Transpole est devenu Ilévia. Le changement de nom s’accompagne notamment d'une modification conséquente du plan de bus. Des maires de la métropole lilloise montent au créneau, mais ils ont pourtant voté pour une baisse du budget transports de 140 millions d’euros. Logique ?
Peut-on voter une baisse de 10% du budget alloué au réseau de transport de la métropole et en même temps se plaindre de la suppression de lignes dans sa commune ? Peut-on choisir de baisser la somme dévolue à Ilévia pour gérer le réseau de bus et quelques mois plus tard dénoncer la qualité médiocre du service ? C’est la question un peu schizophrène que doivent se poser de nombreux maires de la métropole lilloise.
Car depuis lundi 28 janvier, les usagers du réseau de transports en commun de la métropole lilloise sont un peu perdus. Transpole est devenu Ilévia, de nombreuses lignes de bus ont été modifiées, certaines complètement supprimées.
Des usagers mécontents soutenus par les maires
Sur les réseaux sociaux, les usagers du réseau de bus Ilévia expriment leur colère depuis le lancement du nouveau plan de bus, lundi 28 janvier. Les pétitions pour réclamer le retour des anciennes lignes se multiplient tandis que des groupes se créent sur Facebook pour permettre à chacun de partager ses soucis et exprimer sa colère.
Hem, Wattrelos, Tourcoing, Pérenchies, La Bassée, Villeneuve d’Ascq, Haubourdin, Bondues... : liste non-exhaustive des communes où la colère gronde. Les internautes-usagers réclament le retour d’anciennes lignes. La 17 par exemple dans le secteur de Tourcoing et de Wattrelos. “Si vous en avez marre d’arriver en retard au boulot” peut-on lire, “Signez cette pétition et faisons en sorte de récupérer notre ligne de bus.” “C’est encore possible d’aller en cours avec Ilévia ?”, demande une lycéenne sur twitter. “Ce n’est pas une reprise, cela ressemble plus à un démantèlement”, déplore un usager excédé sur un groupe Facebook intitulé “Contre les changements faits par Ilévia.”
Pétition : Retour de la ligne 54 Perenchies
Social - Signez la pétition : Retour de la ligne 54 Perenchies
Alors, de nombreux maires de communes touchées par les changements de bus se plaignent aujourd’hui de la suppression de lignes et d’arrêts, ou encore d’une baisse de la cadence des passages des bus.
Certains votent même des motions en conseil municipal pour exiger le retour d’anciennes lignes de bus (c’est le cas à Wattrelos ou à Hem par exemple), d’autres lancent des pétitions sur les réseaux sociaux (le maire de Marcq-en-Barœul a lancé sa propre pétition) tandis que des groupes d’élus demandent à leurs militants de faire remonter leurs problèmes de mobilité pour se plaindre auprès de l’exécutif de la Métropole Européenne de Lille (c’est le cas du groupe SRCP à la MEL).
… mais la plupart ont voté la baisse du budget transports de 10%
Pourtant, la grande majorité de ces maires mécontents ont voté une baisse de 10% du budget transports en 2017, et ce pour les 7 prochaines années, de 2018 à 2024 (voir encadré pour comprendre cette baisse convenue dans la concession de service public attribuée à Kéolis en décembre 2017). Soit 20 millions d’euros en moyenne par an, 140 millions d’euros au total pour la période du contrat.
Bernard Gérard, maire de Marcq-en-Barœul, a récemment lancé une pétition pour exprimer son désarroi face au nouveau plan de bus et a voté en conseil municipal une motion pour exiger des modifications immédiates. Il a voté pour la baisse du budget de 10% en décembre 2017.
Mais le maire réfute toute idée d’avoir voté pour une diminution du réseau de bus. « On nous a parlé d’optimisation » avance-t-il, « une optimisation ce n’est pas une suppression. » Et lorsqu’on lui rappelle qu’il a voté pour la baisse de 10% du budget transports de la MEL pour la période 2018-2024, comme 154 autres élus, Bernard Gérard nous explique que cette baisse se fait « sur des sommes considérables. Les 10% (de baisse) peuvent être absorbés d’une autre manière qu’en supprimant des lignes. »
Une diminution du budget de 10% sur 7 ans représente une baisse des subventions de 140 millions d’euros environ. Le budget total de la MEL pour les transports passe ainsi de 1435 millions d’euros à 1296 millions d’euros environ.
