrées au 30 septembre, selon la préfecture du Nord, qui table sur une augmentation similaire par rapport à 2023, entre 8 et 10%. Dans le Pas-de-Calais, ce sont 9 000 plaintes qui ont été déposées pour des faits similaires en 2023, soit 6% de plus par rapport à 2022.