Des collectes de dons aux voyages humanitaires, en passant par l'accueil des réfugiés, le réseau social est devenu la plaque tournante des initiatives particulières en faveur des Ukrainiens. Une solidarité complémentaire de l'action des associations et collectivités, qui peut révéler certains dangers.
Une semaine après le début de la guerre, Laurent Blin a créé le groupe Facebook "Lille aide l'Ukraine". Les Russes viennent d'attaquer la centrale nucléaire de Zaporijia, et un déluge de bombes s'abat sur la ville de Marioupol. Femmes et enfants fuient leur pays, l'exode est en marche vers l'Europe. "L'idée de cette page est venue après avoir discuté avec mes collègues de travail polonais, raconte ce Nordiste, responsable marketing dans une entreprise de la métropole lilloise. Ils me disaient le besoin urgent d'héberger des familles ukrainiennes."
Le 4 mars 2022, à 23h30, Laurent Blin publie son premier message : "Groupe d’échange pour aider à la coordination et pour rester informer des actions humanitaires pour aider les Ukrainiens." Très rapidement, l'initiative trouve écho chez des particuliers pressés de pouvoir aider. "On souhaitait créer un pont entre la Pologne et la France", explique-t-il.
Le 12 mars, un premier convoi de six véhicules part du Nord, direction Varsovie, pour acheminer des denrées et rapatrier des réfugiés. A son bord, une vingtaine de bénévoles qui se sont trouvés et organisés sur le groupe Facebook. Ils ne se connaissaient pas quelques jours avant mais partageront plus de 2.000 kilomètres de route ensemble. "J'ai rencontré des personnes que je n'aurais jamais croisées ailleurs, observe Laurent Blin, qui compte aujourd'hui 610 membres sur son groupe. Tous ces moments d'échanges sont vraiment riches."
Communiquer, partager, mobiliser
Des initiatives comme celle-ci, il en existe une kyrielle sur les réseaux sociaux. Face à l'urgence de la situation, Facebook est vite devenu la plaque tournante des élans de solidarités. Particuliers, associations ou encore collectivités s'en sont servis pour communiquer sur leurs actions, se mettre en liens et partager des informations. Un peu à l'image des gilets jaunes au début du mouvement, ou dans une autre mesure du Printemps arabes en 2011, quand la plateforme a facilité la mobilisation.
Aux premières heures de l'invasion russe, la plateforme a notamment servi à organiser la collecte de dons. Sur le groupe Facebook Ukrainiens à Lille, France / Українці у Ліллі, Франція (3.400 membres), le fil de discussion a longtemps regorgé d'informations sur les points de collecte. Les publications des mairies y ont été largement partagées. Avec la liste des denrées à privilégier ; gels et savons, dentifrices, couches, serviettes hygiéniques...
De façon plus anarchique, la charité citoyenne s'est largement exprimée sur la plateforme. Ici et là, des publications pour donner des biens, surtout des vêtements au départ. Comme Malika Dox, le 11 mars, qui publie une photo de ses 13 cartons plein d'affaires, accompagnée d'un texte : "vêtements pour enfants en bon état (surtout 4 et 5 ans) mais pas de voiture. Si quelqu'un est disponible pour faire le trajet Lille (Fives) à Villeneuve d'Ascq, je les donne avec plaisir."
"Nous avons une grande maison, le frigo est plein"
Au fil des jours, les convois pour livrer ces dons à la frontière ukrainienne se multiplient. Les photos montrent des coffres de voitures remplis de cartons. Pour organiser la logistique, des associations apportent leur soutien aux initiatives individuelles. Laurent Blin explique qu'il s'est rapidement rapproché de Portail de l'Ukraine, qui œuvre depuis plusieurs années déjà. "Eux s'occupaient habituellement de collecter de dons, mais ne rapatriaient pas de réfugiés en France, explique-t-il. On a donc trouvé une complémentarité à nos actions".
