ENTRETIEN. Chômage et fermeture d'entreprises, les Hauts-de-France dans le rouge ? Une économiste de Sciences Po Lille décrypte la situation

Avec une hausse historique du taux de chômage ces derniers mois, les Hauts-de-France connaissent une situation alarmante. Selon l'économiste Nathalie Chusseau, la région ne coupe pas à la conjoncture nationale, qui s'est installée en douceur dans les Hauts-de-France en 2024, avant de frapper réellement au trimestre dernier.

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Au dernier trimestre, France Travail a recensé plus de 3 millions de demandeurs d'emploi en catégorie A dans le pays. C'est une hausse historique : +3,5% de hausse en un an et +3,9% rien que sur le dernier trimestre. La plus forte augmentation enregistrée ces dix dernières années hors crise Covid et hors Mayotte.

Face à ce constat, une bonne nouvelle tout de même, en tout cas en apparence : dans la région Hauts-de-France, les chiffres sont un peu meilleurs ou plutôt, la hausse est moindre avec +0,6% dans le Nord et -0,3% dans le Pas-de-Calais. Par contre, pour le dernier trimestre les deux départements enregistrent respectivement une hausse de 2,6% et 2,3%. Globalement le taux de chômage reste supérieur de deux points à celui de la moyenne nationale.

Pour expliquer cette situation exceptionnelle, l'économiste Nathalie Chusseau décrypte en six questions la conjoncture économique que traversent actuellement les Hauts-de-France.

Comment analyser cette hausse du taux de chômage dans notre région au dernier trimestre ?

L'augmentation est moins importante dans les Hauts-de-France qu'au niveau national. Mais la tendance reste la même. On voit quand même une hausse de 2,3 ou 2,4% du taux de chômage que ce soit dans le Nord ou le Pas-de-Calais, avec la même forte augmentation chez les jeunes que globalement en France.

J'ai aussi vérifié l'évolution que l'on a en termes d'emplois salariés. Et entre le 2e trimestre 2023 et le 2e trimestre 2024 il y avait une tendance à la hausse assez forte, un peu partout sur le territoire. En particulier autour de Dunkerque, de Boulogne, du Douaisis ou dans le Valenciennois. Donc on voit bien une rupture dans la tendance de création d'emploi salarié qui est cohérente avec ce qu'on observe au national. C'est qu'il y a bien un frein à l'embauche, même dans notre région.

Qu'en est-il de la défaillance d'entreprises ? Quels secteurs sont les plus touchés ?

Effectivement on a des records de défaillance d'entreprise au niveau national, on est à peu près à 67 000, on n'avait pas atteint ces chiffres depuis la Covid-19.

Il y a des entreprises qui sont en faillite maintenant, mais qui ont été sous perfusion pendant la pandémie et, après, on leur a accordé des prêts avec des délais de remboursement. À un moment elles étaient déjà en mauvaise santé et ça ne s'est pas arrangé.

Nathalie Chusseau, économiste

Mais concernant les secteurs d'entreprise on voit que l'automobile par exemple se porte mal, principalement en lien avec les coûts énergétiques. On voit par exemple Michelin qui a fermé un certain nombre d'entreprises, qui préfère relocaliser sa production en Pologne.

Dans la région on voit aussi une défaillance dans le secteur de la grande distribution avec Auchan... On arrive peut-être à la fin d'un modèle avec la destruction massive d'emplois, comme cela peut aussi être le cas dans l'habillement et le textile, où des destructions d'emploi sont assez fortes à cause de la concurrence internationale et d'un modèle de la distribution à distance d'habillement bas de gamme qui ne fonctionne plus.

Auchan a annoncé le mardi 5 novembre 2024, la suppression de 2389 postes. © F. Giltay / FTV

A-t-on déjà des explications pour éclairer ces difficultés ?

Les entreprises arrêtent d'embaucher, arrêtent d'investir, parce que le contexte national et international ne s'y prête absolument pas. Au national les entreprises sont dans l'attente d'un budget qui n'est pas encore fixé, elles ont du mal à se projeter dans l'avenir, or l'incertitude en économie c'est très mauvais. L'instabilité politique y est pour beaucoup. On est en pleine rediscutions de la réforme des retraites ces trois prochains mois, donc un risque de censure n'est pas impossible, et le budget n'est pas encore assuré... C'est très défavorable pour les investissements et les embauches. Les entreprises ignorent par exemple à quel type de taxes elles pourraient être soumises : est-ce qu'il va y avoir une baisse des aides pour l’apprentissage ? Est-ce que les baisses d'impôt sur la production vont être maintenues, ou pas ?

