Elle est l’un des jeunes chefs les plus prometteurs de sa génération. La lilloise Lucie Leguay a été récompensée le 1er mars 2023 aux Victoires de la musique classique, diffusées sur France 3, dans la catégorie "révélation chef d’orchestre". Interview sur un parcours sans fausse note.
A 33 ans, la lilloise Lucie Leguay a déjà une solide carrière derrière elle. Après avoir été chef assistante à l’Orchestre National de Lille, d’Ile-de-France et de Picardie, elle seconde actuellement Mikko Franck au prestigieux Orchestre philharmonique de Radio France. Pas étonnant qu’elle ait remporté le 1er mars 2023 une Victoire de la musique classique, catégorie "révélation chef d’orchestre".
Elle explique, un grand sourire aux lèvres : "Ça fait très plaisir, c’est une reconnaissance du milieu professionnel et ça encourage à continuer. La catégorie existe depuis l’année dernière seulement."
Lucie partage ce prix avec son confrère et ami Victor Jacob. Fait rarissime, ils sont arrivés ex-aequo, avec le même nombre de voix.
"C’est important qu’une femme soit récompensée, insiste-t-elle. Avant, il y avait environ 4% de femmes chefs d’orchestre, 6 ou 8% maintenant. C’est peu. J’espère que ça va inspirer des jeunes femmes et susciter des vocations, parce que c’est un métier merveilleux, que l’on peut exercer qu'on soit un homme ou une femme."
Lauréate de plusieurs prix internationaux, Lucie Leguay mène, en plus de son poste de chef assistante, une carrière de free-lance, qui la fait voyager à travers le monde. Elle est donc très rarement chez elle : "Quand je reviens à Lille, je suis très heureuse, même pour 24 heures. Je retrouve ma famille, les amis et l’ambiance lilloise que j’adore, mais je suis plus souvent dans des hôtels qu’à mon appartement !"
Lumineuse et souriante, elle a quand même trouvé du temps pour répondre à une interview, sur le plateau de Vous êtes formidables.
Comment voyez-vous le rôle d’un chef d’orchestre ?
C’est celui qui va fédérer l’orchestre, autour d’une interprétation. Imaginez la partition un peu comme une recette de gâteau au chocolat. Eh bien, en tant que chef d’orchestre, on a une lecture de cette partition et on va la communiquer aux musiciens, puis transmettre les émotions au public.
Il faut certaines qualités, comme une bonne oreille, car il faut entendre tout ce qui se passe dans un orchestre ! J’ai aussi une certaine joie de vivre, beaucoup d’énergie et je pense que j’arrive à entraîner mon orchestre pour qu’il se surpasse.
Il y a beaucoup de travail pour en arriver là ?
Oui, beaucoup. Avant d’être chef d’orchestre, j’étais pianiste. J’ai commencé avec mon père à l’âge de trois ans, puis j’ai suivi une scolarité en horaires aménagés au collège Carnot à Lille, huit heures de piano tous les jours.
C’est un peu comme le sport, c’est un investissement à temps plein. Pendant les vacances, on ne va pas s’amuser avec ses amis, on fait des stages ou on travaille. Alors quand ça marche, on est ravi !
Avez-vous des préférences en musique ?
Ce que j’adore dans ce métier, c’est de pouvoir aborder un répertoire extrêmement large. Je fais de l’opéra, du contemporain, du symphonique. J’ai même fait une tournée avec le DJ Wax Tailor il y a dix ans, un concert spectacle entre musique électro et symphonique, Wax Tailor & the Phonovisions Symphonic Orchestra. Je trouve que toutes les musiques sont intéressantes et m’inspirent.
Ce que j’aime aussi, grâce à cette variété, ce sont les rencontres avec les solistes, avec les musiciens. Chaque semaine, j’ai la chance de voyager, de côtoyer des artistes. C’est un bonheur de s’enrichir de toutes ces rencontres.
La musique que je rêve de diriger, c’est celle de Maurice Ravel. Quand on est invité, soit on nous propose un programme déjà établi, et on peut parfois choisir le soliste (j’ai déjà choisi des pianistes par exemple), soit on nous dit : « Qu’est-ce que vous aimez diriger ? ».
En fait, on invite un chef, il est là pendant une semaine et il doit apporter son savoir. Moi j’adore la musique du XXème siècle, Ravel, Bartók, Debussy, Stravinsky, la musique impressionniste.
Que faites-vous avant de monter sur scène ?
Il peut m’arriver d’écouter complètement autre chose que de la musique classique. Juste avant, je fais toujours une petite danse dans ma loge, comme si c’était le dernier concert de ma vie et qu’il fallait donner toute l’énergie possible.
J’adore la chanson de Beyoncé Single Ladies ; souvent je pense à cette chanson-là avant de monter sur scène. J’ai même une chorégraphie (rires), je suis en train de m’habiller, de me coiffer, de prendre les partitions et je danse.
Quand vous avez 1 200 personnes qui attendent derrière, elles ne viennent pas pour rien, il faut leur donner de l’énergie ! J’ai beaucoup dansé sur cette chanson, partout dans le monde, elle me donne la pêche.
Quels sont vos projets ?
J’aimerais avoir mon orchestre, en France ou à l’étranger. Pourquoi pas l’Allemagne ? J’ai beaucoup d’affinités avec ce pays. Être la directrice musicale d’un orchestre, ce n’est pas du tout la même relation que quand vous êtes chef invitée et que vous avez l’orchestre pendant trois ou quatre jours.
C’est une relation qui se crée sur le long terme, on met sa patte, on a son propre son, comme Alexandre Bloch à l’Orchestre National de Lille.
J’aimerais aussi beaucoup refaire un CD. C’est génial, l’enregistrement, et on laisse une trace. J’ai déjà enregistré un disque avec l’ONL, Le carnaval des animaux de Saint-Saëns, aux côtés d’Alex Vizorek en récitant. C’était agréable, je me sentais comme à la maison, avec des musiciens que je connais très bien.
Le 13 mai 2023, Lucie Leguay dirigera Les planètes de Gustav Holst à la Philharmonie de Paris. Un concert accompagné de photos signées Jérémy De Backer, où elle apparaît en spationaute !
"Jérémy dit plutôt "terronaute", précise-t-elle. On est sur terre mais ça paraît complètement extraterrestre. J’ai fait presque deux ans de voyages avec lui pour faire les photos dans le monde entier, elles seront projetées en même temps que la musique."
La nordiste a aussi des projets au Japon et à Los Angeles, mais dans cette vie de globe-trotter, elle espère bien trouver le temps de se ressourcer sur la plage de La Panne en Belgique, son endroit préféré.
"C’est extraordinaire d’avoir, à une heure de Lille, cette parenthèse où le téléphone et l’ordinateur n’existent plus, où on peut marcher des heures. J’y vais depuis que je suis bébé, ma grand-mère m’emmenait là-bas ! Il y a les gaufres, les frites, le cuistax et toute cette ambiance du Nord que j’adore. Je me sens un peu belge en fait !"