"Les gardiennes de la rue" : avec ses collages, cette artiste dénonce les violences faites aux femmes à Lille et ailleurs

Un portrait de Gisèle Pelicot a fait son apparition dans plusieurs rues de Lille ces dernières semaines. La Dame qui colle, artiste féministe engagée, est à l'origine de ce collage. Une oeuvre qui s'inscrit dans la continuité de son projet pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles.

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Elle se fait appeler “La Dame qui colle”. Cette habitante de Lille – originaire de la banlieue parisienne – s'applique à recouvrir les murs de la ville de portraits de femmes. Le dernier en date : un collage de Gisèle Pelicot, sac à l’épaule, lunettes de soleil sur le nez, marchant dans une rue du quartier de Wazemmes. Un hommage au combat de cette femme qui se bat actuellement pour obtenir justice suite aux "viols de Mazan" dont elle a été victime, droguée par son mari.

Les collages de la Dame qui colle, à l’image de celui-ci, dénoncent les violences sexistes et sexuelles et donnent un bout d’espace public aux femmes, trop souvent invisibilisées. L'artiste explique son projet, débuté en 2021.

Pourquoi avoir fait le choix de coller des portraits de femmes dans les rues ?

"J’ai commencé à coller il y a trois ans. Ça a commencé suite à la lecture d’un livre qui m’a beaucoup choquée : “Voir le voir” de John Berger. Cet ouvrage revient sur la façon dont le corps de la femme a été mis à nu dans l’Art parce que les hommes l’ont choisi. Ce sont eux qui achètent et peignent les tableaux qui sexualisent les femmes – celles-ci n’ayant donc pas leur mot à dire sur leurs représentations. Alors j’ai eu envie d’aller dans l’espace public et de coller des femmes pour raconter leurs histoires.

Ça nous fait une vengeance à nous : je les dessine, je les colle dans l’espace public. Je les ai appelées les gardiennes de rue.

La Dame qui colle

artiste colleuse

Dans la foulée, j’ai rencontré une fille lors d'une soirée, qui m’a confié un récit de violences qu’elle avait vécues. Donc j’ai choisi de me concentrer sur des histoires d’aujourd’hui plutôt que sur le passé. Car on a toutes des histoires sordides : dans l’espace public, dans la famille, l’intimité. Moi aussi, j’ai été agressée plus jeune. Alors ça nous fait une vengeance à nous : je les dessine, je les colle dans l’espace public. Je les ai appelées les gardiennes de rue."

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Qu’est-ce que ces femmes ont en commun ?

"J’ai réalisé vingt et un portraits jusqu’à présent. Pour 70% d’entre elles, ce sont des Lilloises. Mais ce sont des profils très variés : la plus âgée a 55 ans et la plus jeune avait 19 ans au moment du collage. Leur point commun, c’est qu’elles ont toutes vécu une forme de violence. Quelle qu’elle soit : une agression, un viol, des violences conjugales ou encore éducatives, de la prostitution. Ce sont toutes des femmes réelles, que j’ai rencontrées et qui m’ont raconté leur histoire - hormis Gisèle Pelicot.

Leur point commun, c’est qu’elles ont toutes vécu une forme de violences. Quelle qu’elle soit : une agression, un viol, des violences conjugales ou encore éducatives, de la prostitution.

La Dame qui colle

artiste colleuse

Dans leur représentation aussi, elles ont quelque chose en commun : elles sont toutes immobiles. Les études sociologiques le montrent : en tant que femme, quand tu es immobile dans l’espace public, c’est que tu attends le bus. Ce sont les hommes qui occupent l'espace, qui se posent. Peu de femmes le font. Si tu t’arrêtes : des hommes vont venir te parler. Je me suis dit que j’allais coller des femmes immobiles, qui guettent, des gardiennes de l’espace public. Tu croises plusieurs fois ces collages-là et tu te dis qu’elles sont là et qu’elles surveillent. Dans leur regard, on voit d’ailleurs qu’elles sont plutôt dans une attitude défensive.

