A Lille, la parole libérée des parents touchés par le deuil périnatal

Audrey Rogez, 26 ans, a perdu ses deux jumeaux prématurés à la naissance. Le bébé de Perrine Grimaldi, 38 ans, n'a vécu que 10 jours... A Lille, une association accompagne ces parents dans le deuil périnatal, pour ne pas les laisser seuls face à l'impensable.

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Ce samedi matin de fin novembre, rendez-vous est fixé dans une brasserie proche de la gare pour l'un des "cafés-rencontres" trimestriels organisés par l'association Spama (Soins palliatifs et accompagnement en maternité). Cinq parents s'étaient annoncés, seules Audrey et Perrine sont finalement venues. La fois précédente, il y avait quatre couples.

Deux bénévoles de Spama les accueillent, dans une salle réservée à l'étage. Tutoiement de rigueur. "Tu es là pour partager ce que tu as envie de partager", annonce Marie, une des deux bénévoles. Audrey et Perrine remontent alors le fil de leur histoire récente. Cette mort soudaine, liée à un entérovirus rare ou un défaut indétectable du col de l'utérus, ce bébé qu'on a "pu prendre qu'une seule fois" dans ses bras, ces enterrements contre nature, qui ont décidé les beaux-parents à "faire leur caveau" avant l'heure, réservant une place supplémentaire aux cercueils des petits.

Et puis, il y a l'après, qui n'en est pas vraiment un, car "tous les jours, c'est comme si c'était hier", explique Audrey. Cet après "où on ne s'autorise plus à être heureuse", dit Perrine. Comment le conjoint a-t-il affronté la situation ? Comment reprendre le travail ? Que dire aux petits frères et soeurs ? Et à ceux qui demandent si on a des enfants, alors "qu'on a un statut de parents, mais sans rien" ? 

Tant de choses affluent, le café refroidit... "Tout ce qu'elle dit résonne en moi. Ca fait du bien", affirme Perrine. "J'ai besoin d'en parler, car autour de moi, on en parle de moins en moins, ça sort un peu des conversations. Je me demande : "ont-ils oublié ?". Je souffre", renchérit Audrey. Il est bientôt midi, Audrey et Perrine repartent ensemble. Elles poursuivront sans doute la discussion ailleurs, plus tard.


"Un entourage qui ne comprend pas ce deuil"


"Les rencontres entre parents apportent beaucoup d'apaisement. On se croit perdu, on est confronté à un entourage qui ne comprend pas ce deuil. Notre idée est de ne pas les laisser seuls face aux émotions de leur deuil", résume Isabelle de Mézerac, présidente de Spama. Permettre une forme de libération de la parole des parents n'est qu'une des initiatives de Spama, qu'elle a créée en 2007 à Lille après avoir elle-même perdu un enfant à la naissance, et qui rayonne désormais dans toute la France.


Son objectif principal : établir "un pont entre le monde des parents et celui des soignants, déstabilisés et bouleversés par une telle situation". Spama participe ainsi à des formations en milieu hospitalier depuis 2015 principalement dans les Hauts-de-France et intervient en école de sage-femmes et de puéricultrice sur la "culture palliative" pour les nouveaux-nés.

"Nous insistons sur l'importance du soutien actif des soignants pour les parents, qui doivent aussi avoir le sentiment que tout a été fait au mieux pour leur bébé et doivent être reconnus et valorisés comme parents, à qui on a laissé une place", poursuit Mme de Mézerac. Ce n'est qu'à ces trois conditions, estime-t-elle, que le travail de deuil sera rendu plus aisé, même celui "d'une vie qui n'a pu s'accomplir".

"Les parents nous ont expliqué le sens qu'avait pour eux ce temps-là. Et le sens, c'est la rencontre" avec le bébé, corrobore Laurent Storme, membre du conseil d'administration de Spama et pédiatre néonatologue au CHRU de Lille. L'association fait aussi distribuer un coffret pour "recueillir tous les souvenirs de cette petite vie" comme des empreintes ou des bracelets de naissance, et édite des livrets pour les parents mais aussi les fratries touchés par ce deuil.

"Trop d'enfants sont confrontés au silence. On pense bien faire, mais on complique en réalité le début d'un travail de deuil en les privant d'une nécessaire remémoration", observe le pédopsychiatre Guy Cordier. Quelque 7 000 décès anténataux et 2 000 néonataux sont enregistrés chaque année en France. 


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