La direction l'a annoncé le 19 avril 2024, la papeterie de Bousbecque (Nord) fermera ses portes en juillet, faute de résultats commerciaux concluants. Une nouvelle qui crée l'émoi des 117 salariés de cette usine vieille de 150 ans, confrontés au chômage partiel, et des habitants de la commune, sous le choc de voir un nouveau site emblématique fermer ses portes dans la région.
La nouvelle a eu l'effet d'un coup de massue. Ces derniers mois, de nombreuses entreprises des Hauts-de-France ont annoncé leur cessation d'activité, souvent de manière brutale, sans préavis. Mais les 117 salariés de la papeterie de Bousbecque, installée dans cette commune de 4900 habitants du nord de Lille depuis près de 150 ans, ne pensaient pas faire partie du lot.
En fin de semaine dernière, le 19 avril 2024, la direction d'Ahlstrom a joué carte sur table : si aucun repreneur ne se présente pour sauver la papeterie, celle-ci devra fermer ses portes d'ici 3 mois. Le groupe finlandais, qui a racheté le site en 1996 pour fabriquer du papier sulfurisé, explique que le carnet de commandes est en berne et que la concurrence internationale est devenue trop rude. La direction veut désormais concentrer toute son activité dans une autre usine, à Saint Séverin, en Charente.
Une fin abrupte pour cette usine emblématique du Val de Lys, dont 70% des salariés vivent à Bousbecque, selon la mairie.
Bloquer les stocks en attendant les négociations
Les salariés du site nordiste d'Ahlstrom ont été placés en chômage partiel. Mais hors de question pour eux de lever le camp. Une grande majorité a décidé de rester sur place, pour bloquer le site et empêcher la direction de transférer les stocks et les outils de production en Charente. Pour planifier leurs actions à venir, une assemblée générale était organisée en début d'après-midi ce mardi 23 avril.
Verdict : pas de grande nouveauté n'a été avancée, si ce n'est de continuer le blocage des stocks. "Ça va être notre seul levier dans les négociations, pour contre-attaquer", commente Mohammed Boutaknout, délégué syndical de la Filpac CGT du Nord. "En espérant que la direction puisse mettre le paquet face aux différents statuts. Mais rien n'est encore décidé, on attend beaucoup de la réunion qui se profile."
Les stocks ça va être notre seul levier dans les négociations, pour contre-attaquer. En espérant que la direction puisse mettre le paquet face aux différents statuts.
Mohammed Boutaknout, délégué syndical de la Filpac CGT du Nord
Aucune grande action ne semble prévue avant la première réunion de négociations, qui se déroulera le 6 mai, rien n'a non plus été acté concernant le retour au travail, programmé le 7. Mais ce temps d'échange entre salariés, un poil houleux, a au moins permis d'extérioriser les humeurs.
"Les collègues n'ont pas le moral pour retourner au travail, même si ce n'est que pour 4 jours. Il n'y a pas l'état d'esprit nécessaire pour mettre en route les machines mais on verra comment ça va se passer", rapporte avec lassitude Léo Perez, représentant syndical CFDT.
La fin d'un héritage industriel symbolique
La fin de l'usine Ahlstrom hante les conversations des habitants de Bousbecque. La papèt', comme tout le monde l'appelle ici, est l'un des principaux pourvoyeurs d'emploi de la ville. Tout le monde connaît au moins une personne qui travaille ou a travaillé, parfois sur des générations, dans l'usine centenaire.
"Qui n’a pas eu un grand-parent, un oncle, une tante, un enfant qui a travaillé là-bas ? C’était le cœur de l’activité industrielle de la ville à une certaine époque. Bousbecque était identifiée par sa papeterie", relate Joseph Lefebvre, maire de la ville.
Qui n’a pas eu un grand-parent, un oncle, une tante, un enfant qui a travaillé là-bas ? (...) Bousbecque était identifiée par sa papeterie.
Joseph Lefebvre, maire de Bousbecque
Du côté des habitants, l'impression de perdre le pilier économique de leur ville est grande. Mais surtout, ils et elles se désolent du sort des salariés d'Ahlstrom.
Philippe*, par exemple, voit son histoire personnelle se répéter : "J'ai été licencié de chez Camaïeu et quand je vois ça c'est terrible, parce que ça veut dire que ça continue. Surtout qu'à Bousbecque y'a pas trop d'emplois, donc une entreprise qui ferme ça va faire encore couler un peu le centre-ville et les commerces."
À Bousbecque y'a pas trop d'emplois, donc une entreprise qui ferme ça va faire encore couler un peu le centre-ville et les commerces.
Philippe*, habitant de Bousbecque
Même si l'annonce de la direction est arrivée sans prévenir, Joseph Lefebvre souligne que la papeterie connaissait des difficultés depuis plusieurs années, avec quelques interruptions et différentes phases de chômage technique. "Mais la décision est arrivée de manière assez brutale", déplore le maire de la commune, inquiet pour l'avenir des 117 salariés, à qui il promet un accompagnement en cas de fermeture de la papèt.
Une menuiserie locale propose dix postes aux salariés
Les autres entreprises du Val de Lys n'échappent pas à l'émoi général. L'une d'entre elles, la menuiserie Richard basée à Wervicq, a même devancé les négociations prochaines et les licenciements, en proposant à une dizaine de salariés d'Ahlstrom de rejoindre ses rangs.
C'est Christophe Soleil, menuisier du site juxtaposé à la papeterie, qui a pris l'initiative d'alerter sur les besoins de son entreprise. "Moi les personnes que je vois à la télé, qui risquent de se retrouver au chômage, je les connais." Il y a plusieurs années, Christophe a fait un passage dans l'usine Ahlstrom. "Ce sont mes amis et mes voisins. Si on peut faire du recrutement directement là-bas les salariés n’auraient pas à faire des kilomètres pour trouver du travail."
Ce sont mes amis et mes voisins. Si on peut faire du recrutement directement là-bas les salariés n’auraient pas à faire des kilomètres pour trouver du travail.
Christophe Soleil, menuisier
La menuiserie Richard est en plein essors, mais peine à recruter. "On est constamment débordés", relate Bertrand Richard, patron de l'entreprise locale qui assure vouloir recruter des salariés de tout âge. "En attendant la décision finale, cette offre d'emploi permet de leur donner une fenêtre d’espoir, quand tout leur monde s’écroule. Surtout que l’actualité professionnelle n’est pas réjouissante." Une démarche évidemment intéressée, Bertrand Richard ne s'en cache pas, mais une démarche tout de même muée d'un désir de solidarité, entre nordistes dans le besoin.
*Le prénom a été modifié