Les laboratoires qui fabriquent de l'homéopathie ne veulent pas renoncer à son remboursement : ils ont demandé ce vendredi au gouvernement de ne pas suivre un avis scientifique accablant de la Haute autorité de santé, qui préconise la fin de sa prise en charge par la Sécu.
"Nous demandons un moratoire" ainsi qu'"un débat parlementaire suivi d'un débat public", a déclaré Valérie Lorentz-Poinsot, directrice générale du leader mondial Boiron, dont le siège social se trouve dans l'agglomération lyonnaise et qui dispose d'un important établissement dans la métropole lilloise, à Villeneuve-d'Ascq, employant une centaine de salariés.
Elle s'est exprimée lors d'une conférence de presse juste après la présentation publique d'un avis de la Haute autorité de santé (HAS). Sa commission de la transparence, organisme chargé d'évaluer les médicaments, préconise de ne plus rembourser les produits homéopathiques.
La HAS avait été saisie en août 2018 par la ministre de la Santé Agnès Buzyn, pour déterminer si le remboursement de l'homéopathie était ou non justifié. La décision finale revient maintenant au gouvernement, qui peut suivre ou non l'avis de la HAS. Cet avis est sans ambiguïté : les produits homéopathiques "n'ont pas démontré scientifiquement une efficacité suffisante pour justifier d'un remboursement".
Mais au-delà du débat scientifique, les pro-homéopathie ont investi depuis plusieurs semaines le terrain politique en tentant de mobiliser leurs troupes. Labos, homéopathes et usagers ont lancé la campagne "Mon homéo, mon choix", avec une pétition qui revendique 1,1 million de signatures, et ont organisé des manifestations à Paris et Lyon ce vendredi matin. Ils ont également reçu le soutien de Xavier Bertrand, le président DVD de la région Hauts-de-France.
Plus d’un million de personnes ont signé la pétition contre le déremboursement de l’#homéopathie : donnez la parole aux patients ! #MonHomeoMonChoix pic.twitter.com/ymPqJMFQUn
— Xavier Bertrand (@xavierbertrand) 28 juin 2019
Ils font valoir qu'un déremboursement menacerait 1300 emplois chez les labos (1000 chez Boiron et 300 chez les deux autres, le français Lehning et le suisse Weleda). Tout en assurant que l'enjeu majeur était "la santé publique", Mme Lorentz-Poinsot a rappelé que Boiron employait 2600 salariés en France et travaillait avec 2743 fournisseurs.
Outre Xavier Bertrand, les pro-homéopathie ont également reçu le soutien du président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez et du maire LREM de Lyon Gérard Collomb.
"Chantage à l'emploi"
C'est "un chantage à l'emploi pour influer sur une décision strictement scientifique", a protesté dans un communiqué le collectif Fakemed, qui rassemble des professionnels de santé anti-homéopathie. Il a appelé la ministre à prendre "une décision claire et rapide allant dans le sens de l'avis de la HAS".
Suite au rapport de @HAS_sante préconisant le déremboursement de l'homéopathie.
— FakeMed (@fakemedecine) 28 juin 2019
Nous demandons une décision politique rapide et cohérente avec ces recommandations.
L'Homéopathie est donc officiellement une pseudomédecine et doit donc être considérée comme tel par les autorités pic.twitter.com/eSUvzQ5deo
Certains médicaments sont remboursés à 30% par la Sécurité sociale. Ce sont les seuls à l'être sans avoir prouvé leur efficacité scientifique, en vertu d'un statut dérogatoire. L'an dernier, le remboursement de l'homéopathie a représenté 126,8 millions d'euros sur un total d'environ 20 milliards pour l'ensemble des médicaments remboursés, selon l'Assurance maladie.
"C'est le coût d'embauche de 6000 infirmières", de "8250 aides-soignantes" et cela permettrait "de réduire d'un tiers le déficit des hôpitaux de France", a calculé le collectif Fakemed.
Jeudi, Agnès Buzyn a indiqué que la décision finale ne serait pas prise immédiatement. "La prise de décision est une prise de décision politique" qui "appartient" à la ministre, a commenté vendredi la présidente de la HAS, Dominique Le Guludec. Le président de la commission de la transparence, Christian Thuillez a indiqué qu'il était "absolument exceptionnel" que le gouvernement ne suive pas un avis concernant un remboursement.
Pour autant, "d'autres éléments (que les éléments scientifiques) peuvent intervenir", a concédé Mme Le Guludec. Pour prôner le déremboursement, la HAS s'appuie sur plusieurs arguments. Premièrement, l'efficacité de l'homéopathie n'est prouvée par aucune étude. Deuxièmement, elle est souvent utilisée pour des "pathologies sans gravité ou qui guérissent spontanément". Troisièmement, son impact sur la "qualité de vie" des usagers, argument souvent avancé par ses défenseurs, ne peut être évalué selon les données actuelles. Enfin, rien ne démontre qu'elle permet de "réduire la consommation d'autres médicaments".
Les données analysées par la HAS portaient sur "24 affections et symptômes traités avec des médicaments homéopathiques". Parmi elles, l'anxiété, les verrues plantaires, l'asthme, la gestion des effets indésirables des traitements anticancéreux ou la suppression de la montée de lait chez les femmes après l'accouchement.