L'édition 2022 du petit Larousse illustré paraîtra le 19 mai. 150 nouveaux mots et 40 personnalités y feront leur apparition. Parmi ces dernières, le chef Jean-Claude Casadesus, bien connu dans le Nord, fondateur de l'Orchestre national de Lille, pour qui "c'est une toute petite part d'immortalité"
Les nouvelles entrées du Larousse sont en grande partie liées à la crise sanitaire. On notera ainsi l'arrivée de "télétravailler", "cluster" ou encore "réa". Mais le dictionnaire compte aussi 28 000 noms propres, parmi lesquels figurera désormais celui du chef d'orchestre emblématique du Nord, Jean-Claude Casadesus. Il nous livre sa réaction à cet "honneur", auquel il ne s'attendait pas du tout.
C'était une vraie surprise pour vous ?
Jean-Claude Casadesus : Totalement ! Il y a quelques jours en répétition, j'ai appris cet honneur qui m'était fait, à ma grande surprise ! Mais j'avoue, ça m'a touché. D'après ce que je sais, un comité se réunit chaque année pour décider quels noms seront retenus. Il y a apparemment trois personnes du monde de la culture, et je suis l'une des trois ! C'est une toute petite part d'immortalité…
Avoir son nom dans un dictionnaire, c'est une toute petite part d'immortalité...
Savez-vous comment le Larousse va vous définir en quelques lignes ?
Non, je n'en ai aucune idée ! Je sais seulement que je me trouverai entre ma mère, Gisèle, sociétaire de la Comédie française, et mon cousin, Robert, immense compositeur et pianiste qui a d'ailleurs une étoile sur le Hollywood Walk of fame. Chef d'orchestre fondateur de l'ONL, c'est évident, mais il faut ajouter musicien.
La musique me vient de loin. Mon grand-père et Pierre Monteux, immense créateur du Sacre du Printemps, ont fondé le premier orchestre baroque au début du siècle dernier, dont Camille Saint-Saëns était d'ailleurs le président. Ils m'ont mis un violon dans les mains alors que je n'avais que quatre ans, et ils ont décrété que je serais chef d'orchestre. J'ai d'abord vécu pour la musique, j'ai eu mon orchestre de jazz en tant que pianiste à 14 ans, à 30 j'ai reçu le prix de la direction d'orchestre, j'ai créé l'Orchestre des Pays de la Loire, puis celui de Lille.
A votre avis, qu'est-ce qui a motivé cette décision ?
Mon grand âge ! Comme j'ai 85 ans, ils ont dû se dire qu'il fallait laisser une trace de moi ! (Rires). Plus sérieusement, je pense que mon travail avec l'ONL a pesé dans la balance. Il y a 45 ans, en 1976, j'ai créé l'Orchestre National de Lille. Au départ, on m'avait recruté pour travailler avec l'orchestre de Radio Lille, voué à disparaître. Sauf que moi, j'avais un projet pour ces musiciens ! En toute modestie, on a été le fer de lance de toute la politique culturelle qui a suivi dans le Nord – Pas de Calais.
Mon but, c'était surtout de toucher ceux qui pensent que la "grande culture" n'est pas pour eux. De les faire changer d'avis. La musique classique ne doit pas être réservée à une élite.
La musique classique ne doit pas être réservée à une élite !
C'est quelque chose que vous prônez, encore aujourd'hui.
André Malraux l'écrivait dans Les Voix du silence : "Comme l'amour, l'art n'est pas plaisir mais passion : on peut être tenté d'aimer qu'il puisse donner à beaucoup le sens de la grandeur qu'ils ignoraient en eux." C'était ça, mon but, faire prendre conscience à tous que cette culture-là était faite pour eux aussi.
On a toujours proposé le meilleur dans des conditions pas toujours les meilleures, parce que notre envie, c'était d'aller vers les gens. Nous sommes une entreprise de service public au service du public, et je suis heureux d'avoir contribué à créer une démarche qui permette à des gens d'avoir accès à la culture. Vous savez, on a joué partout. Dans des entreprises, des lieux de souffrances comme les hôpitaux ou les prisons… Mais aussi au Carnegie Hall à New York !
