Les associations multiplient les aides en faveur des Roms dont l'inclusion semble progresser dans la métropole lilloise, tout en restant fragile. L'incendie du camps des Couteaux, survenu il y a quelques semaines, a dévasté plusieurs familles.
Lente, fragile, incomplète certes, mais l'intégration des Roms dans la métropole lilloise, une décennie après leur arrivée, a progressé. Des associatifs s'inquiètent néanmoins du morcellement croissant des camps qui rend l'aide compliquée et la souffrance invisible.Jusqu'à 3 000 Roumains, Bosniens et Bulgares vivaient dans la métropole en 2013, principalement dans des bidonvilles aux conditions exécrables. En juin 2018, ils n'étaient plus que 1 080, selon la préfecture du Nord. Les uns sont partis, beaucoup d'autres aussi ont trouvé un logement et des emplois, deux facteurs essentiels d'intégration.
Mais ces chiffres ne font pas oublier la détresse de ceux qui restent à la rue. En ce début juillet à Roubaix, les 60 ans de Petru, Roumain à la moustache poivre et sel, en paraissent 10 de plus. Sa décennie française, pour lui qui est arrivé en 2009, aurait-elle compté double ?
Dernier coup du sort pour lui et sa famille : l'incendie du camp "des Couteaux". Situé dans un de ces interstices urbains entre rocade, supermarchés et terrains privés, le camp n'est plus que débris et gravats.
Bruno Mattéi, du Collectif Solidarité Roms, est écoeuré alors qu'une solution de relogement semblait aboutir. "Là, tout est parti dans le canal". Avec l'incendie, la plupart des familles sont en effet parties, et avec elles le patient travail d'accompagnement du collectif. Seuls Petru et les siens ont installé leurs caravanes sur une pelouse proche.
Petru retrace, interprète à l'appui: "En Roumanie j'étais maréchal-ferrant pour les paysans. Mais une inondation a détruit ma maison et je n'avais plus rien. Des gens m'ont dit qu'en France ils avaient trouvé tout de suite un logement et un travail, et j'ai suivi ce rêve".
Depuis, il a eu un logement huit mois au Havre, le reste il l'a passé à la rue. L'incendie l'a replacé à la case départ, et il attend confusément un geste des pouvoirs publics.
"Vies morcelées"
Son petit-fils, Daniel, la vingtaine, a été au collège et au lycée. Il raconte dans un bon français: "J'ai été beaucoup aidé. J'ai trouvé un travail dans la démolition, sur un chantier. Depuis un mois je suis sans travail et je ne touche pas le chômage. Mes papiers ont brûlé, je dois retourner les faire refaire en Roumanie".
Si son éducation lui donne des raisons d'espérer, beaucoup de Roms sans qualifications et illettrés vivent de la ferraille, au noir, dans une région riche en friches.
Cette activité "les bloque pour se donner des perspectives", selon Bruno Mattéi. "Ils n'en ont pas vraiment conscience, ils vivent au jour le jour, ne voient pas plus loin. Ils ont un temps, une vie morcelés. Quand le soir vient, voilà, c'est un jour de plus et ils sont encore vivants, ils remercient Dieu".
Dominique Plancke, ancien élu écologiste spécialisé dans la question rom, abonde : "Eux sont dans la survie quotidienne, et nous on leur dit « Prends un rendez-vous pour dans six mois »..."
Il livre une anecdote révélatrice: "On avait pris pour un homme un rendez-vous avec un garagiste pour un emploi. Mais il n'est pas venu parce qu'il avait entendu dire qu'il y avait de la ferraille à Roubaix..."
Même au bout des difficultés, rien n'est définitivement acquis: "Il y a des échecs, des retours en arrière en bidonville. Mais aussi pas mal de réussites, des gens intégrés", souvent grâce aux enfants, explique Dominique Plancke. "J'en ai rencontré un qui travaille chez Clarebout [importante entreprise de pommes de terre], je vous mets au défi de savoir que c'est un Rom, il a même l'accent du Nord !"
Maisons "fantômes"
Les autorités ont d'ores et déjà notifié leur expulsion aux occupants des deux derniers gros bidonvilles, à Lille. Les conditions y sont mauvaises, concède Chantal Samaille, de l'association Pédiatres du monde : "Les caravanes surpeuplées, la chaleur, les raccordements dangereux à l'électricité, etc..."
Mais comme d'autres, la pédiatre, qui participe au bus de Médecins solidarité Lille sillonnant la métropole pour soigner gratuitement les exclus, craint que cette dispersion n'affaiblisse l'aide aux Roms.
"Maintenant, il y a de plus en plus de squats dans les maisons, de petits camps, et on est coincés". En maisons "fantômes", abondantes dans la métropole, les Roms deviennent quasi invisibles.
Or l'accompagnement associatif est essentiel. "S'ils vont tout seuls à la Sécu, ils n'ont rien. Quand on y retourne avec eux, l'attitude des agents change", relate Dominique Plancke. Il dénonce les expulsions, qui obscurcissent encore la situation.
Pourtant, en vertu d'une circulaire de janvier, toute évacuation doit être précédée "de recherche au cas par cas de formules d'insertion" cofinancées par l'Etat et les collectivités, plaide Daniel Barnier, préfet délégué à l'Egalité des chances dans le Nord.
Il s'agit notamment de six "villages d'insertion", des hébergements en dur pour une poignée de familles chacun, trois "sas" (dont deux ouverts cet été), structures temporaires d'accompagnement (80 places en tout) et trois sites aménagés et gérés (SAG) pour caravanes avec sanitaires, électricité et tout-à-l'égout (400 places).
Tous sont remplis. Un ou deux autres "sas" pourraient ouvrir dans l'année si des communes se portent volontaires. Mais certains élus ont adopté une position très dure. D'autres ont évolué : le maire de Haubourdin Bernard Delaby avait en 2015 fait déverser de la boue devant un camp. En juillet un "sas" a ouvert sur sa commune. "Il faut la bonne volonté du maire, une bonne communication avec les riverains, des efforts de tous, y compris des Roms", estime l'élu.
Le préfet Daniel Barnier se montre confiant, "à condition que l'ensemble des communes de la MEL (Métropole européenne de Lille), et pas toujours les mêmes, s'engagent..."