Le 16 juin 2022, soit 4 mois après le début de la guerre avec la Russie, la vie du soldat Volodymyr bascule. Un obus tombe sur son unité. Un éclat le touche à la mâchoire, aux épaules, aux bras et aux côtes. En vertu d'un accord avec certains pays européens, il est alors exfiltré vers la France et la très réputée unité de chirurgie maxillo-faciale d'Amiens. Le début de sa reconstruction physique et psychique.
Avec peine, car Volodymyr a perdu ses dents et une partie de sa langue, le héros malgré lui du court métrage, Le Soldat Déchiré, évoque les instants d'horreur qui suivent l'explosion de l'obus : "je me souviens de ce moment comme d'un mauvais rêve avec un vacarme assourdissant. Je tenais ma propre mâchoire... Je me souviens de mes camarades qui hurlaient, dans la fumée, l'odeur du sang. Ma vie allait changer à jamais".
Le témoignage terrible de celui qui, quelques mois encore auparavant, était un paisible père de famille, marié, entraîneur de basket, manager dans une entreprise irlandaise et parlant parfaitement anglais.
Un homme ordinaire au regard bleu vert, qui poursuit encore : "la guerre est abominable, il n'y a rien de romantique à s'entretuer... la guerre, c'est juste une masse de morts... Quand je suis arrivé en France, j'étais méconnaissable".
Même à près de 3 000 kilomètres, la peur toujours
Derrière les mots simples de Volodymyr, qui refuse de livrer son nom de famille par peur des espions ou des représailles russes, le traumatisme profond d'un homme brisé par la guerre et par la haine. "Les Ukrainiens sont profondément meurtris par cette guerre et ceux qui ont trouvé refuge chez nous, à Amiens notamment, ont la crainte d'agents russes sur le territoire français", nous explique Cyril Caine, photographe professionnel et réalisateur du film Le Soldat Déchiré.
"J'ai rencontré Volodymyr grâce aux équipes du professeur Bernard Devauchelle, en chirurgie maxillo-faciale, au CHU Sud. Je travaille régulièrement avec eux pour des projets photographiques ou vidéos. Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois avec Volodymyr, mais je l'ai senti tout de suite extrêmement réticent à se livrer et à me faire confiance. Il refusait de me montrer des photos de sa famille, de me donner son nom de famille... Il vit depuis deux ans à Amiens, mais ne parle pas français, quelques mots tout juste. J'ai dû faire appel à une traductrice".
Je suis un homme transformé, marqué, défiguré, mais vivant.
Volodymyr, soldat ukrainien soigné à Amiens
"Les chirurgiens ne sont pas seulement des spécialistes en reconstruction faciale, poursuit Volodymyr dans le court métrage de Cyril Caine, ils sont aussi des artisans de la vie... Et je sais que j'ai une chance inouïe d'avoir été pris en charge par les meilleurs. Ils ont redonné forme à mon visage, mais aussi à mon avenir".
À 41 ans, le soldat ukrainien a déjà un passé bien lourd, comme tous les jeunes hommes de sa génération dans son pays d'origine. Après six interventions du visage pratiquées au CHU d'Amiens Sud, "il refuse que l'on intervienne à nouveau. Il est fatigué , nous explique le réalisateur du Soldat Déchiré. Il n'est pas le seul combattant ukrainien pris en charge à Amiens, dans l'unité du professeur Sylvie Testellin, chirurgienne maxillo-faciale, par ailleurs appelée régulièrement dans les hôpitaux ukrainiens pour soigner les gueules cassées de ce conflit du 21e siècle, qui dure depuis 1 000 jours déjà. De toute façon, ce service reçoit des patients venus du monde entier. Mais je peux vous dire que j'ai vu les radios et scanners du visage de Volodymyr : il était en miettes".
"Lors du tournage du 'Soldat Déchiré' avec Volodymyr, il y a un mois, j'ai été frappé par ses réactions dans certaines situations. Je dois préciser que nous avons tourné nos séquences au Musée de Picardie et en forêt de Creuse, non loin d'Amiens. Et la forêt notamment, l'a mis dans un grand état de stress. De même, il a refusé de tourner une séquence dans laquelle il était censé ternir un drapeau blanc. Pour lui, ce symbole de cessez-le-feu est inacceptable".
"Il n'est pas envisageable que la Russie gagne, quitte à tout détruire"
Le Soldat Déchiré, à l'esthétique ultra léchée, sera présenté dans différents festivals, puis mis en ligne sur des plates-formes de diffusion en flux. Les 9 minutes et quelques du témoignage poignant de Volodymyr, retiennent aussi l'attention de l'Institut Faire Faces, une structure dédiée à la recherche sur la défiguration, créée par le professeur Devauchelle en 2022. Un court métrage qui devrait faire le tour du monde, espère Cyril Caine.
"Vous savez, c'est une bien sale guerre que j'ai découverte avec Volodymyr, nous confie-t-il. Ce que l'on nous donne à en voir dans les médias occidentaux, est ultra-filtré, presque aseptisé. C'est une guerre de tranchées, avec des drones personnels : ils peuvent cibler un piéton qui marche dans une rue ou un véhicule, et lâcher une bombe. On peut comprendre la paranoïa qui hante ces rescapés".
Lors de son long monologue, dans Le Soldat Déchiré, Volodymyr dit : "tant que je respire, tant que je marche, je me bats". Son père et ses amis combattent toujours sur le front. Et ce père d'un enfant de 4 ans, refuse que la dictature s'instaure à nouveau dans son pays, indépendant depuis août 1991.
Cyril Caine précise : "Il préfère mourir plutôt que de vivre dans un pays gouverné par Poutine, m'a-t-il confié. Ici, à Amiens, il vit dans un logement social et grâce au petit salaire de son épouse. Il s'entraîne tous les jours, soulève des poids, court, s'occupe de sa fille. Mais dès que possible, il passe devant une commission et si elle juge qu'il est apte, il retourne combattre dans son unité, pour son pays".