Même son de cloche du côté du maire de Hem, Pascal Nys, qui concède quand même “un lien probable entre cette baisse et la situation aujourd’hui.“ Il ajoute : « lorsqu’on nous dit, on doit faire des économies, et bien il faut concerter les maires.” Et selon lui, les maires “n’ont pas trop eu leur mot à dire” sur les tracés du nouveau plan de bus. “Je rejette la faute à la MEL, ce sont les techniciens de la MEL et les élus aux transports de la MEL qui n’ont pas fait leur travail.“
Lorsqu’on lui affirme que la liane 4, aujourd’hui morcelée en plusieurs lignes et quasi-inexistante à Hem, n’apparaissait déjà plus dans la présentation du CSU en 2017, le maire botte en touche et nous répond qu’il n’était pas aux affaires à ce moment-là.
"On savait bien que ça allait tomber" ou "Quand ça tombe chez soi, ça plait moins"
Selon Bernard Gérard, personne n’a évoqué la suppression de lignes, d’arrêts ou l’allongement du temps d’attente de passage des bus. Les élus ont simplement été conviés à quelques réunions vers mars 2018. « On nous a présenté le réseau tel qu’il allait être mis en place, sans expliquer les cadences et les horaires. Jamais les horaires n’ont été discutées avec les élus.»
Une idée partagée par Dominique Baert, maire de Wattrelos. « Moi je n’en savais rien. On l’a appris en janvier. C’était : on vous donne la grille, les horaires, les trajets et démerdez-vous. » Il assume ensuite avoir voté pour cette baisse : “On a cherché plus d’efficience. La MEL fait de gros efforts sur d’autres modes de transport, comme le doublement du métro. Donc il faut être logique.” Plus d’efficience, c’est à dire “aboutir à de bons résultats avec le minimum de dépenses” selon la définition du Larousse. À demi-mot, Dominique Baert concède néanmoins ”(qu’)à partir du moment où on a voté (cette baisse), on savait bien que ça allait tomber. C’est comme tout. Quand ça tombe chez soi, ça plait moins. »
Rationaliser, mais pas diminuer le budget
12 élus ont fait le choix de s’abstenir lors du vote de décembre 2017. Rose-Marie Hallynck, maire de Quesnoy-sur-Deûle, en fait partie. Elle assume son choix : “Je ne peux qu’adhérer à l’idée de rationaliser. On aurait pu à minima laisser le même budget en rationalisant. Mais pas réduire un budget de 10%” avant de conclure : “Il n’y a pas de miracle.”
Alors les maires qui râlent sont-ils sincères quand ils disent qu'ils ne se doutaient pas des effets de leur vote ? Cèdent-ils sous la pression des usagers en colères, leurs électeurs ? l'approche des municipales (2020) a-t-elle une influence ?
Rudy Elegeest, maire de Mons-en-Barœul et président de la commission mobilité à la MEL, s’interroge sur la colère des élus qui ont voté pour : “Je suis étonné qu’on puisse voter une idée globale et quelques mois plus tard, on se rend compte que localement, on a des changements de ligne de bus. Chercher à être plus efficient, plus moderne c’est bien. Dans un contexte de restriction des moyens, c’est non. » Avant de conclure : "Il était assez prévisible qu’une restriction de moyens de ce niveau-là se traduise par des changements voire des suppressions de lignes.“
Les élus écologistes “en colère”
Certains élus avaient pourtant alerté sur les risques liés à la baisse du budget. Les 6 conseillers métropolitains Europe-Écologie-Les-Verts (EELV) sont les seuls à avoir voté contre la baisse de 10% du budget transports à la MEL. Ils dénoncent aujourd’hui l’hypocrisie de certains élus.
Lors des débats de décembre 2017 juste avant le vote, Jérémie Crepel, président du groupe EELV à la MEL, évoquait déjà les risques d’une telle diminution de budget: « Avec une diminution de plus de 3 millions et demi de km parcourus dans l’offre totale de transport en commun, surtout sur le bus, les usagers ne pourront qu’être pénalisés par les diminutions d’amplitudes horaires, de fréquences et des simplifications de lignes. On est loin du service public de proximité pour tous. »
Aujourd’hui l’élu est en colère. « Qu’est ce qu’ils imaginent quand on baisse le budget de 10% ? On a alerté parce qu’on a perçu que ça allait provoquer une diminution du service. Le scandale, c’est que tous les maires ont voté cette diminution parce qu’ils pensaient qu’ils pourraient négocier au cas par cas après coup. » Selon lui, impossible de ne pas avoir été au courant de l’impact d’une baisse de budget : « Soit c’est de la mauvaise foi, soit ils font drôlement mal leur travail d’élu » résume-t-il.
