Le service d’aide aux femmes excisées, (SAFE) a ouvert ses portes à l’hôpital Saint Vincent de Paul. La gynécologue Estelle Declas nous dévoile les coulisses de cette unité, dédiée à la reconstruction anatomique, sexologique et psychologique de ces femmes mutilées.
La docteur Estelle Declas nous accueille au sein du Service d’Aide aux Femmes Excisées, ouvert tout récemment à l’hôpital Saint Vincent de Paul de Lille. Ici, une équipe pluridisciplinaire prend en charge des femmes victimes de mutilations sexuelles. En jeu : leur reconstruction, entre chirurgie, médecine de la douleur, sexologie et prise en charge psychologique. La gynécologue raconte comment son équipe prend en charge des victimes.
Quelles sont les conséquences d’une excision ?
La principale plainte des patientes, c’est de ne pas avoir de plaisir. Mais derrière cet enjeu, l’excision, c’est un vrai traumatisme. Cette mutilation, qui consiste à couper le gland du clitoris, est réalisée sans anesthésie, à tout âge. Souvent dans la petite enfance, vers l’âge de cinq ans. Avec un même couteau, une même lame pour tout le monde, non stérilisée. Il y a des complications infectieuses, hémorragiques et des décès. Les victimes décrivent des symptômes de stress post-traumatique, des cauchemars, des crises d’angoisse, des troubles anxieux, psychologiques ou sexuels, un syndrome dépressif, du vaginisme…
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L’un des problèmes supplémentaires de cette mutilation, c’est les idées qu’il y a autour : les femmes n’ont pas le droit d’en parler, de poser de questions, on leur dit que le sexe c’est sale, que c’est juste pour faire des enfants et pour le plaisir du monsieur. Certaines ont subi des mariages forcés ou des viols.
Les victimes décrivent des symptômes de stress post-traumatique, des cauchemars, des crises d’angoisse, des troubles anxieux, psychologiques ou sexuels...
Estelle Declas, gynécologue
Dans quelle mesure pouvez-vous aider ces femmes ?
On pourra toujours aider les patientes, peu importe le type d’excision, peu importe l’âge. On peut opérer à tout âge : à 30 ans, à la ménopause, à 80 ans. J’ai seulement fait le choix de ne pas opérer sur des personnes mineures.
Recevez-vous beaucoup de victimes d’excision ?
J’ai commencé à prendre en charge des patientes excisées depuis 2021 mais seulement en interne et par le bouche-à-oreille. Maintenant, on a une vraie belle unité : sur mes journées de consultation, je vois au moins trois ou quatre patientes excisées. Donc mon activité est à 50% dédiée à ça. Depuis le début de l’année 2024, j’ai déjà opéré 7 patientes. Et on a diffusé l’information seulement le 6 février. Mon rêve : ce serait de monter d’autres unités. Au moins une sur la côte, près de Calais, où il y a beaucoup de patientes. On aimerait aussi monter une maison de la femme pour que les patientes puissent y venir pour leurs consultations et leur suivi. Dans les Hauts-de-France, MSF Lille estimait le nombre de femmes excisées à 3000 patientes.
En quoi consiste votre travail ?
En tant que gynécologue, je vois toutes les patientes une première fois, pour de l’information, pour faire le diagnostic. On regarde leur anatomie. Souvent, je prends une photo de leur vulve qu’on regarde ensemble. Je leur explique à quoi elle ressemble, qu’est-ce qui leur a été fait, ce qu’on peut faire pour les aider. Et c’est à ce moment-là, selon le désir de la patiente, qu’on propose la prise en charge qui peut être chirurgicale.
Souvent, je prends une photo de leur vulve qu’on regarde ensemble. Je leur explique à quoi elle ressemble, qu’est-ce qui leur a été fait, ce qu’on peut faire pour les aider.
Estelle Declas, gynécologue
Il y a deux possibilités. La première, c’est la réexposition du clitoris. Même excisées, le clitoris des patientes est encore présent. À tort, elles pensent qu’on leur a retiré. En fait, le clitoris fait 8 à 12 centimètres. Ainsi, seule la partie extérieure a été retirée. Tout le reste, le corps, est encore présent et sain, en profondeur. Donc c’est cette partie qu’on va aller chercher. Je ne reconstruis pas quelque chose de nouveau : c’est le clitoris de la patiente, qu’elle a encore et qu’elle a toujours eu, qu’on remet à l’extérieur. Je trouve que c’est bien de le dire parce que c’est positif : c’est leur clitoris, leur organe. Ce n’est pas une greffe, c’est de la reconstruction anatomique.
