Le procès pour "abus de confiance" de l'ancien chauffeur de taxi lillois devenu ministre délégué aux PME, s'est ouvert mercredi 25 mai 2022, au tribunal correctionnel de Lille. Alain Griset est accusé d'avoir placé de l'argent d'une organisation interprofessionnelle sur son PEA personnel. La décision sera rendue le 28 juin.
Un ex-ministre de retour à la barre. Alain Griset, ancien chauffeur de taxi lillois devenu membre du gouvernement, comparaissait devant la 7e chambre du tribunal correctionnel de Lille, ce mercredi 25 mai 2022. L'homme de 68 ans est accusé "d'abus de confiance" au dépens de la Confédération nationale de l'artisanat des métiers et des services du Nord (Cnams), qu'il a présidé de 1993 à juillet 2020.
Il y a près de six mois, le 8 décembre 2021, Alain Griset, alors ministre délégué chargé des PME, avait été reconnu coupable par le tribunal correctionnel de Paris d’avoir déclaré de "manière incomplète ou mensongère" sa situation patrimoniale et ses intérêts lors de son entrée au gouvernement, en juillet 2020. Il avait été condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis et trois ans d’inéligibilité, également avec sursis, et avait démissionné dans la foulée.
Accusation de détournement de fonds
Alain Griset faisait donc son retour au tribunal, ce mercredi, avec la ferme intention de se défendre des nouvelles accusations portées contre lui. Droit dans son costume, durant près de trois heures, le prévenu, qui se présente aujourd'hui comme "retraité", a répondu à l'ensemble des questions des juges.
La justice lui reproche, notamment, d'avoir détourné de l'argent appartenant à la Cnams sans l'accord explicite de ses membres. La somme en jeu ? 130.000 euros, que l'ancien ministre a placés sur un Plan d'épargne en actions (PEA) à son nom, en août 2019, avant de les reverser sur le compte de l'organisation patronale en juillet 2020.
C’est à la suite d’un signalement de Tracfin (service de renseignement français, chargé, entre autres, de la lutte contre la fraude fiscale) sur des mouvements dans ses comptes bancaires, qualifiés d’"atypiques", que l’enquête menant à ce procès a été déclenchée.
Une plus-value en question
Pourquoi avoir réalisé ce transfert d'argent sur un compte personnel et non pas sur un compte bancaire de la Cnams ? "Pour faire fructifier cet argent" de façon "souple et aisée", a expliqué le prévenu. Comment ? En investissant dans des biens immobiliers ainsi que des actions en bourse (FDJ, Natixis etc.). "Il ne s'agit en aucun cas de détournement, mais d'une envie de bien gérer", a-t-il précisé.
Alain Griset a poursuivi sa défense en affirmant n'avoir reçu aucun bénéfice personnel de ce placement. Au contraire, il se targue d'avoir réalisé une plus-value de 19.000 euros avec ses investissements - "un résultat pas si mauvais" - également rendue à la Cnams. Pourtant, la Tracfin juge que cette plus-value a été sous-évaluée et qu'elle pourrait atteindre 41.000 euros. "Qu'est-ce que vous en pensez ?", demande le Président du tribunal à l'ex ministre. "J’en suis tombé sur le cul, rétorque-t-il. Le résonnement ne tient pas la route un millième de seconde. L’analyse de Tracfin est une analyse aléatoire que je conteste."
Production d'un "faux" document
Dans cette affaire, il est reproché à l'ancien président de la Cnams d'avoir "agi seul", de façon "tacite", sans l'accord des membres du conseil. Lui évoque bien un "accord verbal" et un "mandat". Toutefois, l’enquête a démontré que la seule trace fournie d’un mandat du conseil d’administration de la Cnams pour faire ce placement était un "faux", un document rédigé ultérieurement quand, nommé ministre et alerté du signalement de Tracfin et de l’enquête qui allait en découler, il en a averti le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler.
Que savaient les membres du conseil d’administration de la Cnams de cette opération ? Interrogés par la police au cours de l'enquête, ces derniers n'avaient pas les souvenirs clairs. "Je ne sais pas s’il avait un accord du conseil d’administration, je ne sais plus s’il m’en avait parlé, a notamment rapporté Laure Bazan, qui a remplacé Alain Griset à la présidence de la Cnams départementale, après sa nomination au gouvernement. Cela a certainement été évoqué lors d’une Assemblée générale mais je ne m’en souviens plus."
"Omnipotent", "cupide"
Lors de ce procès, l'organisation et le fonctionnement de la Cnams ont été pointés du doigt par le tribunal. Le Procureur de la République évoque "une coquille vide", articulé autour d'un conseil d'administration "fantoche" et des membres "évanescents". Avec à sa tête "l'omnipotent" et "cupide" Alain Griset qui "s’attribue les pleins pouvoir" et en qui "une confiance aveugle a été placée." Des griefs rejetés en bloc par l'avocat du Nordiste, Me Patrick Maisonneuve :"Cela fait 40 ans qu'il fait du bénévolat pour des PME. Je ne crois pas qu'il y ait un seul artisan dans le Nord qui viendrait expliquer que Monsieur Griset est quelqu'un de mû par la cupidité."
L'ancien ministre évoque des "maladresses"
Face aux membres du tribunal, Alain Griset a fini par avouer quelques fautes et des "regrets". "Que j'ai commis des maladresses, sans doute, mais il n'y a eu ni tricherie, ni vol." Dans cette affaire, il assure n'avoir "eu aucun intérêt". "J'ai essayé de rendre service et j'ai tout perdu, je suis tombé", a lâché ce fils d'ouvriers, pour qui la nomination au gouvernement avait été une "consécration".
Le parquet a requis à l'encontre d'Alain Griset un an d'emprisonnement avec sursis, trois ans d'inéligibilité et une amende d'au moins 80.000 euros. La décision doit être rendue le 28 juin à 14 heures.