De plus, les motions votées par plusieurs maires ces derniers jours horripilent l’élu écologiste. « Je suis sidéré de lire qu’un élu déclare qu’il n’était pas au courant parce qu’il n’a pas lu la CSP. Quand on est élu, la moindre des choses c’est de se renseigner. Et pour rappel, il y a eu un débat à la MEL ». Avant de conclure : « Quand on lance des pétitions et des motions sur les décisions qu’on a prises, c’est un peu kafkaïen. »
L’élu tient enfin à souligner qu’Ilévia n’est pas responsable de la situation actuelle. « Les pauvres, ils font ce qu’ils peuvent avec le budget qu’on leur a donné. »
Ce vendredi 8 février, le groupe EELV a adressé un courrier au président de la MEL, rappelant que « même des élus métropolitains qui avaient voté pour le cahier des charges de la CSP, puis pour son attribution à Keolis, s’insurgent désormais contre les effets désastreux de la diminution des moyens alloués aux transports en commun. » Les élus écologistes demandent au président de « négocier un avenant pour revenir sur ce plan d’économie et retrouver une offre de transports publics à la hauteur des enjeux climatiques et sociaux. »
Nouvelle surprise dans les prochaines semaines ?
Il semblerait que la CSP fasse de nouvelles vagues dans les prochaines semaines. Après les bus, le réseau V’lille serait directement impacté. « La fermeture de certaines stations V’lille va nous tomber dessus dans quelques semaines », prédit Rudy Elegeest, président de la commission mobilité à la MEL. Il devrait y avoir un redéploiement de certaines stations et la « fermeture de stations dans des quartiers populaires » selon le maire de Mons-en-Barœul. Il affirme avoir vu « des élus de la majorité voter la délibération globale et partir en claquant la porte dans des réunions où (ils) découvraient l’impact que (ce vote) avait sur les fermetures de stations V’lille dans leur commune. »
Tourcoing, Roubaix ou encore Wattrelos seraient les communes concernées par la perte de stations V’lille au profit d’autres quartiers plus centraux. « C’est la prochaine surprise » conclut, avec une pointe de sarcasme Jérémie Crepel.
Ilévia : pourquoi cette baisse de budget ?
Les transports en commun de la métropole lilloise sont une compétence de la Métropole Européenne de Lille (MEL). La MEL regroupe les maires des 90 communes de la métropole et des conseillers métropolitains issus des conseils municipaux de chaque ville.Via une concession de service public (CSP), la MEL délègue le fonctionnement du réseau de transports en commun à une entreprise sous la forme d’un contrat d’une durée de 7 ans.
Le précédent contrat (2011-2017) a été attribué à la société Kéolis, filiale de la SNCF. Dès 2016, les élus de la MEL ont planché sur un nouveau cahier des charges en vue de la nomination d’un nouveau concessionnaire pour le contrat de 7 ans, de 2018 à 2024.
En avril 2016, le cahier des charges est présenté aux élus par le président de la MEL, Damien Castelain, et son vice-président délégué aux transports de l’époque, Gérald Darmanin. En introduction de cette présentation, Damien Castelain explique qu’il “demande de faire baisser de 10% cette Concession de Service Public, c’est-à-dire la passer de 200 millions à 180 millions d’euros” avant de conclure que “des économies sont tout à fait possibles par différentes astuces.”
En clair, les subventions versées par la MEL s’élevaient en moyenne à 200 millions d’euros chaque année. L’exécutif veut baisser cette part à 180 millions, soit une baisse de 20 millions d’euros, 10% du budget transports annuel. Sur 7 ans, cela revient à économiser 140 millions d’euros.
Tous les élus votent pour cette délibération sauf les élus Europe Ecologie Les Verts (EELV), soit 6 votes contre.
En décembre 2017, les élus votent pour attribuer la concession à une entreprise pour les 7 prochaines années. Cette entreprise devra donc appliquer le cahier des charges voté en avril 2016 et, de fait, intégrer la baisse du budget de 20 millions d’euros chaque année.
Après étude des dossiers, l’exécutif propose d’attribuer de nouveau le marché à l’entreprise Keolis. 155 élus votent pour, 12 s’abstiennent et les 6 élus EELV votent de nouveau contre.
Keolis gagne le contrat en pariant sur une augmentation de la fréquentation (+56 millions d’euros de recettes sur 7 ans) et en baissant ses charges de personnel et d’exploitation (-80 millions d’euros de charges sur 7 ans). Ainsi, l’entreprise pallie les baisses des subventions de 140 millions d’euros de la MEL sur 7 ans.