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Cette posture répond à la représentation culturelle qu’on a des femmes : non, elles ne sont pas souriantes dans l'espace public. Et comme ce sont elles qui choisissent les vêtements dans lesquels elles posent pour le collage, on arrive à un modèle contemporain de la féminité. Très peu de femmes ont voulu porter une robe."

Comment se passe le processus de création des collages ?

"Je rencontre ces femmes comme on rencontre des amies : en soirée, on papote. C’est déjà arrivé aussi qu’on vienne me voir dans un bar pour me demander de faire un portrait. L’idée, c’est qu’on discute de leur histoire. Il faut que je connaisse bien la personne, qu’elle arrive à être assez à l’aise et que le portrait lui plaise. Donc elle choisit ses vêtements, pour qu'elle soit le plus à l’aise possible et elle choisit la pose elle-même.

Ensuite, je prends une photo. Puis je la dessine en taille réelle, je scanne avec un énorme scanner et, enfin, je colle. Je les anonymise toutes, je n’ai pas besoin d'indiquer leur prénom. Ceux qui les connaissent les reconnaîtront et ceux qui ne les connaissent pas verront juste une femme. Personne ne sait ce qui leur est arrivé."

En quoi le portrait de Gisèle Pelicot diffère-t-il des autres ?

"C’est la seule que je n’ai pas rencontrée. J’ai mis du temps à prendre la décision de faire son portrait. Gisèle Pelicot porte le même type d’histoire que celles que j’ai racontées jusqu’à présent. On est dans le portrait d’une femme ordinaire qui lutte pour ses droits et dont on n’aurait pas entendu parler si elle n’avait pas ouvert son procès.

Gisèle Pelicot porte le même type d’histoire que celles que j’ai racontées jusqu’à présent (...) une femme ordinaire qui lutte pour ses droits.

La Dame qui colle

artiste colleuse

C’est aussi la seule qui marche, comme une passante anonyme. La voir en déplacement, c’est comme si elle vivait chez nous, à Lille. Comme je ne l’ai pas rencontrée, j’ai regardé beaucoup de photos d’elle, j’ai cherché à lui faire adopter une pose la plus sincère possible, qui lui ressemble. Je me suis rendu compte qu’elle tenait beaucoup son sac à main par exemple, donc je l'ai intégré au dessin."

Pourquoi avoir choisi le collage comme moyen d’expression ?

"Cette pratique du collage est très propre aux femmes. Tu travailles chez toi, tu dessines tranquille. Et quand tu colles, ça te prend deux minutes, c’est plus sécurisant. Beaucoup de femmes collent, on l’a vu avec les collages féministes qui ont débuté avant le confinement. On a juste envie de s’exprimer. Avec cette pratique, on prend moins de risques.

Beaucoup de portraits sont décollés : on a surtout des décapitations, on leur coupe la tête ou on leur arrache les yeux. Comme quoi, il y a quelque chose qui gêne.

La Dame qui colle

artiste colleuse

Par ailleurs, dans notre éducation de femmes, on n’est pas faites pour dégrader. Or, le collage, même s'il n'est pas autorisé, est toléré, contrairement au graffiti. Car ça se décolle très bien, la colle n'abîme pas les murs."

Quelles réactions suscitent vos collages ?

"Les réactions des gens sont variées mais plutôt cool. J’ai autant d'hommes que de femmes, qui posent des questions, me demandent ce que je fais, pourquoi… Parfois, on me dit : “Va en coller dans cette rue-là, ça va leur faire du bien”. Mais beaucoup de portraits sont décollés : on a surtout des décapitations, on leur coupe la tête ou on leur arrache les yeux. Comme quoi, il y a quelque chose qui gêne.

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Je ne me doutais pas que ce projet allait devenir si important. Au départ, c’était ma colère à moi. Mais ça devient un projet global, il y a quelque chose qui nous unit… Quelque chose de militant et très d’actualité. Quelque chose dont on avait toutes besoin : dire non, se montrer comme on est, montrer nos forces."

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