L'accueil des réfugiés est devenu le principal sujet de discussion sur ces groupes. En parallèle des actions menées par les mairies et autres collectivités, de nombreux citoyens se sont instinctivement proposés de loger des familles ukrainiennes. Comme Valérie, qui a publié récemment sur le groupe "Accueil des Ukrainiens Sambre Avesnois" : "nous habitons en campagne à Gommegnies. Nous souhaitons donner un coup de pouce à notre façon : nous avons une grande maison, un frigo plein et il fait bien chaud à la maison !"
Emploi, forfait mobile... Partage de bons plans
Dans l'Oise, l'association centre culturel Anne de Kiyv œuvre de longue date pour la communauté ukrainienne dans la région. Au lendemain de la guerre, elle a également créé un groupe Facebook pour orchestrer au plus vite l'entraide. "Il est très suivi, se réjouit Anna Canter, son administratrice. Aujourd'hui, grâce à cela, nous avons trouvé 25 familles qui hébergent des réfugiés."
Ces derniers jours, le réseau social fourmille de questions pratiques au sujet de cet accueil. "Savez-vous combien de temps il faut pour avoir le rdv en préfecture pour les Ukrainiens ?", demande Stéphane. "Faut-il leur ouvrir un compte bancaire ?", s'interroge un Jyl. Pour faciliter toutes les démarches administratives et répondre aux divers problèmes, des documents récapitulatifs sont partagés sur les groupes.
On y partage également un tas de bons plans et de combines. "Free propose à compter d’aujourd’hui un Forfait Mobile gratuit pour les réfugiés ukrainiens", informe Vianney. Des événements Facebook sont aussi créés, comme ce "petit dej pour les familles ukrainiennes", au bus magique, à Lille, samedi 2 avril à 10 h. Des entreprises partagent même des propositions d'emploi, comme la société MHL SAS basée sur Seclin : "si vous recherchez un emploi, nous vous accueillerons avec un grand plaisir."
"Il y aussi des initiatives moins sérieuses"
Ces groupes Facebook brassent une foule de bonnes volontés, mais aussi des initiatives moins sérieuses. "Il y des têtes brûlées, reconnaît Laurent Blin. Des gens qui se propose d'aller en Ukraine, sans logistique, seul au volant malgré la distance. Et ceux qui se proposent d'accueillir des réfugiés sans avoir la place chez eux..." Par exemple, sur le groupe Facebook "Départ France-Ukraine pour aider les civils sur place", on peut lire ce message de Fernando qui laisse perplexe : "salut je cherche un groupe pour partir pas question que reste mon putain de canapé".
Dans le groupe "Ukrainiens à Lille", une femme n'hésite pas à évoquer les difficultés auxquelles les gens pourraient faire face avec leurs hôtes ukrainiens. "Questions taboue ou pas ? Je me lance ! Comment s'organise pour vous la cohabitation avec vos invités : s'investissent-ils ou non dans la vie du foyer et sous quelle forme svp ? Quelles sortes d'échanges avez-vous avec eux ? L'ambiance est-elle agréable à vivre ou décevante ?"
"Nous sommes devenus indispensables"
Au lancement de son groupe Facebook, Laurent Blin s'est senti "un peu débordé". "Il y a des messages qui n'avaient pas lieu d'être", dit-il. Mais très rapidement, deux collègues lui ont proposé de gérer la modération des discussions. Anna Canter de l'association Anne de Kiyv parle également de "dérives" possibles sur les réseaux sociaux. Elle évoque les risques, entre autres, pour les femmes seules réfugiées qui chercheraient un abri en France, et tomberaient sur des personnes mal intentionnées. "La femme ukrainienne est très sexualisée", rappelle-t-elle.
Aujourd'hui, toutes ces initiatives lancées sur Facebook sont devenues la clé de voûte de la solidarité avec les Ukrainiens. "Nous sommes indispensables nous disent les collectivités, car elles seules ne peuvent pas tout prendre en charge", souligne Laurent Blin. Dans la continuité de son groupe Facebook "Lille aide l'Ukraine", un site internet et une association ont vu le jour. Quand le monde virtuel se met au service du monde réel.