Vous avez voyagé dans le monde entier…
Oui, l'ONL a fait le tour du monde mais il s'est aussi donné en spectacle dans 250 villes de la région. Ça aussi, ça compte. Pierre Mauroy m'avait dit : "Donnez au Nord, il vous le rendra." J'ai donné 85% de ma vie à cette région, et je peux vous dire que je l'aime. Une chose que tout le monde ne sait pas, c'est que je me suis occupé de 15 000 enfants par an, l'ONL étant jumelé avec des écoles. Je suis fier de voir que beaucoup de jeunes ont accompli de beaux parcours.
L'autre jour, j'étais chez le préfet, un jeune homme m'a abordé pour me remercier. Il m'a confié que son frère avait fait Sup de Co et lui-même, Sciences Po, au point d'être aujourd'hui le bras droit du préfet. Il m'a dit que ce parcours, ils me le devaient en partie. C'est une fierté sans nom. Je crois aux vertus thérapeutiques de la culture musicale, comme Dostoïevski, qui disait : "La beauté sauvera le monde", ou mon ami Armand Marquiset, fondateur des Petits frères des pauvres qui affirmait qu'il fallait "des fleurs avant du pain", c'est-à-dire du beau avant l'utile.
Transmettre, c'est dans ma nature profonde
Cette émotion qui m'a souvent submergé, j'ai voulu la partager. Transmettre, c'est dans ma nature profonde. Nous transmettons ce qui est notre humus, et les jeunes en face sont des éponges qui n'ont qu'une envie, d'être humectées. Parfois, on a des papillons dans les yeux. La musique s'adresse à l'imaginaire, on transmet des émotions indicibles, et le chef d'orchestre, c'est un peu Gepetto qui anime un chef d'œuvre immobile.
Quel est votre plus grand souvenir de musique ?
Impossible d'en choisir un seul ! Spontanément je pense à cette célébration à Notre-Dame de Lorette, un hommage à tous les morts de la guerre 14, nous avions joué la 9e symphonie de Beethoven, au milieu de ces tombes. Il y a aussi ce voyage en Afrique, nous étions le premier orchestre symphonique à jouer en Afrique noire… Au Liban, sur les lieux-mêmes où s'étaient déroulés de violents affrontements, nous avons joué au milieu des druzzes, des musulmans et des juifs, sous une belle nuit étoilée…
Ah, je sais. Un moment immense. Le roi du Maroc nous avait demandé de jouer pour la venue du Pape. Il y avait un imam qui chantait, une chanteuse juive, une autre chrétienne, c'était la représentation de l'œcuménisme humain à travers la musique. Grâce à l'ONL, j'ai côtoyé de grands événements historiques.
Les concerts vous manquent ?
Tellement... Là, je devrais être au Japon, j'ai aussi été invité en Chine, en Russie, mais tous les concerts ont été reportés sine die. J'ai vu s'annuler depuis le début de la crise sanitaire 21 concerts et neuf programmations. Mon dernier concert avec l'ONL date d'il y a huit mois, alors celui de ce soir me fait un plaisir fou ! Pour ce concert digital, retransmis ce soir (mercredi 12 mai) sur la chaîne YouTube de l'ONL, le programme est magnifique.
Nous allons jouer l'un des plus célèbres pages classiques au monde, la 5e Symphonie de Beethoven. Et puis nous accompagnerons la jeune violoncelliste russe Anastasia Kobekina qui interprétera le 1er concerto pour violoncelle de Chostakovitch.
Le concert sera retransmis ce mercredi 12 mai 2021 à 20 heures. Jean-Claude Casadesus sera également présent pour la clôture du Lille Piano(s) Festival 2021 le dimanche 20 juin au Nouveau Siècle de Lille. Informations à venir sur le site du festival.