Pendant toute leur enfance, Elisabeth et Catherine G. ont été violées par leur frère aîné. Victimes de l'omerta familiale, il leur a fallu des dizaines d'années pour oser en parler. La Commission d'indemnisation des victimes d'infractions a décidé de les indemniser malgré les délais.
Elles n'ont que six ans quand le cauchemar commence. En apparence, Elisabeth et Catherine G. appartiennent à une famille nombreuse bien sous tous rapports, dans un village de la métropole lilloise. En réalité, durant toute leur enfance, elles sont violées tour à tour par l'un de leurs frères aînés, qui leur impose le silence à force de menaces et de violence.
Ce n'est qu'en 1995 que les soeurs jumelles, déjà adultes, en parlent pour la première fois. Catherine, traumatisée par des années d'abus, souffre d'anorexie et est hospitalisée dans un état grave. Elisabeth confie alors aux médecins la raison de son mal-être. Entourées par le médecin de famille, elles se résolvent à en parler à leurs parents mais sont loin de recevoir le soutien espéré.
Un conseil de famille - sorte de réunion informelle - sera organisé pour en discuter. Mais, si les parents ne remettent pas en cause la parole de leurs filles, ils souhaitent enterrer l'affaire. "La mère a fait un chantage classique à ses filles en disant : si vous révélez ça, je me tue", raconte l'avocate des jumelles, Me Carine Delaby-Faure.
La chappe de plomb du silence se referme de nouveau sur Elisabeth et Catherine G. Elles sont mises au ban de la famille, pendant que le frère incestueux est accueilli à bras ouverts.
La CIVI, le dernier recours d'Elisabeth et Catherine
En 2020, toujours lourdement marquées par ces années d'agressions, les deux soeurs finissent par pousser la porte de leur avocate, Me Carine Delaby-Faure.
En janvier 2021, celle-ci obtient de la part de l'agresseur une lettre d'aveux, où il précise également son incapacité à indemniser les victimes au vu de sa situation financière. Elisabeth et Catherine G. portent pourtant plainte, en juin 2021. Le délai de prescription dépassé, le parquet classe la plainte sans suite, mais précise tout de même dans son courrier que les faits révélés constituent bien une infraction.
C'est sur cette reconnaissance d'infraction que Me Delaby-Faure a basé son dossier auprès de la CIVI, Commission d'indemnisation des victimes d'infractions. Cette juridiction spécialisée permet aux victimes une indemnisation via la solidarité nationale avant de se retourner contre le coupable d'une infraction. Dans les dossiers prescrits, il reste possible de saisir la CIVI dans l'année suivant une décision de Justice relative au dossier. D'ordinaire, le classement sans suite n'en fait pas partie.
Mais dans le cas d'Elisabeth et Catherine G, aujourd'hui quinquagénaires, la lettre de classement sans suite vaut une reconnaissance de l'infraction, argumente Me Delaby-Faure. Un "relevé de forclusion", c'est-à-dire une autorisation de dépassement des délais, a donc été déposé auprès de la CIVI.
Une jurisprudence en faveur de toutes les victimes
Ce 12 janvier, la juridiction spécialisée a officiellement donné une issue favorable à ce dossier. Les deux soeurs seront bel et bien indemnisées pour les souffrances qu'elles ont subies. Elles recevront 50.000 euros chacune - le montant demandé par leur avocate - de la part de la CIVI. Une décision qui fera jurisprudence dans des cas de figure similaires.
"C'est une décision assez exceptionnelle, réagit Me Delaby-Faure. La commission a pris la mesure de leur traumatisme psychique, elles sont enfin reconnues comme victimes par la justice." Au-delà de l'indemnité financière, l'avocate parle de "symbole".