Quand le street art devient street lutte : ce duo d'artistes s'engage pour les victimes de violences intrafamiliales

Émilie et Éric vous le diront, le coup de foudre, ça existe ! C'est ce qui leur est arrivé lorsque leurs regards se sont croisés la première fois. Une rencontre qui a bouleversé leurs vies. Une rencontre avec un moteur commun : donner la parole aux victimes de violences conjugales et familiales. Rencontre avec B.A.B.B, un duo d’artistes pas comme les autres. (Première publication le 9/03/2024)

L'amour donne des ailes, mais peut aussi parfois les briser. Émilie et Éric en couple dans la vie depuis huit ans, ont réuni leurs talents artistiques avec beaucoup de complicité, pour donner la parole aux victimes. Peut-être avez-vous déjà croisé sur un mur l'une de leurs œuvres sans le savoir. D'étranges petits personnages, des montages photos, avec juste quelques mots forts et qui interpellent. Des œuvres qui donnent envie d'en savoir plus sur eux, pour comprendre.

Un couple et un duo artistique

Ne demandez pas à Émilie et Éric ce que B.A.B.B veut dire, ils vous répondront à l'unisson en éclatant de rire "c'est très personnel et à la limite de l'indécent", donc ne cherchons pas. En revanche, qui sont-ils ?

Nous sommes dans une société très patriarcale dans laquelle on met presque toujours en doute la parole de la femme, mais aussi la parole des enfants.

Éric de B.A.B.B

Émilie est enseignante, professeure des écoles dans le primaire. Elle est aussi autrice (quatre romans publiés), fait un peu de peinture et apprécie particulièrement l'art sous de multiples formes. Éric lui aussi enseigne, mais au collège. Il est professeur d’arts plastiques. Il est adjoint à la culture de sa commune lorsqu'il se rend en 2016 à une séance de dédicaces au Furet du Nord de Lens. C'est là qu'ils se rencontrent. "Je ne croyais pas au coup de foudre", nous explique Émilie, et pourtant il a eu lieu. Huit années qu'ils s’aiment et sept années qu'ils sèment leurs travaux communs.

"Nous sommes dans une société très patriarcale dans laquelle on met presque toujours en doute la parole de la femme, mais aussi la parole des enfants", confie Éric. Lui a la chance d'avoir grandi dans une famille où on lui a appris l’égalité homme-femme. Émilie a malheureusement subi cette violence faite aux femmes, mais a eu la chance d'être bien entourée. C'est de son histoire personnelle, mais aussi des convictions d'Éric, qu'est venue cette envie de rendre la parole aux victimes.

Des collages sur les relations homme-femme et la lutte contre les violences faites aux femmes

Leurs œuvres sont des collages. Émilie et Éric se mettent en scène via des photos où ils cachent leurs visages, celui de leur fils. Ils ne peuvent s'exprimer, leur bouche est dissimulée. C'est par les bulles dans lesquelles Émilie écrit des phrases chocs que les victimes se font entendre. Éric, lui, met tout cela en couleurs (avec la complicité d’Émilie qui peint aussi).

Si vous vous demandez pourquoi ils mettent en scène leur petit garçon, ils vous répondront que "c’est important que les enfants soient reconnus comme des victimes de violences intrafamiliales, qu’ils aient un vrai statut".

Un combat pour rendre la parole aux victimes

C'est donc le côté psychologique qu'ils essaient de trouver via leurs compositions visuelles. Émilie, c'est son histoire, pour se reconstruire, pour s'aider et aider les victimes, pour en finir avec les paroles de victimes mises et remises en doute perpétuellement. La vie a placé Éric sur son chemin. Quant à l’engagement sans faille d'Éric, il n'y a aucun doute ! Il est de ceux qui pensent que "cela devrait être obligatoire que les hommes s'engagent, qu'ils doivent au quotidien participer au fait que tout ceci s'arrête, disparaisse".

