Les marionnettes à tringle nées des "mains calleuses" des ouvriers du nord au XIXe siècle revivent à partir de vendredi au musée de l'Hospice Comtesse de Lille, qui restitue l'importance populaire et artistique de ce phénomène oublié.
Lors du boom de l'industrie textile, tout a été prévu par les patrons pour enrôler les masses ouvrières dans le rythme infernal des ateliers (écoles, courées bâties à la va-vite...), tout sauf des loisirs. Afin d'égayer les quartiers populaires, mais aussi arrondir les fins de mois à une époque où la paye était chiche, plusieurs pères de famille apprennent le théâtre de marionnettes, de sa confection jusqu'à la manipulation en passant par l'écriture de pièces.
En 1880, Lille et Roubaix comptent ainsi chacune une quinzaine de théâtres dédiés, logés dans des caves où se serrent une petite centaine de personnes. Les marionnettes utilisées sont dites "à tringle", par opposition au fil : grâce à ce robuste procédé, le pantin est naturellement debout et a le mouvement facile.
"Des poètes aux mains calleuses"
De quoi idéalement faire vivre le répertoire de cet art populaire, dominé par les histoires de cape et d'épée et le fantastique moyenâgeux. Cet aspect "série B" ne doit pas faire oublier la vocation éducative des spectacles de Louis de Budt, Louis Richard et autres grands du théâtre de marionnettes nordiste. A une époque où le patois était répandu, "on y apprenait le Français, l'histoire de France et les idéaux républicains de liberté, d'égalité et de fraternité", souligne l'un des commissaires, Alain Guillemin, directeur du Théâtre Louis Richard de Roubaix.
C'est toute cette histoire méconnue que le musée de l'Hospice Comtesse, à l'entrée du Vieux-Lille, se propose de narrer, à travers l'exposition de 70 marionnettes, de costumes, d'accessoires et de deux castelets (scènes) grandeur nature, baptisée "Héros de fil et de bois".
"On n'est pas dans le misérabilisme d'une culture ouvrière qu'on regarderait avec une sympathie amusée, on est dans la valorisation d'un travail d'art de qualité", prévient Alain Guillemin. L'aspect brut mais expressif des pantins, que le public pourra admirer jusqu'au 15 avril, donne en effet raison au marionnettiste Jacques Chesnais, pour qui ces artistes ouvriers étaient "des poètes, mais des poètes aux mains calleuses".