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La deuxième opération possible, c’est la désinfibulation. Dans certains types d’excision, la vulve a été refermée, en fermant les petites lèvres ou les grandes lèvres. Alors on réouvre l’orifice de la vulve. Parfois, quand on ouvre les lèvres, on a la bonne surprise de voir que le clitoris n’a pas été touché. À ce moment-là, il n’y a pas besoin de faire une réexposition clitoridienne en plus de la désinfibulation.
Comment les femmes retrouvent-elles des sensations à l’issue de la chirurgie ?
Bien évidemment, la reconstruction anatomique ne suffit pas pour les patientes qui n’ont pas de plaisir. Souvent, elles pensent que la chirurgie va tout régler et qu’elles vont prendre du plaisir directement en récupérant leur clitoris. Je leur explique que c’est beaucoup plus compliqué : ce n’est pas un bouton Marche/Arrêt ! En touchant le clitoris, on ne jouit pas d’un coup. Donc si je ne faisais que le réexposer, les patientes seraient déçues. La reconstruction c’est un tout : la chirurgie, c’est reconstruire l’anatomie. Ensuite, il y a la reconstruction sexologique et psychologique.
La reconstruction c’est un tout : la chirurgie, c’est reconstruire l’anatomie. Ensuite, il y a la reconstruction sexologique et psychologique.
Estelle Declas, gynécologue
Quels sont les rôles de la sexologue et du psychologue ?
On propose un suivi psychologique, qui n’est pas obligatoire. À l’exception d’un premier rendez-vous, avant la chirurgie. On l’impose car je réopère quand même au même endroit et s’il y a un syndrome post-traumatique, il faut qu’il soit pris en charge avant l’opération pour éviter qu’il y ait des réminiscences.
Notre sexologue, Elise Bouquet, peut elle aussi voir la patiente une fois avant l’intervention s’il y a des douleurs ou une petite sensibilité, pour bien travailler avec elle le corps du clitoris, par des massages et ainsi qu’il y ait moins de douleurs à l’issue de l’intervention.
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Elle débute ensuite un suivi à l’issue de l’intervention, au bout de deux ou trois mois, une fois que c’est cicatrisé. L’objectif : gagner en fonctionnalité et défaire beaucoup d’images négatives qui accompagnent l’excision.
Qu'est-ce que ça veut dire, gagner en fonctionnalité ?
Chaque femme est différente, chaque clitoris est différent. Une fois que le clitoris est présent, elle doit apprendre à se connaître elle-même : est-ce qu’elle aime qu’on appuie un peu plus fort, juste des caresses, avec la bouche, le pommeau de douche, en massant ? Il faut qu’elle se découvre et ensuite qu’elles montrent à son partenaire, qu’ils fassent des exercices à deux, pour voir ce qu’elle aime. Peut-être qu’elle n’aimera même pas la simulation clitoridienne, ça peut être une norme aussi.
C’est valorisant car on se dit qu’on les a vraiment aidées.
Estelle Declas, gynécologue
Comment voyez-vous vos patientes ?
Ces femmes sont vraiment fortes. Je les trouve impressionnante. C’est beau, de les voir s’épanouir. Même avant une véritable prise en charge, avec juste de l’information. Parce qu’il y a un tel tabou que souvent elles n'ont même pas compris ce qui leur est arrivé, elles ne savent pas ce qui a été fait. Rien que de leur dire : “Votre clitoris, vous l’avez, le bout a été coupé mais tout le reste du clitoris est là”, rien que de leur montrer leur anatomie, de leur dire que leur vulve, elle est belle, que le sexe, ce n’est pas sale. Rien que ça : c’est une première étape et ça leur fait du bien. On voit qu'elles s’ouvrent déjà au moment de la consultation. Et dans les suites, avec les femmes prises en charge, c’est vraiment valorisant car on se dit qu’on les a vraiment aidées. Et surtout, elles sont courageuses parce que finalement, nous on ne fait pas grand-chose. La chirurgie, ça ne prend que 45 minutes. Tout le reste, la cicatrisation, les soins, se déplacer… ça leur demande une énergie folle. Le clitoris cicatrise mais elles aussi, elles cicatrisent.