Ils vivent et travaillent à l'unisson. Éric, qui par le passé écrivait des chansons, pourrait mettre tout ceci en musique un jour, qui sait ? En attendant, je leur ai demandé trois mots pour définir l’autre, la première à répondre est Émilie : "Il est déterminé, maniaque, entêté, il ne lâche rien". Quant à Éric il a répondu : "Déterminée, une vraie façon de penser, une pensée autonome, elle est ravissante, intelligente, belle..." (Il a fallu l’arrêter tant il a de mots pour Émilie).

durée de la vidéo : 00h13mn00s

Marie Sicaud reçoit un duo d'engagés • ©France Télévisions

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Éric a donc mis fin à sa carrière solo d’artiste peintre en 2017. Vu de l'extérieur, leur amour donne encore plus de force à leur engagement. Le travail à quatre mains ne manquera jamais d'inspiration. Leur univers pop art, bien que délivrant des messages clés, est très coloré, parfois enfantin, ils s'inspirent de tout ce qui les interpelle, que ce soit visuellement ou à l'écrit (paroles de chansons, phrases d’un livre), car ne l’oublions pas, Émilie était écrivaine.

Ils ont aussi créé "plein de petites bêtes" que l'on retrouve sur leurs œuvres. Ce qui est frappant lorsque vous parlez avec eux, c'est le sourire, l'humour qu'ils délivrent. Tout ceci se retrouve également dans leurs créations. Des œuvres hautes en couleurs, vous l'aurez compris, où les femmes sont en première place. À deux, ils donnent naissance à des toiles que les passionnés d’art moderne pourront accrocher dans leur salon.

Ces thèmes qui leur sont chers, ils les abordent également en classe, avec leurs élèves. "Bien sûr, au collège, nous avons un programme à suivre, même en arts plastiques, mais j'essaye de travailler sur l'égalité de chacun", explique Éric.

"En CP, je travaille sur l’égalité filles garçons, et j'ai l’impression que c'est de mieux en mieux. Quand nous observons la jeunesse, nous observons qu’il y a plus de paroles du côté des filles, et plus de respect du côté des garçons. Ça avance, on espère que cela va prendre le dessus, il faut que dès les petites sections, on travaille sur l'égalité", confie Émilie.

Où les voir, les rencontrer ?

Ils continuent leurs collages féministes à Lille, à Paris, et les retours qui en découlent sont de plus en plus nombreux via leur compte Instagram. Jusqu'au 24 septembre a lieu l'exposition "la grosse collective" à la Galerie Détournée (Lille), qui est l'épicentre de l'art urbain dans la Métropole Lilloise. B.A.B.B y est en bonne place.

Leur travail artistique commence à porter ses fruits. La preuve, un lycée de Somain (Nord) les a conviés pour une campagne de sensibilisation à travers leurs photos. En tant qu'artistes qui sèment, ils ont laissé une fresque murale sous le préau.

Ils participent tous les ans aux portes ouvertes des ateliers d'artistes organisées par le Département du Nord. Cette année, ce sera le samedi 5 et le dimanche 6 octobre. L'occasion pour eux de proposer de nouvelles choses au public : photographies et peintures, comme d'habitude, mais également une installation, de la sculpture et des petites surprises en construction en ce moment, donc chut, nous ne vous en disons pas plus ! Vous pouvez bien sûr les suivre sur leurs réseaux sociaux, et s'ils ne démarchent pas, ou peu, les galeries, je me permets de le faire pour eux. Avis aux galeristes dénicheurs de talents. Ce duo d’artistes hyper engagé a de quoi séduire le public, mais aussi et surtout, de faire avancer les choses... Et ça fonctionne. En regardant leurs toiles, leurs collages, vous réussirez à entendre la parole des victimes.

Si au détour d'une rue, vous apercevez sur un mur un collage avec une bulle, arrêtez-vous, prenez le temps de lire le contenu de celle-ci, ils y ont mis tout leur cœur, leur amour, leur talent, leur engagement. Nous voici arrivés à la fin de notre histoire, qui ne se termine pas. Elle continue, le duo d’artistes va encore donner naissance à de nombreuses œuvres uniques qui nous bouleverseront et feront changer les choses.