En cinq jours à peine, L’Affranchie a sorti la tête de l’eau grâce aux achats de ses lecteur·ices : le trou de 15 000 euros dans ses caisses a été rebouché.
Soazic Courbet n’en revient pas. “On a remboursé le trou de 15 000 euros”, s’émerveille-t-elle. La fondatrice de L’Affranchie, une librairie indépendante féministe très populaire à Lille, a vécu un véritable ascenseur émotionnel ces derniers jours.
Ce vendredi 20 septembre, elle publiait sur les réseaux sociaux un appel au secours adressé à sa communauté – près de 15 000 abonnés sur Instagram. La libraire était aux abois : “On a besoin de 15 000 euros”, écrivait-elle.
15 000 euros d'achats en cinq jours
Cinq jours plus tard, les client·es ont été aux rendez-vous pour venir en aide à la boutique. Finalement, les fournisseurs, le loyer et les salaires vont pouvoir être payés. Alors que Soazic craignait de devoir fermer boutique, il n’est plus question de mettre la clé sous la porte.
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“On a eu beaucoup de soutien ! C’est galvanisant ! La librairie commence à être assez vide”, sourit Soazic derrière ses lunettes. Certains titres manquent en effet sur les étagères – mais que les amateur·ices de livres féministes se rassurent : la sélection de L’Affranchie reste bien fournie.
On a eu beaucoup de soutien ! C’est galvanisant ! La librairie commence à être assez vide.
Soazic Courbetgérante de L'Affranchie
La gérante a tout juste le temps de répondre à quelques questions, tant elle a de travail. Ce matin du jeudi 26 septembre, les clientes défilent dans le magasin. En une petite heure, une bonne dizaine de femmes franchissent ses portes et en ressortent les bras chargés de livres.
Une librairie qui se distingue par son engagement
Elise, 37 ans, repart avec cinq livres – et délestée d’environ 70 euros : “Je vis à Bailleul désormais, je venais ici quand j’habitais à Lille. Comme je passais, je me suis dit que c’était l’occasion de passer, pour soutenir la librairie”.
Elle fait part à Soazic de son soulagement : “C’est bien que ça bouillonne autour de vous !” Pour cette femme, la survie de L’Affranchie est une très bonne nouvelle. “Des librairies féministes, il y en a peu… D’ailleurs, c’est la seule que je connaisse”, raconte-t-elle. “C’est important de donner de la visibilité à la cause des femmes.” Dans cette librairie, en effet, la place est faite aux femmes et aux personnes queers : “On a seulement 1% de publications d’hommes hétéros-cisgenres”, précise Soazic.
Des librairies féministes, il y en a peu… D’ailleurs, c’est la seule que je connaisse.
Elise, 37 anscliente de L'Affranchie
Aude aussi est venue pour donner un petit coup de pouce. “Je viens souvent et j’adore tous les bouquins qui sont là”, raconte la psychologue de 32 ans. Elle cherche, pour l’une de ses meilleures amies qui vient d’accoucher, un livre sur la transmission mère-fille. Pour elle, l’engagement féministe de la librairie et ses choix éditoriaux sont “très honorables”.
Plus de 300 commandes en ligne
En plus des achats en boutique, Soazic prépare les 300 commandes reçues sur Internet. “C’est fou !” Sur Instagram, son message de détresse a été partagé près de 1300 fois. “Ça dépasse notre communauté visible”, affirme la patronne. “Des personnes arrivent à la librairie et ont eu l’info par des biais complètement improbables.”
Voir cette publication sur Instagram
Pour elle, toute cette mobilisation est due au profil de la librairie : “indépendante, en galère et engagée”. La solution directe proposée dans le post Instagram de Soazic – “si chacun·e d’entre vous achète un livre, on est sauvées” – a aussi permis aux protecteurs de L’Affranchie d’agir de façon concrète et rapide.
Acheter un livre, ça peut paraître une goutte d’eau dans l’océan du système mais en fait ces achats sont de vrais gros soutiens.
Soazic Courbetgérante de L'Affranchie
“On a un public qui vient dépenser de l’argent pour ces causes-là [féministes, LGBTQ+, NDLR]. Acheter un livre, ça peut paraître une goutte d’eau dans l’océan du système mais en fait ces achats sont de vrais gros soutiens”, explique-t-elle. “Le meilleur activisme c’est de savoir que notre argent a le pouvoir de soutenir nos causes et nos engagements !”
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Après douze ans d’existence et avec les nombreuses rencontres organisées au sein de la librairie, son podcast qui existe depuis quatre ans, sa présence sur les réseaux sociaux et surtout son engagement, L'Affranchie est populaire dans les milieux féministes. “On est connues donc on pourrait s’imaginer qu’on est hyper pérennes, mais on reste une petite structure”, précise la fondatrice.
Objectif : plus jamais de découvert
En 2023, le chiffre d’affaires de L’Affranchie était de 300 000 euros. “C’est peu pour une librairie indépendante”, souligne Soazic. D’après le Syndicat de la librairie française, la moyenne nationale se situe aux alentours de 450 000 euros.
Toutefois, si le bateau est remis à flot, reste à maintenir le cap. “On est sorties de l’urgence. Maintenant, on veut passer de la survie et on veut aller dans la vie”, assène Soazic. Elle le reconnaît, son commerce a des problèmes de rentabilité. “Sur un livre vendu 10 euros, on gagne en réalité 3 euros. Alors pour survivre, il faut en vendre beaucoup.” Elle reçoit par ailleurs peu d’aides institutionnelles, si ce n’est celle de la Région Hauts-de-France.
Sur un livre vendu 10 euros, on gagne en réalité 3 euros. Alors pour survivre, il faut en vendre beaucoup.
Soazic Courbetgérante de L'Affranchie
Grâce aux ventes de ces derniers jours, L’Affranchie “commence tout juste à avoir de la trésorerie de côté.” Objectif : ne plus jamais tomber dans le découvert. Pour aider le commerce, des experts en gestion financière se sont rapprochés de Soazic. “Ça devrait nous aider à pérenniser la structure”, explique-t-elle. La libraire est optimiste : “Moi, j’y crois à fond”.