Lille : une militante anti-secte poursuivie en diffamation par une association de méditation

La CAFFES, association de lutte contre les dérives sectaires, est poursuivie par l'Institut Heartfulness en diffamation. L'association avait souligné les liens étroits entre ces ateliers de "méditation du coeur" organisés à Lille et la secte "Shri Ram Chandra Mission".

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"Je m'y attendais", explique calmement Charline Delporte, Président du CAFFES, une association luttant contre les dérives sectaires. En septembre dernier, la responsable associative a reçu une lettre d'assignation, poursuivie pour "diffamation publique" par un l'Institut Heartfulness, qui organise des ateliers de "méditation du coeur" à Lille. L'audience se tiendra ce mardi.

"L'an dernier, peu avant l'été, une éducatrice d'un centre social de Lille-Sud m'a contactée pour me faire remonter un signalement, à propos de cours de méditation donnés à l'auberge de jeunesse de Lille", explique Charline Delporte. "Un participant lui avait raconté que les organisateurs tenaient un langage bizarre, qu'il y avait une doctrine à suivre...

Ces ateliers sont alors régulièrement organisés à l'auberge de jeunesse Stéphane Hessel, à quelques pas de la Porte de Valenciennes, à Lille. Charline Delporte décide d'effectuer quelques recherches sur cette jeune association créée quelques mois plus tôt, en décembre 2016. Elle découvre que l'Institut Heartfulness a été créé par Kamlesh D. Patel, qui n'est autre que l'actuel président de la Shri Ram Chandra Mission.

Et ça, Charline Laporte connaît. "Ce sont les mêmes personnes que dans la Shri Ram Chandra Mission. Mais ils avancent masqués et créent de nouvelles associations pour qu'on ne fasse pas le lien", souffle-t-elle. 

La Shri Ram Chandra Mission figure en effet sur le rapport parlementaire de la commission d'enquête sur les sectes de 1995 comme l'un des mouvements pouvant "être qualifiés de sectaires", ainsi que sur le dernier rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

Ce dernier rapport indique ainsi : "Grandes promotrices du développement personnel inspiré des techniques orientales, des organisations multinationales comme la "méditation transcendantale", Shri Ram Chandra Mission, ou la "Libre université du Samadeva", côtoient des structures créées par des Occidentaux "initiés", mais aussi des individus isolés dont certains bricolent des formations à partir de quelques stages qu’ils ont eux-mêmes suivis."


Plainte pour diffamation


Voyant cela, la CAFFES envoie une note de synthèse au directeur de l'auberge de jeunesse lilloise. "On a reçu une lettre de la CAFFES qui nous disait de faire attention", précise Ashraf Al Sughayyr, directeur de l'auberge. "Tout de suite j'ai appelé un autre organisme à Paris, l'UNADFI, qui m'a confirmé que Heartfulness était en lien avec une autre association, inquiétante." 

Le directeur décide de stopper net la location de la salle à l'Institut, bien que les personnes étaient "d'une gentillesse énorme". "On accueille des groupes scolaires, on était inquiets, on ne voulait pas prendre de risque." Par souci de transparence, il l'annonce aux membres de l'Institut Heartfulness en leur présentant le courrier de la CAFFES. Voyant cela, l'Institut décide de porter plainte pour diffamation publique. 

"Ce sont des accusations qui ne reposent sur aucun élément", précise Me Laurent Klein, avocat de l'Institut Heartfulness. "L'Institut Heartfulness, c'est un institut laïc, au sein duquel les membres ne développent pas la philosophie de Shri Ram Chandra Mission. Ils ont juste repris les pratiques de méditation du mouvement, mais c'est une association laïque."

Laurent Klein confirme que "certains membres font partie à la fois de l'Institut Heartfulness et de Shri Ram Chandra Mission", mais assure que les objectifs des deux associations sont complètement différents. En outre, le rapport parlementaire de 1995 n'est à ses yeux plus idoine. "Toutes les personnes qui font du yoga ne font pas partie d'une secte. A l'époque, c'était nouveau, les gens étaient méfiants. Aujourd'hui, la pratique du yoga s'est étendue, ça n'a plus rien à voir avec ce qu'on pensait que c'était il y a 20 ans", ajoute Me Klein. 


Heartfulness, kezako ?


Depuis l'arrêt des ateliers à l'auberge de jeunesse, les formateurs de l'Institut Heartfulness se sont rabbatus sur le 188, une plateforme d'accompagnement culturel située à Lille, dans le quartier Saint-Maurice Pellevoisin. Pour comprendre le principe de la "méditation du coeur", nous avons participé à l'un des ateliers découverte. 

"Bienvenue, les portes sont grandes ouvertes", sourit Jean-Claude, qui anime l'atelier de découverte. A l'intérieur de la pièce, une douzaine de personnes s'installent sur des coussins confortables, pour une séance de méditation relativement classique. A la différence qu'ici, la méditation est centrée sur le coeur et les émotions. Jean-Claude présente très brièvement le concept, précisant qu'il n'a "rien à vendre". D'ailleurs, la séance est gratuite et ouverte à tous.

"On va commencer par ce qu'on appelle le cleaning", explique Jean-Claude. Cette première étape a pour but de "nettoyer" le corps et l'esprit avant d'entamer la méditation, c'est-à-dire d'évacuer le stress et les "impuretés" de la journée.

Les participants ferment les yeux, guidés par la voix douce de Jean-Claude, qui nous incite à nous concentrer sur notre dos, en visualisant l'évacuation de nos soucis sous forme de vapeur ou de fumée. Au bout de 10 minutes, la méditation peut réelllement commencer.

"Vous allez essayer de visualiser une source de lumière, à l'endroit de votre coeur", explique Jean-Claude. "Ne vous concentrez pas sur cette lumière, elle est simplement là. Dès que les pensées vous accaparent, revenez vers cette source de lumière." Puis le silence. La méditation dure entre 20 et 30 minutes.

Arrive enfin la troisième étape de la séance, lors de laquelle les participants échangent sur leur ressenti de la séance. Quelques échanges, Jean-Claude rappelle que ces séances collectives sont organisées tous les dimanches mais qu'on peut aussi demander une séance en tête-à-tête avec l'un des cinq formateurs lillois. Puis chacun repart, avec la possibilité de laisser son adresse mail pour être informé des prochains événements.

"C'est une association de type loi 1901, qui n'est pas à but lucratif. Les adhésions et le prix des cours servent simplement à faire fonctionner l'association", précise Me Laurent Klein, bien que cette fois, aucun tarif n'ait été évoqué. 


Sectes : que dit la loi ?
La notion de "secte" n'est pas définie par la loi, afin de ne pas heurter les libertés de conscience, d'opinion ou de religion, indique la Miviludes. En revanche, il existe un concept de dérives sectaires. 

La dérive sectaire "se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société". 

En clair, il n'y a pas de lois "anti-sectes", mais des textes relatifs au droit de la famille ou au droit de la finance qui peuvent être appliqués pour combattre des dérives sectaires. Encore faut-il que les victimes portent plainte. 



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