En plus, à ce contexte national s'ajoute un contexte international qui est encore plus incertain et compliqué. On a d'une part une guerre commerciale qui se profile à l'horizon avec l'élection de Donald Trump et l'augmentation des tarifs douaniers promise, qui aura de l'impact sur nos exportations et peut-être sur nos chaînes de valeur (la production de biens intermédiaires qu'on apporte pour produire nos produits finis). D'autre part, dans le contexte européen, la conjoncture est également mauvaise puisque l'Allemagne est en récession économique. Or il s'agit quand même de notre premier partenaire commercial. Cette mauvaise conjoncture est nouvelle : on voit bien ce retournement depuis le dernier trimestre de 2024, qui se ressent en termes de taux de chômage national, qui a augmenté de 3,9% au dernier trimestre et de 3,5% sur l'année. En région aussi on le voit, alors qu'on était plutôt sur une dynamique favorable de création d'emploi salarié.

Pourquoi notre région s'en sort un peu mieux que les autres ce trimestre ?

Les Hauts-de-France profitent d'une dynamique liée à un certain nombre de projets de réindustrialisation massive sur son territoire. Avec la création de gigafactories de batteries à Dunkerque par exemple. Il y a des implantations d'entreprises multinationales et une délocalisation d'entreprises nationales dans la région. L'augmentation du chômage est moins importante sur notre territoire mais c'est le témoin d'un ralentissement de cette conjoncture.

Ces nombreux plans de réindustrialisation promis par le premier gouvernement d'Emmanuel Macron créent une dynamique d'investissements, créent de l'emploi dans un moment de conjoncture tendue.

La région parvient à résister davantage puisqu'il y avait une tendance à la création d'emplois salariés. Mais elle capitalise sur ça, la question c'est de savoir comment continuer ces investissements.

Nathalie Chusseau

Malgré tout, le chômage touche plus fortement une certaine tranche de la population.

Oui, la population la plus touchée est celle des jeunes. Le cœur de la population active, les 25-49 ans, est celle qui résiste le mieux. Souvent les plus de 50 ans ont un taux d'emploi plus faible, mais là leur taux de chômage n'augmente pas massivement. Ce qui augmente c'est celui des moins de 25 ans.

Et on a des explications. Souvent quand on a un retournement de conjoncture comme celui-là, ce sont les non-qualifiés et les peu qualifiés qui sont les plus vulnérables. En l'occurrence les jeunes, qui n'ont souvent pas les qualifications requises et qui font appel à des contrats intérimaires. Avec les difficultés financières, les entreprises ont moins besoin de gens, donc les premiers types de contrats qui vont être réduits sont les contrats intérimaires. Et dans les Hauts-de-France on a un taux de non-qualifiés plus important en proportion, comparativement à la moyenne nationale, qui renforce la difficulté des jeunes à s'insérer.

Dans le climat général plutôt stagnant pour les entreprises, y a-t-il des îlots qui créent l'exception dans les Hauts-de-France ?

Autour du Dunkerquois on voit que ça fonctionne plutôt bien. Là où il y a les projets de réimplantation d'industries on voit que les entreprises résistent puisqu'il y a ces investissements massifs pour réindustrialiser.

Face à cette conjoncture, le sujet qui va se poser c'est : est-ce que ces projets d'investissement vont être maintenus ? Est-ce que les entreprises qui se sont engagées à venir vont toutes le faire ?

Nathalie Chusseau

Ici on retrouve la problématique liée aux qualifications. Parce que pour mener à bien ces projets de gigafactories de batteries, il faut des compétences très spécifiques et on va avoir besoin de transformer les qualifications de certaines personnes, plutôt employées dans les moteurs thermiques, vers les moteurs électriques. Là les compétences ne sont pas les mêmes, donc il y a un gros effort de qualification et de retour à la formation, c'est un véritable enjeu. De plus il faut aussi recruter du personnel très qualifié, comme des ingénieurs. Et ici aussi on rencontre des difficultés dans la région, parce qu'on ne forme pas assez de gens qualifiés. Il va falloir faire appel à des personnes de l'extérieur, dont l'arrivée va dépendre la réussite ou pas de ces projets d'investissement.

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